Airbus dans le viseur de l’Organisation mondiale du commerce

Théâtre d’une longue guerre commerciale entre l’Union européenne et les États-Unis

, par Angélique Dessaigne

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Airbus dans le viseur de l'Organisation mondiale du commerce

Le 2 octobre 2019, les membres de l’OMC (l’Organisation mondiale du commerce) ont reçu la décision de l’Arbitre chargé de l’affaire qui oppose les États-Unis à l’Union européenne (UE) depuis maintenant quinze ans. Les États-Unis reprochent à l’UE d’avoir mis en place des mesures affectant le commerce d’aéronefs civils gros porteurs. En d’autres termes, les États-Unis dénoncent notamment la mise en place de subventions AL/FEM (aides au lancement) permettant à Airbus de développer de nouveaux modèles LCA (aéronefs civils gros porteurs) tels que l’A380, au détriment de la libre concurrence avec le géant américain Boeing. Dans leur décision, les membres de l’arbitrage autorisent les États-Unis à prendre des contre-mesures vis-à-vis de l’UE de l’ordre de presque 7 500 millions d’USD par an (soit environ 6 800 millions d’euros). Un feu vert que Donald Trump n’hésitera certainement pas à utiliser.

L’OMC donne raison aux États-Unis

Il y a donc quinze ans, le 6 octobre 2004, les États-Unis ont demandé l’ouverture de consultations avec les gouvernements allemand, français, britannique et espagnol, ainsi qu’avec les Communautés européennes (CECA, EURATOM, CE), « au sujet des mesures affectant le commerce des aéronefs civils gros porteurs ». Les États-Unis soulignent que les subventions octroyées à Airbus lui permettent d’avoir accès à des avantages concurrentiels, sur le plan technologique et financier, facilitant son insertion sur le marché de nouveaux modèles LCA. Selon les États-Unis, ces nouveaux modèles n’auraient pas vu le jour sans le soutien financier via des subventions de l’UE. Le lien de causalité « entre les subventions et la perte de ventes ou l’entrave subie » par le constructeur américain Boeing sur le long terme est donc établie.

Ces consultations n’ayant pas abouti, l’Organe de règlement des différends (ORD, formé par le conseil général de l’OMC), a formé un groupe spécial le 31 mai 2005 qui a rendu son rapport le 30 juin 2010. Ce dernier a donné en partie raison aux États-Unis sur le fait que des subventions spécifiques entraînent des pertes de ventes notables et menacent les intérêts américains. L’UE a fait appel de cette décision le 21 juillet auprès de l’Organe d’appel. Son rapport a été rendu le 18 mai 2011 et a conduit aux mêmes conclusions que le groupe spécial. L’UE a alors disposé de 6 mois pour se conformer.

Les États-Unis n’ont pas été convaincus par les mesures prises par l’UE et ont formulé une demande auprès de l’ORD pour la mise en place d’un groupe spécial de mise en conformité le 13 avril 2012. Le rapport du 22 septembre 2016 de ce nouveau groupe a une fois encore donné raison aux États-Unis. L’Union européenne a fait appel de cette décision, sans grand succès.

Les États-Unis ont, en parallèle, formulé une demande auprès de l’ORD pour prendre des contre-mesures vis-à-vis de l’UE le 9 décembre 2011, un niveau de mesures contesté par l’UE. Une procédure d’arbitrage a été ouverte et le résultat a été prononcé en faveur des États-Unis.

… mais les États-Unis ne donnent pas raison à l’OMC

L’Organe de règlement des différends (ORD) est composé des membres du Conseil général de l’OMC et représente l’ensemble des gouvernements membres par l’intermédiaire d’un ambassadeur ou d’un fonctionnaire de rang équivalent. Le président actuel est un Néo-Zélandais, David Walker. C’est notamment cet organe qui forme les groupes spéciaux et adopte les rapports qui en ressortent, ainsi que ceux de l’Organe d’appel.

L’Organe d’appel est composé de sept juges désignés par l’ORD. À l’heure actuelle, seulement trois membres forment l’Organe d’appel : Ujal Singh Bhatia (Inde), Thomas R. Graham (États-Unis) et Hong Zhao (Chine), président de cet Organe. En effet, la nomination d’un juge doit faire l’objet d’un consensus entre les États membres de l’ORD, tandis que les États-Unis bloquent toute nouvelle nomination. Pour continuer à mener à bien les procédures en cours, des juges, dont le mandat est expiré, ont été autorisés à achever les procédures d’appel dans lesquelles ils étaient impliqués avant la date de fin de leur mandat. Cela a été le cas au sein de l’Organe d’appel sur la mise en conformité. Or, les mandats des membres indien et américain expirent en décembre 2019, ce qui laissera l’Organe d’appel avec le seul juge chinois. Cela revient à condamner le système de règlement des différends de l’OMC.

Et c’est bien là le but de l’administration Trump. L’un des reproches majeurs des États-Unis envers l’OMC est que le caractère contraignant du système de règlement des différends. Sous le GATT, le système reposait sur le consensus, qui fonctionnait d’ailleurs extrêmement mal en raison de l’utilisation excessive du droit de veto des États membres. Aujourd’hui, avec l’OMC, le système de consensus a été renversé puisque pour aller contre une décision, il faut réunir l’ensemble des membres. Le droit de veto a disparu. Les États-Unis regrettent le temps où les différends se réglaient à huis clos puisque qu’avec leur statut de première puissance mondiale, ils pouvaient utiliser leur pouvoir de négociation face à des États économiquement plus faibles. Désormais, avec des juges indépendants dont les décisions sont contraignantes, les États-Unis ne disposent plus de cet avantage.

Quelles conséquences pour les relations transatlantiques ?

Donald Trump a réagi à propos de la décision de l’OMC en soulignant qu’elle est le résultat d’une volonté de retrouver les faveurs des Américains. La Commissaire européenne au commerce, Madame Cecilia Malmström, souligne dans sa déclaration que le géant Boeing a également reçu des subventions illégales de la part des États-Unis qui ont été rendus coupable par l’OMC, ce qui devrait permettre à l’UE de prendre aussi des contre-mesures. Mais la Commissaire souligne le souhait de l’UE de régler ce conflit à l’amiable.

En effet, l’instauration de mesures commerciales négatives réciproques pourrait entraîner une grave crise internationale en se diffusant à d’autres secteurs industriels tout autant qu’au commerce mondial dans son ensemble. Et Madame Malmström souligne que si les États-Unis prennent des contre-mesures à l’égard de l’UE, celle-ci n’hésitera pas à faire de même, précisant ainsi que les cartes sont entre les mains de Donald Trump. Le 18 octobre, les Américains ont fait valoir qu’ils augmenteront les droits de douane à hauteur de 7,5 milliards de dollars, un chiffre qui correspond en effet à celui avancé par l’OMC. Cependant, le ministre américain au Commerce, Robert Lighthizer, ne se dit pas fermé à d’éventuelles négociations. Une victoire pour Donald Trump qui retrouve son pouvoir de négociation et enfonce un peu plus l’OMC dans une crise existentielle.

[1] OMC : Communautés européennes et certains États membres – Mesures affectant le commerce des aéronefs civils gros porteurs-Décision de l’arbitre, addendum, le 2 octobre 2019, WT/DS316/ARB/Add.1

[2] Ibidem.

[3] OMC : règlement des différends, DS316 : Communautés européennes et certains États membres – Mesures affectant le commerce des aéronefs civils gros porteurs, wto.org, https://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/cases_f/ds316_f.htm

[4] OMC : Communautés européennes et certains États membres – Mesures affectant le commerce des aéronefs civils gros porteurs-Décision de l’arbitre, addendum, le 2 octobre 2019, WT/DS316/ARB/Add.1

[5] OMC : règlement des différends, DS316 : Communautés européennes et certains États membres-Mesures affectant le commerce des aéronefs civils gros porteurs, wto.org, https://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/cases_f/ds316_f.htm

[6] OMC : Communautés européennes et certains États membres – Mesures affectant le commerce des aéronefs civils gros porteurs-Décision de l’arbitre, le 2 octobre 2019, WT/DS316/ARB.

[7] Ibidem.

[8] Ibidem.

[9] OMC : Règlement des différends-Portail, wto.org

[10] OMC : Règlement des différends – Les membres de l’Organe d’appel, wto.org.

[11] Ibidem, voir notes (3) et (9).

[12] Shawn Donnan et Bryce Baschuk, « Trump’s Bid to Dismantle Global Trading System Poised for a Win », 30 juillet 2019, Bloomberg.

[13] Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on Tariffs and Trade (GATT)), créé en 1948 et remplacé par l’OMC en 1995 (voir OMC : histoire du système commercial multilatéral sur wto.org).

[14] AFP news agency on youtube.

[15] Commission européenne, « Déclaration sur la publication de la décision de l’OMC dans le cadre du différend relatif à Airbus », 2 octobre 2019, ec.europa.eu.

[16] Anne Eveno, « Face aux sanctions américaines, l’UE dit n’avoir « pas d’autre choix » que des représailles », Le Monde, mise à jour 19/10/2019.

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