La fin d’une neutralité nordique aux racines historiques
La Finlande et la Suède étaient jusqu’à présent deux des six Etats membres de l’Union européenne (UE) à être officiellement neutres. Aujourd’hui, les peuples des deux pays discutent pour revenir sur cette neutralité pourtant ancrée dans leur identité nationale. La Suède a participé pour la dernière fois à une guerre en 1815, malgré les guerres mondiales et les différents conflits du XIXème et XXème siècle, tandis que la Finlande a été le symbole de l’équilibre entre Est et Ouest pendant la guerre froide, allant jusqu’à donner son nom à cette conception diplomatique : la « finlandisation ».
A la fin de la guerre froide, et plus particulièrement en 1994, les deux pays nordiques ont signé avec l’OTAN le Partenariat pour la paix, un accord qui veille au dialogue entre les membres de l’Alliance et les États-tiers avoisinants. Le cadre a permis à la Suède et à la Finlande de coopérer étroitement avec l’Alliance, jusqu’à exécuter des entraînements militaires conjoints, et à renforcer l’interopérabilité de l’armement entre le commandement militaire de l’OTAN et leur armée nationale.
Dans ce contexte, l’accession à une alliance militaire de la part de la Suède et de la Finlande, et donc la rupture avec leur neutralité traditionnelle, peut être considérée comme « historique » aux dires de la Première ministre socialiste de la Finlande, Sanna Marin. Cette dernière a décidé conjointement avec le Président de la République de Finlande, Sauli Niinistö (Kok, conservateur), de cette rupture avec l’histoire du pays qui ne pouvait pas être prise à la légère, « J’étais absolument sûre ! ». Pour cela, le gouvernement finlandais, tout comme celui de Suède, a souhaité une large majorité allant au-delà des clivages partisans, soucieux de confronter les sondages montrant une majorité pour l’adhésion à l’OTAN à la réalité politique telle que représentée dans l’enceinte du Parlement. Pour l’heure, une adhésion à l’Alliance transatlantique est considérée comme souhaitable par les partis de centre-droit, de centre-gauche, les partis libéraux, écologistes et certains autres partis conservateurs. L’extrême-droite, elle, considère l’adhésion à l’OTAN comme une ligne rouge et souhaite voir leur pays en dehors de toute alliance, pour conserver de bonnes relations avec la Russie. La gauche radicale est quant à elle divisée, entre ceux qui considèrent l’OTAN comme un catalyseur des tensions avec la Russie, et ceux qui la considèrent comme un bouclier permettant la sécurité de la population. Vasemmistoliitto (Gauche radicale), parti membre de la coalition gouvernementale, a déjà prévenu : quelle que soit la décision prise, le parti continuera à soutenir le gouvernement.
Rysskräck [1] : une conséquence directe de la guerre en Ukraine
Les candidatures à l’alliance euro-américaine n’ont rien de fortuit. Elles sont indéniablement liées à la guerre en Ukraine provoquée par la Russie. La Finlande est l’État européen qui partage le plus de kilomètres de frontière avec la Russie après l’Ukraine, totalisant ainsi plus de 1 340 kilomètres de frontières. La Suède, quant à elle, ne possède qu’une frontière maritime avec l’exclave russe de Kaliningrad et a subi plusieurs accrochages avec la Russie. Un avion de chasse russe a violé l’espace aérien suédois le 29 avril 2022, et un sous-marin russe a été détecté dans les eaux de Stockholm, la capitale suédoise, en 2014.
L’accumulation de ces accidents, la crainte de la Russie et le retour de l’utilisation de la force armée comme outil de résolution des conflits par cette dernière, ont provoqué une forte hausse du soutien suédois et finlandais à une adhésion de leur pays à l’OTAN. Par une adhésion pleine et entière, les deux États nordiques souhaitent prévenir toute tentative d’agression ou de déstabilisation russe.
Les deux pays cherchent néanmoins à montrer que leur souhait de sécurité n’est pas incompatible avec des « relations fonctionnelles » avec la « Grande Russie », comme le précise Inka Hopsu, députée finlandaise écologiste. Il n’est pas exclu que la Finlande continue de coopérer dans certains domaines avec son voisin. De même, la Suède souhaite voir ce qu’il lui reste de liens avec la Russie et refuse l’installation sur son territoire de bases militaires ou de sites nucléaires à visée militaire. Moscou n’a pas attendu la réponse de l’OTAN pour réagir. Le pays a coupé l’approvisionnement de la Finlande en électricité, un geste symbolique puisque la Finlande ne dépend que marginalement de l’électricité russe. Alors que les débats parlementaires en Finlande et en Suède sur la question n’étaient pas encore clos, le président de la Russie, Vladimir Poutine, a réagi en personne aux déclarations des deux chefs de gouvernement. Il affirme que « l’adhésion de la Suède et de la Finlande n’est pas une menace pour la Russie […] mais Moscou réagira [en cas d’établissement d’infrastructures militaires otaniennes sur leur territoire] », une position préoccupante, mais tout de même mesurée de la part du chef du Kremlin, qui pourrait laisser entrevoir une relative continuité dans les relations bilatérales malgré l’adhésion. Mieux, une telle réponse pourrait symboliser une Russie ouverte au dialogue alors que cette dernière perd peu à peu du terrain en Ukraine.
Côté OTAN, il existe un consensus pour une adhésion expresse de la Suède et de la Finlande à l’Alliance qui pourrait se concrétiser d’ici l’automne, alors qu’habituellement l’adhésion prend plusieurs mois, voire plusieurs années. En attendant, plusieurs personnalités de l’alliance ont tenu à rassurer : tout sera mis en œuvre pour préserver l’intégrité territoriale des États candidats, comme le montre le pacte de défense entre la Suède, la Finlande et le Royaume-Uni, signé le 12 mai.
La consécration pragmatique de l’OTAN comme défense de l’Europe
L’adhésion des deux pays nordiques en réaction à la guerre en Ukraine est donc le symptôme d’une mutation géopolitique en Europe, et consacre la place centrale de l’OTAN dans la structure de défense de l’Union européenne. Alors qu’il y a quelques mois seulement, l’Alliance était en « état de mort cérébral », jamais l’OTAN n’avait semblée plus vivante que depuis le début de « l’intervention » russe.
Sur les vingt-sept membres de l’Union européenne, seulement quatre restent en dehors de l’organisation otanienne : l’Irlande, Chypre, Malte et l’Autriche. Sur les sept États candidats à l’adhésion de l’UE, quatre sont déjà dans l’OTAN (Albanie, Macédoine du Nord, Monténégro et Turquie) et un est candidat (Bosnie-Herzégovine). La quasi unanime participation à l’alliance militaire de la part des membres de l’UE permet une meilleure cohésion en matière militaire et en matière diplomatique. L’interopérabilité des troupes et des équipements, le partage et l’harmonisation des doctrines militaires pourraient permettre l’émergence d’une défense commune aux Etats membres de l’Union.
Toutefois, l’adhésion de la Suède et de la Finlande rend floue la frontière entre UE et OTAN. L’indépendance diplomatique et militaire de l’Europe est dès lors condamnée par une alliance qui englobe aujourd’hui presque l’ensemble de l’Union, ainsi que la première puissance mondiale que sont les Etats-Unis d’Amérique. L’Union européenne doit donc, désormais, chercher à développer une réelle autonomie stratégique, notamment en matière de défense et de diplomatie, afin que l’Europe puisse disposer d’une réelle liberté dans ses affaires extérieures, indépendamment de toute puissance, russe comme américaine.
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