Vers une Europe de l’Energie ?

Comment sécuriser les approvisionnements énergétiques d’une Europe sous dépendance ?

, par Ronan Blaise

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Vers une Europe de l'Energie ?

Cette question devait être l’un des thèmes majeurs des discussions ’’euro-russes’’ lors du dernier sommet du G8. Or, comme le sait, celles ci furent remisées au second plan du fait de l’explosion de la récente crise internationale israélo-libanaise qui, en cette fin juillet 2006 a tant occupé les esprits (et les chancelleries).

Néanmoins ce sujet brûlant de l’indépendance énergétique européenne (ou, plus exactement, de la dépendance énergétique de l’Europe face à la Russie poutinienne...) occupe et perturbe les relations ’’euro-russes’’ depuis au moins l’hiver dernier.

Un sujet délicat qui a récemment donné lieu à la rédaction d’un « Livre vert » spécialement consacré à cette question de la part la Commission européenne. Et une question dont la résolution a récemment été proclamée comme étant l’une des priorités stratégiques de l’actuelle présidence finlandaise de l’Union.

Bref, il apparaît aujourd’hui très clairement qu’il faut désormais -pour éviter de nouvelles crises énergétiques similaires à celles de l’hiver dernier- mettre en place une politique énergétique européenne intégrée. Alors : Quid de l’Europe des énergies ?

Une Union européenne sous dépendance

Aujourd’hui plus de 50% du gaz naturel et plus de 75% du pétrole consommés dans l’Union européenne sont importés depuis des pays non membres de l’UE. Nos principaux fournisseurs, rien qu’en matière de gaz naturel, sont aujourd’hui la Russie, la Norvège et l’Algérie (avec respectivement 33%, 30% et 25% des importations pour les pays de l’ex-Europe des Quinze).

Mais d’ici à une vingtaine d’années et avec l’épuisement des gisements norvégiens, cette dépendance énergétique des Etats membres de l’Union européenne vis à vis de la Russie devrait très certainement considérablement augmenter.

Dans le détail, la part du gaz russe dans les importations européennes représentent entre 90 et 100% de la consommation en gaz naturel dans les pays baltes dans certains pays des Balkans [1], environ 70 à 80% pour certains pays d’Europe centrale et balkanique [2], environ 60% en Pologne et en Turquie, environ 50% en Ukraine et en Biélorussie, environ 33% en Allemagne et en Croatie, et environ 25% en France et en Italie [3].

Quand notre principal fournisseur se fixe de nouveaux objectifs politiques...

En effet, le principal producteur (et premier exportateur mondial) de gaz naturel est aujourd’hui bel et bien la Russie [4]. Grande Russie qui possède aujourd’hui des réserves de gaz naturel estimées à près de 50 000 milliards de mètres cubes [5]. La production [6] et l’acheminement de cette ressource sont aujourd’hui assurées par l’entreprise semi-publique Gazprom : consortium aujourd’hui n°1 mondial du gaz qui appartient à l’Etat russe à hauteur de 51% de son capital (et entreprise dont le chiffre d’affaires représente aujourd’hui à lui seul environ 7% du PIB de la Russie...).

Cependant, le gouvernement russe s’est récemment fixé de nouveaux objectifs en termes de politique extérieure et en matière de politique énergétique. Où il s’agit autant de s’assurer de nouvelles parts de marché dans un marché européen des énergies aujourd’hui en pleine expansion, que d’utiliser ses ressources énergétiques comme moyen de pression afin de replacer la Russie sur le devant de la scène mondiale et ainsi lui rendre l’influence et rang international auxquels cette ancienne puissance impériale aspire visiblement encore aujourd’hui [7].

Ainsi, on aura vu - l’hiver dernier - comment la Russie a usé et abusé de cette ’’arme énergétique’’ pour rappeler à l’ordre ces anciens satellites post-soviétiques (Ukraine, Géorgie, Arménie, etc) qui avaient alors imprudemment officiellement déclarés vouloir davantage se tourner vers l’Occident, au détriment de Moscou.

Le tout dans un contexte géopolitique bien particulier de retour de la Russie sur la scène internationale où, comme on l’a alors vu, il semble que 50% du prix économique officiel soit en fait de nature strictement politique. De la sorte même qu’à l’occasion de cette crise énergétique de l’hiver dernier, on aura vu certains pays de l’Union européenne souffrir d’un approvisionnement énergétique insuffisant.

Ainsi, la Pologne, la Roumanie et l’Italie (par exemple) allaient connaître des livraisons gazières amputées jusqu’à près de 40% de ce que prévoyaient leurs contrats initiaux d’approvisionnement. Pour les pays de l’Union européenne, cela sonnait là comme un avertissement puisque dès lors se posait la question de la sécurisation et de la continuité de nos livraisons en gaz naturel en provenance de la Russie.

Une crise bénéfique ?

La récente crise énergétique gazière de l’hiver dernier a donc permis de mettre sur le devant de la scène les problèmes de dépendance énergétique de l’Union européenne (et du manque de coordination en la matière de la part de ses Etats membres). Une crise dont l’ampleur aura en tout cas permis de mieux percevoir la nécessité d’une véritable approche communautaire de la politique de l’énergie.

En effet, les traités actuellement en vigueur n’offrent pas de base juridique spécifique en matière d’énergie. Et dans l’hypothèse où, demain, une nouvelle crise énergétique arrivait, les Institutions européennes ne pourraient seulement qu’ ’’aider les pays dans la (seule) coordination des moyens utilisés au niveau national’’ (sic). Et si jamais cela s’avérait insuffisant, en l’état actuel des textes la Commission européenne ne pourrait alors jamais faire que des ’’recommandations’’. Et rien de plus.

L’impuissance communautaire en la matière est éloquente. Ainsi, les experts de la Commission avouent d’eux-mêmes ne pas connaître le véritable niveau des réserves de l’UE (puisque les statistiques sont établies indépendamment dans chaque pays et ne sont pas du ressort des autorités communautaires...). Mais il y a pire : même si la Commission disposait de ces statistiques, elle ne saurait qu’en faire puisque la politique énergétique commune reste très clairement aujourd’hui encore à construire [8].

Ainsi, à l’heure actuelle, faute de texte juridique sur la question, les actions relatives à cette question se déclinent aujourd’hui dans l’UE dans le seul cadre de diverses politiques communautaires (environnement, relations extérieures, etc). Ce qui limite la transparence et, aussi, l’efficacité pour la prise de décisions. Et ce, tant au niveau politique qu’au niveau industriel.

Essayer d’établir un partenariat énergétique équilibré avec la Russie

Ce pourquoi, alors que la question de l’envolée récente des cours du pétrole avait déjà relancé le débat en la matière, on peut dire aujourd’hui que cette crise gazière subite et insistante a renforcé la nécessité de construire une véritable approche communautaire en termes de politiques européenne de l’énergie. Et ce, tout en essayant d’établir un partenariat équilibré avec la Russie.

En effet, la Russie a aujourd’hui du pétrole et du gaz sans lesquels l’Europe se gèlerait l’hiver prochain. Et l’Europe a de l’argent pour les acheter, sans lequel la Russie serait condamnée à la misère. Aucun des deux ’’partenaires’’ ne peut donc renoncer aux services de l’autre. Ce pourquoi la Russie a beau aujourd’hui menacer d’exporter son énergie ailleurs, elle ne pourra sans doute pas le faire avant quinze ans.

Et l’Europe a beau aujourd’hui vouloir prétendre se débarrasser de l’envahissante Gazprom, elle aura au moins besoin du même délai pour que d’autres fournisseurs et de nouvelles centrales atomiques assurent son approvisionnement énergétique [9]. D’où l’intérêt d’essayer d’établir avec la Russie un partenariat énergétique dégagé de toutes considérations politiques ’’néo-impériales’’.

Ainsi, la Finlande, actuellement à la tête de la présidence semestrielle du Conseil de l’Union européenne, se propose d’aider la Russie à se développer par l’exploitation de ses ressources naturelles à destination de ses ’’clients’’ européens. Pour ce faire, la Finlande -qui, contrairement à l’Ukraine, peut se féliciter d’avoir noué avec son grand voisin des relations énergétiques fiables (bien que dépendante à 100% du gaz russe...)- a récemment fait un certain nombre de propositions.

Propositions finlandaises récentes parmi lesquelles, par la voix de son ministre des finances M. Eero Heinäluoma [10], celle d’associer plus étroitement la ’’Banque européenne d’investissements’’ (BEI) à de futurs projets de développements énergétiques en Russie. Et ce, dans la cadre technique de ’’joint ventures euro-russes’’ et dans une démarche de ’’développement partagé’’.

Vers une Europe de l’énergie ?

Ainsi, lors de sa réunion d’Hampton Court, en octobre 2005, le Conseil européen a donné mandat à la Commission européenne pour étudier ’’la question d’une approche énergétique commune renforcée’’.

Laquelle Commission européenne a publié, en mars dernier, un ’’Livre vert’’ spécialement consacré à ce sujet [11] dans lequel elle s’essaie à développer une analyse stratégique commune et véritablement européenne des questions énergétiques : un document dans lequel la Commission avançait aussi un certain nombre de propositions pour améliorer le fonctionnement du marché de l’énergie ainsi que la sécurité de nos approvisionnements. Et ce, dans le cadre d’une économie dite de ’’développement durable’’.

Grâce à ce ’’Livre vert’’ et grâce à la prise de conscience du problème par les opinions publiques européennes (et leurs gouvernements...), on espère que la politique communautaire de l’énergie fera de grands pas. D’autant qu’une telle perspective semble enfin être sérieusement examinées par les autorités communautaires et par les Etats membres, comme ce semble avoir été le cas lors du ’’Sommet européen’’ de mars dernier.

Et d’autant qu’une telle perspective semble aujourd’hui sérieusement envisagée et soutenue par une majorité de citoyens de l’Union [12] même s’il restera donc à débattre des modalités d’une telle politique énergétique commune et à prendre certaines décisions comme choisir de se tourner davantage vers le nucléaire, de développer les énergies renouvelables et alternatives et/ou d’investir dans le développement de la Russie (et de ses infrastructures).

Alors « l’Europe de l’énergie », est-ce pour bientôt ? En tout cas, il a été convenu -en conclusion du Sommet européen de mars dernier- que la Commission européenne devrait désormais présenter chaque année aux Etats membres un exposé circonstancié de la situation sur ce dossier précis.

Et d’ores et déjà le Conseil et la Commission européenne ont été invités à préparer « un ensemble d’actions assorties d’un calendrier précis ». Bref, avec de telles bonnes résolutions, il est clair que la réflexion sur le sujet ne peut que se poursuivre...

Bien entendu, tout dépendra de la lucidité et du courage politique de nos dirigeants actuels. Mais il semble bien aujourd’hui que l’approche communautaire intégrée soit vraiment l’approche jugée par ces différentes parties en présence comme étant la plus pertinente pour régler de tels problèmes.

Telle est, en tout cas, l’approche défendue par la Commission européenne et par l’actuelle présidence finlandaise de l’UE. Une ambition pourtant déjà définie telle quelle dans l’actuel projet de... Traité constitutionnel.

- Illustrations :

Une ligne à haute tension (Sources : flickr)

- Sources :

« Gaz russe : le grand jeu » : Dossier paru, durant la crise gazière de l’hiver 2005-2006, dans le « Courrier International » n°793 du 12 janvier 2006.

« La revanche de Poutine » : Dossier paru, à l’occasion du sommet du G8 (à Saint-Pétersbourg) des 15-16-17 et 18 juillet 2006, dans le « Courrier International » n°819 du 13 juillet 2006.

Un article initialement publié dans nos colonnes le 19 juillet dernier.

Notes

[1i. e : Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie et Moldavie, Bulgarie, Serbie ou Macédoine

[2i. e : Grèce, Roumanie, Hongrie, Autriche, République tchèque, Slovaquie

[3Chiffres datant de 2005 et 2006, rassemblés depuis des sources diverses par l’hebdomadaire « Courrier International » dans son n°819 du 13 juillet 2006, ici page 29.

[4Avec environ 20% des exportation mondiales de gaz naturel.

[5Soit plus de 25 % des réserves planétaires à ce jour inventoriées...

[6Dont les 2/3 sont réservés au marché et à la population russe.

[7Pour illustrer cette idée, juste méditer ces propos récemment tenus par M. Sergueï Ivanov, ministre des Affaires étrangère de la Russie, depuis peu pressenti -entre autres candidats au poste- pour succéder à Vladimir Poutine, en 2008, comme prochain président de la Fédération de Russie : « En politique extérieure, le pétrole et le gaz comptent autant que les armes nucléaires pour la défense des intérêts nationaux », sic.

[8Sources : « A Bruxelles, on plaide l’impuissance », un article de la « Gazeta Wyborcza » repris dans le « Courrier International » n°793 du 12 janvier 2006 (ici, page 17).

[9Sources : Propos tenus dans un article de la « Novaïa Gazeta » de Moscou, propos repris dans le « Courrier International » n°809 du 4 mai 2006 (ici, page 16).

[10Cité in « Figaro » du 3 juillet 2006 (page 5).

[11Document intitulé « Livre vert sur une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable ».

[12A hauteur de près de 50% si l’on en croit un sondage ’’Eurobaromètre’’ de l’hiver dernier : 47% des citoyens de l’Union européenne sondés considérant que l’UE est le niveau le plus approprié pour prendre des décisions sur ces questions énergétiques, et 37% d’entre eux seulement estimant que ces décisions devraient plutôt intervenir au niveau national.

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