Quel accord ?
Négocié depuis 1991, l’accord commercial UE-Mercosur a pour but d’établir une zone de libre-échange entre les deux marchés : alors que la menace des mesures protectionnistes de Trump se précise suite à son élection en novembre dernier, l’accord permettrait, selon ses promoteurs, à l’UE de diversifier ses partenaires en commerçant avec des pays latino-américains à forte croissance. L’accord prévoit ainsi la suppression d’environ 90% des droits de douanes sur de nombreux produits tels que les produits manufacturés mais aussi les produits agricoles et d’élevage.
Le texte est ainsi vu comme une manière de renforcer l’autonomie stratégique de l’Union européenne. Cependant, beaucoup critiquent le fait que contraindre encore plus la politique commerciale européenne par des accords de libre-échange est une tendance à rebours du reste du monde (et surtout des géants face à lesquels l’Europe tente de s’émanciper, Etats-Unis et Chine en tête). Cela risquerait de limiter l’efficacité des barrières douanières que le continent souhaite édifier pour se protéger de potentiels dumpings (ce qui, dans un continent où des personnalités politiques radicales peuvent prendre le pouvoir, est plausible).
Enfin, le deal pourrait également permettre une réduction des prix, notamment en matière alimentaire, ce qui pourrait bénéficier à certains consommateurs mais risquerait de compliquer le modèle économique des éleveurs.
Un accord au coeur de débats lancinants
Dès le début de sa négociation, l’accord a fait l’objet de fortes polémiques : ses promesses économiques, c’est-à-dire 0,1% de croissance du PIB européen d’ici 2032 (selon la dernière analyse d’impact publiée par la Commission européenne en 2021), sont ainsi jugées trop faibles par rapport à ses risques. Du côté européen, la critique vient plutôt du monde agricole et des pays qui ont une industrie agricole importante (comme la France). En effet, même si l’importation de viande venant des pays du Mercosur devrait avoir un impact modéré sur la production européenne, de l’ordre de 0,7% à 1,2% selon un rapport de la Commission européenne publié en 2021, du fait des quotas d’importations, le problème principal est d’ordres économique et symbolique. Économiquement, le Mercosur devrait faire baisser les prix de la viande et donc les revenus des éleveurs et surtout, symboliquement, il permettra à des producteurs étrangers d’exporter leurs produits en Europe avec des critères moins contraignants que leurs homologues européens (même si certains excès seront contrôlés).
Face à l’inquiétude du milieu agricole, la Commission européenne a annoncé des mesures d’aides aux agriculteurs comme un fonds de compensation doté de 1 milliards d’euros. Mais ces mesures ne semblent pas suffisantes car elles continuent la même logique qui, selon les agriculteurs, est promue depuis la réforme MacSharry de la PAC en 1992 (qui a réduit considérablement les prix planchers) : faire des concessions de la part du secteur agricole européen pour renforcer l’industrie, tout en indemnisant en partie les agriculteurs, les rendant dépendant des aides financières au lieu de leur travail.
Enfin, sur le plan environnemental, la promotion d’accords de libre-échange avec les pays latino-américains risquerait d’entraîner une aggravation de la déforestation en Amérique latine en permettant à un modèle agricole extensif de se perpétuer. Selon le rapport de la commission d’évaluation du projet d’accord UE-Mercosur en 2020, la déforestation pourrait augmenter de 5% dans les 6 années suivant la ratification de l’accord. C’est la raison pour laquelle l’ancienne chancelière allemande de la CDU Angela Merkel avait refusé de signer l’accord en 2020 (bien que l’actuel chancelier Olaf Scholz, chancelier du SPD allié avec les Verts, y soit favorable).
Une méthode qui interroge
En dehors des termes de l’accord, c’est plutôt la méthode de signature qui interroge : alors que la France, principale opposante au projet (et ce, fait rare, de manière unanime au sein de toutes les forces politiques), était en pleine crise suite à la chute du gouvernement Barnier, la présidente de la Commission européenne a décidé de signer l’accord avec le Mercosur.
Même si cette signature ne signifie pas que l’accord sera adopté (car il doit être validé au Parlement européen puis au Conseil de l’Union européenne), elle laisse planer un doute sur l’incarnation de l’esprit de compromis européen par la nouvelle Commission. De plus, alors que Ursula von der Leyen promettait en 2019 une politique ambitieuse de lutte contre le changement climatique, la signature d’un accord problématique du point de vue environnemental ainsi que la réduction de la voilure sur le Green Deal pose question.
Quel avenir pour l’accord ?
En plus des mouvements d’oppositions agricoles en Europe (la plupart des syndicats français, espagnols, italiens, néerlandais ou encore polonais sont opposés à l’accord en l’état), l’avenir de l’accord commercial UE-Mercosur reste incertain car il doit encore être validé par le Parlement et le Conseil de l’UE.
Au Parlement, les groupes de la Gauche et des Verts devraient voter contre ainsi que les Patriotes et les souverainistes tandis que les sociaux-démocrates, Renew Europe et le PPEy sont favorables avec, cependant, des défections importantes de la part des représentants français. Ainsi, au moins 250 députés pourraient s’opposer à l’accord : la décision du groupe des Conservateurs et réformistes européens (78 députés) ainsi que des délégations polonaises, autrichiennes ou italiennes pourraient bloquer le deal dès décembre ou janvier.
L’épreuve du feu pour l’accord est cependant le vote au sein du Conseil : la France fait ainsi preuve d’une campagne active pour bloquer le texte, ce qui nécessite de réunir au moins 3 autres pays européens représentant, avec la France, près de 35% de la population de l’UE. La Pologne (qui est elle aussi gouvernée par un Premier Ministre pro-européen, Donald Tusk ayant été président du Conseil de 2014 à 2019) s’est officiellement positionnée contre, représentant avec l’Hexagone 23% de la population européenne.L’Autriche et les Pays-Bas se sont également opposés au texte (bien que cette décision puisse changer) mais il manque encore l’équivalent de 5% de la population européenne pour faire échouer l’accord. Le pays clé est donc l’Italie : Giorgia Meloni est en effet contrainte d’arbitrer entre les syndicats agricoles et une part substantielle de son électorat anti-libre-échange (représenté par son ministre de l’Agriculture) et la volonté des milieux d’affaires italiens d’accéder à de nouveaux marchés, la décision de Rome pourrait donc sceller le sort de l’accord.
Quelle que soit la décision italienne, même si l’accord est voté, ce sera aux prix de luttes étatiques bien loin de l’esprit coopératif européen (comme le montre le communiqué de l’Elysée qui, malgré le caractère pro-européen du président Macron, a été très critique de la décision de la présidente de la Commission de signer le Mercosur) et est probablement l’un des plus beaux cadeaux aux eurosceptiques européens pour 0,1% de croissance d’ici 2032, bref, une victoire à la Pyrrhus.
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