Alain Lamassoure : « Prenons, tous ensemble, le pouvoir en Europe ! »

, par Lucas Buthion

Alain Lamassoure : « Prenons, tous ensemble, le pouvoir en Europe ! »

Député européen depuis 1999, Président de la Commission des budgets au Parlement européen depuis 2009, Alain Lamassoure est tête de liste UMP en Ile-de-France pour les élections européennes. A quelques semaines d’un scrutin qui ne passionne pas les foules, il revient pour Le Taurillon sur le climat de cette campagne et sa vision de l’avenir de l’UE, au regard des propositions d’autres partis politiques.

A trois semaines du scrutin, comment jugez-vous la couverture de la campagne jusqu’à présent par les médias français ? D’après vos échanges sur le terrain, les citoyens sont-ils conscients des enjeux de ces élections européennes ?

La couverture par les grands médias audiovisuels est quasi-inexistante. France-Télévisons refuse d’organiser sur la 2 un débat entre les quatre candidats à la présidence de la Commission, qui sont pourtant tous francophones ! TF1 n’a pas prévu d’organiser le moindre débat entre les têtes de listes des principaux partis, mais s’est fendue d’un reportage le 3 mai sur … les micro-listes, ces marginaux dont l’objectif est d’atteindre 1% des voix. Enfin, il est inadmissible que le gouvernement n’ait pas organisé la campagne habituelle d’information civique : selon le dernier Eurobaromètre, 40% des Français ne savent toujours pas comment sont élus leurs eurodéputés ! A un mois de l’élection ! Le périmètre des circonscriptions, le mode de scrutin, les nouveaux pouvoirs du Parlement et l’élection parlementaire du Président de la Commission restent massivement inconnus de nos compatriotes. C’est un déni de démocratie.

Vous avez rendu à plusieurs reprises François Hollande responsable de l’impopularité actuelle de l’Union européenne en France...Quelles sont donc vos principales critiques à l’égard de la politique européenne du gouvernement ?

C’est qu’il n’en a pas. Il a deux langages contradictoires, et aucune politique. A Bruxelles, il ne jure que par le respect des engagements européens. A Paris, le nouveau Premier secrétaire du PS lance la campagne en disant que « pour le PS, le vrai enjeu des élections européennes est la remise en cause des critères de Maastricht ». Et alors que, de la CECA au traité de Lisbonne, en passant par l’euro, tous les grands progrès de l’Europe se sont faits sur initiative franco-allemande, depuis deux ans Berlin n’a plus d’interlocuteur à Paris pour faire avancer l’Europe ensemble.

Lors de la présentation du programme de l’UMP pour les élections européennes, vous vous êtes décrit comme un "souverainiste méconnu", qualification inhabituelle vous concernant...Peut-on être pro-européen et souverainiste à la fois ?

Oui, l’Europe que nous bâtissons est bien l’Europe des Etats. Ce n’est pas une fédération : il y a une seule nation américaine, une seule nation allemande, et donc un vrai Etat fédéral correspond à une nation unique. L’Europe est une communauté de nations, qui ambitionne de combiner l’unité dans les domaines où celle-ci est nécessaire, et le maintien des diversités nationales là où celles-ci sont préférables. C’est l’équilibre subtil auquel parvient le traité de Lisbonne : à l’intérieur, nous unissons les règles de vie économiques pour bénéficier de l’égalité de concurrence sur un grand marché, et les principales règles de vie quotidienne des particuliers pour qu’ils se sentent partout chez eux en Europe ; à l’extérieur, nous nous organisons pour avoir une politique commune dans tous les domaines (commerce, finances, diplomatie, recherche, climat, internet, etc.) pour peser de tout notre poids à l’âge de la mondialisation.

Pour tout le reste, les Etats gardent leur compétence. Et grâce à l’article 50 du traité de Lisbonne, dont je suis l’un des auteurs, chaque Etat peut désormais quitter la famille européenne à tout moment et sans conditions s’il ne s’y sent plus à l’aise : qu’est-ce que la souveraineté, sinon la possibilité de reprendre en mains son destin à tout moment ? L’Europe dont nous avons besoin doit combiner la démocratie européenne et la souveraineté nationale. Vous remarquerez qu’aucun des traités européens n’a jamais évoqué la souveraineté, ni même le partage de souveraineté : on partage des compétences, chacun garde sa souveraineté.

Martin Schulz fait de la lutte contre l’austérité au niveau européen son principal cheval de bataille...Considérez-vous comme lui que les institutions européennes sont "allées trop loin" ? Comment allier rigueur et reprise économique au niveau européen ?

L’austérité de qui ? Des pays du nord, dont le taux de croissance se rapproche désormais de 3% ? De l’Autriche, où le chômage est inconnu ? De la Pologne, qui a pu sauvegarder un taux moyen de 2% depuis la faillite de Lehman Brothers ? Les pays condamnés à quelques années de cure de minceur sont ceux qui n’ont pas suivi les recommandations européennes à temps, ceux qui ont vécu en « cigales » très au-dessus de leurs moyens et que les pays « fourmis » ont eu l’immense générosité d’aider : sans cette aide, qui a dépassé les 200 milliards d’euros rien que pour la Grèce, l’austérité, certes très dure, se serait transformée en ruine complète. C’est un sujet sur lequel la gauche française est particulièrement hypocrite : elle espère que les recommandations de Bruxelles seront un tout petit peu moins rigoureuses pour éviter à la France la rigueur nécessaire à laquelle elle a été le seul des 28 membres de l’Union à échapper jusqu’ici. Mais il y a une chose qu’on ne peut pas attendre de l’Europe : c’est que nos partenaires fassent à notre place les efforts qu’ils ont déjà faits chez eux et que nous n’avons cessé de reporter dans le temps.

Sur l’immigration le Front National dénonce une "Europe passoire" et appelle à sortir de l’espace Schengen pour que la France recouvre la maîtrise de ses frontières. Partagez-vous ce constat fait par le FN, et cette solution ?

La proposition du FN est une plaisanterie. Nous ne sommes plus en 1950 mais en 2014. Nos peuples ne se préparent plus à se faire la guerre, ils sont réconciliés, ils échangent, ils se visitent, nos enfants se marient entre eux, nos entreprises fusionnent, des centaines de milliers de frontaliers effacent un peu plus chaque jour les vieux champs de bataille frontaliers. A Biriatou, au Perthus, à Lille, sur le Pont de l’Europe entre Strasbourg et Kehl, aux heures de pointe passent autant de voitures qu’à l’entrée du périphérique parisien. La frontière de la France n’est plus sur mes Pyrénées natales, elle est entre la Grèce et la Turquie, ou entre la Finlande et la Russie. Le seul moyen de maîtriser les flux migratoires, c’est de le faire ensemble au niveau européen.

Le traité de Lisbonne nous en donne tous les moyens diplomatiques, juridiques et financiers. Nous avons besoin d’un seul représentant pour négocier au nom des 28 avec les pays d’origine et de transit, en combinant pression politique et aide au développement. Nous avons besoin d’un corps de garde-frontières européen, aussi efficace que les coastguards américains. Et, comme les Canadiens, nous avons besoin d’une politique de quotas, avec, pour tous les pays européens, les mêmes règles sur les conditions d’entrée, de séjour, de circulation et de ressortissants des pays tiers. Alors, nous passerons de 28 régimes d’immigration subie à un régime commun d’immigration choisie.

La crise ukrainienne a révélé combien il était dramatique pour l’Europe de ne pas parler d’une seule et même voix...Seriez-vous en faveur d’un "Ministre des Affaires étrangères européen" pour doter l’Europe de cette voix diplomatique qui lui manque ?

Il existe déjà : c’est le Haut-Représentant. Mais il n’a pas la légitimité de s’exprimer tout seul au nom des 28 si ceux-ci ne sont pas d’accord. En réalité, nous sommes dans une période intermédiaire. Il ne peut pas y avoir encore de diplomatie européenne unique, mais quand Paris, Berlin et Londres sont d’accord, les autres européens suivent. Le Haut-Représentant peut les aider à définir une position commune, et les représenter ensuite. C’est ce qui s’est passé, par exemple dans la très difficile négociation avec l’Iran. C’est ce que Nicolas Sarkozy, pendant sa période de présidence du Conseil européen, a su faire admirablement vis-à-vis de la Russie qui tentait d’envahir la Géorgie. Nous souffrons aujourd’hui d’une absence de volonté politique claire, à Berlin comme à Paris et à Londres, vis-à-vis de Moscou.

Les négociations de l’accord de libre échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis suscitent à gauche de l’échiquier politique beaucoup d’inquiétudes, les Verts et le Front de Gauche appelant à rejeter un tel accord. Comprenez-vous ces craintes ? Etes-vous en faveur de cet accord, et sous quelles conditions ?

Une hostilité de principe à signer un accord alors même que les négociations ne font que commencer ne s’explique que par un anti-américanisme primaire et une phobie à l’égard de l’économie de marché qui n’existent plus que dans la gauche française et chez quelques marxistes reconvertis à l’écologie dogmatique. Le projet de traité est une idée européenne, que les Américains n’ont acceptée qu’en traînant les pieds. Dès le premier jour, les Européens ont demandé et obtenu que l’on exclue de la négociation tout ce qui relève de la culture (« l’exception culturelle »), ainsi que les normes sanitaires dans l’alimentation : pas question d’importer des poulets chlorés ni des bœufs aux hormones !

Cela acquis, il s’agit d’essayer de se mettre d’accord sur des normes communes, des standards, techniques, sanitaires, environnementaux, sociaux, de manière à ce qu’ensuite les Occidentaux se trouvent en position de force pour négocier leurs normes avec les Chinois, Indiens, Brésiliens, etc. Car la grande bataille de l’industrie mondialisée commence par la maîtrise des normes : le premier qui impose sa norme a un avantage considérable sur ses concurrents. Or, l’harmonisation des normes, c’est notre grande spécialité européenne depuis le traité de Delors en 1985. C’est un sujet sur lequel nous sommes même plus à l’aise que les Américains : le marché européen obéit à plus de règles communes que le marché formé par les 50 Etats des Etats-Unis. Il n’y a donc aucune raison de faire des complexes au départ, bien au contraire ! Les gouvernements et le Parlement européen contrôlent la négociation chaque mois, et à la fin le Parlement aura à décider de la ratification de l’accord. Nous avons donc toutes les garanties contre un traité qui n’irait pas dans le sens de nos intérêts.

Le 25 mai, l’abstention s’annonce comme le "premier parti de France". Si vous deviez convaincre en une phrase un électeur réticent d’aller voter ?

Pour la première fois, le pouvoir est à prendre en Europe : pour la première fois ce sont les citoyens qui vont élire celui qui propose et ceux qui décident en dernier ressort : les législateurs européens et « M. Europe », le chef du pouvoir exécutif européen. Vous n’êtes pas satisfaits des décisions européennes, des dirigeants de Bruxelles ? Prenez le pouvoir, prenons, tous ensemble, nous, les 500 millions d’Européens, le pouvoir en Europe !

Vos commentaires
  • Le 5 mai 2014 à 13:55, par Ferghane Azihari En réponse à : Alain Lamassoure : « Prenons, tous ensemble, le pouvoir en Europe ! »

    Monsieur Lamassoure tient ici des propos décevants.

    Il raisonne selon le paradigme selon lequel l’Europe aura toujours vocation à puiser sa légitimité dans celle des États alors qu’il est tête de liste pour être reconduit au sein de la seule institution transnationale directement élue.

    Face à un tel discours, comment lui fait confiance quant à sa volonté de défendre les intérêts des citoyens européens face aux intérêts étatiques quand il apparaît clairement, selon lui, que les seconds primeront toujours sur les premiers ?

    Il est regrettable que le personnage reste enfermé dans la fable selon laquelle la Nation (artifice idéologique fallacieux) reste le cadre le plus naturel de l’exercice de la démocratie et qu’il prétexte son inexistence en Europe pour rejeter la perspective d’un fédéralisme, fut-il non étatique.

    L’interview a le mérite de montrer ô combien les fédéralistes ont besoin d’éradiquer ce mythe. Je pensais jusqu’à peu de temps que le problème était plus l’État-nation que la nation elle-même...mais il apparaît clairement que la seconde a également besoin d’être démantelée pour que les Européens se rendent compte qu’elle n’est pas une fin en soi et que la liberté de définir les règles que l’on va s’appliquer (démocratie)n’a pas besoin de cet artifice grossier pour prospérer. Ainsi l’Europe pourra se doter d’une légitimité propre et indépendante de celle des entités qui la composent

  • Le 5 mai 2014 à 20:08, par Alexandre Marin En réponse à : Alain Lamassoure : « Prenons, tous ensemble, le pouvoir en Europe ! »

    « Il raisonne selon le paradigme selon lequel l’Europe aura toujours vocation à puiser sa légitimité dans celle des États »

    « L’interview a le mérite de montrer ô combien les fédéralistes ont besoin d’éradiquer ce mythe »

    Ces deux phrases sont un peu contradictoire, la première me paraît plus juste.

    Lamassoure a beaucoup de qualités et est surement très compétent, mais il n’y a que Guaino pour croire que ça en fait réellement un fédéraliste.

  • Le 8 mai 2014 à 09:12, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Alain Lamassoure : « Prenons, tous ensemble, le pouvoir en Europe ! »

    Cet européisme convenu est bien aimable mais l’UMP défend l’Europe intergouvernementale post-démocratique actuelle et refuse tout progrès vers une démocratie fédérale transnationale.

    C’est un tel euroconservatisme qui suscite la défiance des citoyens pourtant largement demandeurs d’Europe : Pourquoi les eurosceptiques ne sont pas les pires adversaires des fédéralistes européens.

    Notons que M. Lamassoure en dépit de son image d’européiste est un multi-récidiviste Alain Lamassoure : ses propos, ses ambitions, ses autogoals…

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