La crise des réfugiés syriens, un « fardeau insupportable » pour le Liban
Depuis 2011 et le déclenchement de la guerre en Syrie, le Liban accueille la plus importante population de réfugiés au monde par rapport au nombre d’habitants. Le pays du Cèdre, qui partage ses frontières avec la Syrie au nord et à l’est et avec Israël au sud, reste en effet un « petit pays » de 6,2 millions habitants. L’accueil récent de plus d’un million de réfugiés - sans compter les réfugiés palestiniens présents de longue date – est donc un défi sans précédent pour le Liban.
Et même si depuis 2015, le gouvernement libanais applique une politique restrictive aux frontières et un gel de l’enregistrement des réfugiés par les autorités compétentes, le nombre de réfugiés syriens enregistrés n’a que légèrement diminué, passant de 1,017 million en 2016 à 1,001 million en 2017, selon l’évaluation de la vulnérabilité des réfugiés syriens au Liban publiée par l’UNICEF (Fonds des Nations unies pour l’enfance ) et l’UNHCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) en 2017.
C’est ainsi que dès les premières minutes de son allocation, le Président libanais a rappelé la gravité de la situation dans laquelle se trouve son pays, et notamment les nombreuses conséquences du conflit syrien. Il a déclaré : « Le déplacement, en particulier des Syriens, reste l’une des retombées les plus lourdes des guerres de voisinage qui nous ont été imposées, d’un point de vue économique, sécuritaire et social. Par solidarité humaine, le Liban a accueilli plus d’un million et demi de Syriens déplacés, tous ayant fui l’enfer de la guerre dans leur pays »
Michel Aoun a ensuite insisté sur la faillite de la solidarité internationale dans la gestion des crises migratoires. La communauté internationale - l’Union européenne en premier lieu – a ignoré « le principe de partage des charges entre États » qui aurait eu pour conséquence « d’atténuer l’impact de ce déplacement [de population] sur le Liban ». Le chef de l’État libanais a dans ce cadre appelé à « la mise en application des décisions de soutien financier, notamment celles adoptées lors de la conférence de Bruxelles » du 24 et 25 avril 2018. Cette conférence, qui avait mobilisé 57 pays, 10 organisations régionales et 19 agences de l’ONU, a réussi à mobiliser une aide pour les Syriens qui se trouvent à l’intérieur de leur pays ou dans les pays voisins, y compris en faveur des communautés d’accueil, par des engagements d’un montant total de 4,4 milliards de dollars pour 2018.
Mais le chef de l’État a immédiatement rappelé les réserves émises concernant certains points du communiqué final de la conférence de Bruxelles, « notamment ceux qui ont trait au retour volontaire des déplacés, le lien de ce retour avec la solution politique et l’intégration des déplacés sur le marché du travail dans les pays d’accueil ». « Il convient de rappeler à cet égard que le Liban est un pays d’émigration et non pas un pays d’implantation, encore moins un marché de travail, a-t-il souligné. Les Libanais dispersés à travers le monde et sur le continent européen en particulier, en sont la preuve ». Il est vrai que la diaspora libanaise, successivement formée lors des différentes crises traversées par le pays, est l’une des grandes diasporas mondiales par son ancienneté et son ampleur.
Pour conclure sur le sujet de la crise des déplacés syriens, Michel Aoun a affirmé que l’objectif principal de sa politique est d’assurer un retour digne et sûr des déplacés syriens, et « rejette tout retard à cet égard ». Il explique : « Mon pays appuie toute démarche visant à solutionner le déplacement massif des Syriens sur son territoire, à l’instar de l’initiative russe, et refuse de lier le retour des déplacés à une solution politique qui pourrait tarder à venir ».
La question palestinienne
Depuis ses origines [2], le Liban a traversé des crises récurrentes et une terrible guerre civile suivie de conflits sporadiques. Mais l’événement qui eut les retombées les plus lourdes est sans aucun doute le conflit arabo-israélien. Encore aujourd’hui, la question palestinienne reste au cœur de la politique libanaise.
Ainsi, le président libanais a soutenu que « la politique internationale appliquée au Proche-Orient ne fait qu’exacerber la radicalisation et ouvrir la voie à la violence et au terrorisme ». Il a ensuite indiqué que cette politique a conduit Israël « à judaïser Jérusalem et en faire sa capitale » en ignorant « toutes les résolutions internationales et les votes du Conseil de Sécurité et de l’Assemblée Générale » [de l’ONU].
Fin août 2018, l’arrêt du financement américain à l’UNRWA ( Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) a été confirmé. L’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens, créée en 1949 au lendemain du déclenchement de la guerre israélo-arabe, apporte des services vitaux aux réfugiés palestiniens vivant en Cisjordanie (Jérusalem-Est comprise) et dans la bande de Gaza ainsi qu’en Jordanie, au Liban et en Syrie. En tout, plus de 5,2 millions de Palestiniens sont au-jourd’hui enregistrés par l’agence onusienne comme réfugiés.
Pour Michel Aoun, cette décision américaine ne peut que signifier « le début d’une implantation de fait des Palestiniens dans les pays d’accueil, dont le Liban ». « Une implantation que l’on refuse au nom de la justice et de l’égalité entre les hommes, a-t-il ajouté. De plus, notre Constitution prohibe toute implantation, morcellement et partition du pays ».
Une « conjoncture économique difficile »
Il n’est en rien étonnant que les questions économiques aient été abordées lors de ce discours. Tout d’abord, l’UE est le principal partenaire commercial du Liban, représentant environ un tiers du commerce libanais. Depuis 2006, les relations UE-Liban, notamment sur un plan économique, sont régies par un accord d’association. Michel Aoun a rappelé que « le Liban a souffert du poids des crises qui sévissent dans les régions environnantes et cela tant aux niveaux économique, social que sécuritaire ». Il a indiqué que le Liban faisait « face actuellement à de nombreux défis, en tête desquels figure la conjoncture économique difficile ». « Nous avons lancé les grandes lignes d’un plan économique qui dessine une feuille de route pour relancer les secteurs productifs et moderniser les infrastructures, a-t-il poursuivi. Ce plan vient conforter les décisions de la conférence (de soutien au Liban) CEDRE ».
A l’issue de la Conférence internationale CEDRE, qui s’est tenue le vendredi 6 avril 2018 à Paris, le Liban a obtenu onze milliards de dollars de promesses de prêts et de dons. Une cinquantaine d’États et d’organisations internationales se sont mobilisées pour aider le pays à financer son plan pluriannuel de développement. « Ma priorité aujourd’hui concerne la lutte contre la corruption et la promotion de la transparence où nous avons déjà réalisé quelques succès, a également dit Michel Aoun. Cependant, notre grand chantier va démarrer avec le nouveau gouvernement, qui sera chargé d’appliquer le plan de relance économique et les décisions de la CEDRE, pour asseoir la stabilité et la prospérité dans le pays ».
Une situation politique instable qui ne remet pas en cause la stabilité du pays
Depuis les élections législatives libanaises du 6 mai 2018, qui se sont soldées par la courte victoire du Hezbollah chiite-radical et de ses alliés, la formation d’un gouvernement est rendue difficile par les succès de camps plutôt opposés. A l’heure actuelle, aucun gouvernement n’a encore été formé.
« Ce qui se passe dans notre région aujourd’hui nous attache encore davantage au Liban, État fondé sur un principe démocratique qui, malgré certaines défaillances, rassemble toutes les composantes du peuple libanais, a déclaré Michel Aoun. A cause des conflits qui nous entourent, le Liban a récemment connu des divisions au niveau politique mais non pas au niveau national. Le discours était certes enflammé, mais il n’a pas mis le feu aux poudres. Lorsque certains ont déraillé pour choisir la voie de l’extrémisme et de la pensée intégriste, ils ont été aussitôt rejetés par leur communauté et leur environnement ».
En conclusion, le Président libanais a rappelé que « la société libanaise, de par sa nature, ne constitue pas un foyer propice à l’extrémisme et au refus de l’autre. Le respect de la liberté de croyance, d’expression, d’opinion et du droit à la différence sont une partie intégrante de la culture des Libanais ». « Cette caractéristique propre au Liban l’aide à surmonter ses problèmes et à consolider sa paix et sa stabilité. Elle peut servir d’exemple à d’autres pays pour bâtir un avenir plus en phase avec la modernité et les droits de l’Homme » a-t-il ajouté, sous les applaudissements des députés européens. Dans les prochains temps, Michel Aoun devrait présenter aux Nations Unies un projet visant à faire du Liban un centre permanent du dialogue entre les différents peuples et les différentes religions. Il appelle l’Union européenne à soutenir le Liban dans cette démarche positive.
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