Alimentation : l’instauration d’un ‘bulletin de notes’ commun à l’Union s’annonce pimentée

, par Jérôme Flury, Stefania Santillo

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Alimentation : l'instauration d'un ‘bulletin de notes' commun à l'Union s'annonce pimentée
Photo de Michele Krozser (Source : Burst)

Le nutri-score existant déjà en France et dans six autres pays de l’Union européenne pourrait bientôt être exporté dans les autres États membres. Problème : plusieurs d’entre eux s’opposent à ce système de notation des aliments, certains dégainent même une autre proposition. Derrière l’apparente problématique de santé se trouvent de colossaux enjeux financiers.

Quel est l’argument de vente des céréales Chocapic® en France ? Son goût chocolaté inimitable ? L’énergie qu’elles procurent dès le matin ? Non, c’est qu’elles sont désormais notées “A” au ‘nutri-score’, comme le précisent les spots publicitaires et les emballages. Un bon point en effet puisque la plupart des céréales consommées au petit-déjeuner ont des notes bien plus basses. Mais au fond, qu’est ce que ce nutri-score appliqué dans certains États de l’Union européenne mais refusé par d’autres ?

Aujourd’hui, sept pays européens (Belgique, France, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas, Espagne et Suisse) utilisent ce système de notation des produits alimentaires, qui a conduit à la mise en place d’une étiquette à cinq couleurs et cinq lettres particulièrement simpliste pour le consommateur. L’échelle va du “A” en vert au “E” en rouge. À la manière de certains bulletins scolaires.

En France, il gagne du terrain

Sur le site du ministère de l’Agriculture, il est précisé que cet étiquetage développé en 2017 a pour objectif de « faciliter l’information du consommateur sur la qualité nutritionnelle (...) et encourager les entreprises agroalimentaire à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits pour avoir un meilleur score ». En effet, avoir une bonne note est un argument de vente précieux. Sur le site du ministère de la Santé cette fois, il est précisé qu’en « juin 2020, 415 entreprises étaient engagées en faveur du Nutri-Score en France. En juin 2021, elles sont plus de 700, représentant 57% des parts de marché en volumes de ventes. »

Tout le monde s’y met. Encore faut-il en maîtriser les critères. Le logo dépend de la teneur (sur 100g ou 100 ml de produits) en nutriments et aliments à favoriser (fibres, protéines, fruits, légumes, légumineuses, fruits à coques, huile de colza, de noix et d’olive) et en nutriments à limiter (énergie, acides gras saturés, sucres, sel).

La Commission européenne et le Parlement européen se sont intéressés à ce nutri-score et devaient en valider son application à l’automne 2022, mais plusieurs pays le refusent. L’Opinion s’inquiétait déjà en octobre 2021 d’une “bataille à venir” au niveau européen. Est-il possible d’harmoniser la consommation alimentaire des 27 Etats membres avec un même bulletin de notes ?

En Italie, il est unanimement dénoncé

Certains produits peu transformés et protégés par des appellations d’origine contrôlée (comme les fromages de Lozère) se retrouvent très mal notés avec ce système. Massimiliano Giansanti, président de la Confédération agricole italienne, se montre piquant dans des propos rapportés par Il Foglio : « Le nutri-score est contre le régime méditerranéen et repose sur l’idée fausse que les gens choisissent des aliments en fonction du calcul arithmétique des calories et non pour le goût, la tradition, le mode de vie. La nourriture, c’est la culture et pas les mathématiques. »

Le ‘nutri-score’ risque-t-il de différencier les régimes alimentaires du continent ? L’Association des fromages italiens d’origine protégée est tout aussi inquiète. Pour le moment, la règle en vigueur dans les pays de l’Union européenne est celle du règlement européen EU n°1169/2011. Il définit les règles concernant l’information des consommateurs, leur permettant d’accéder à des informations de base telles que la déclaration nutritionnelle ou la liste des ingrédients.

Ces informations devraient ainsi être complétées prochainement, mais comment ? « Le vrai défi européen est celui de trouver un système d’étiquetage uniforme pour toute l’Europe qui ne soit pas pénalisant et qui promeuve un style de vie sain », considère Alessandra Moretti, eurodéputée S&D. Comme beaucoup d’Italiens, elle est opposée à la notation nutri-score.

« Ce système est en réalité fortement demandé par les grandes multinationales et par la grande distribution française et allemande qui ont intérêt à promouvoir ce type d’étiquettes en ce qu’il avantage beaucoup de produits qu’ils confectionnent eux-mêmes avec leur propre label ». Dans cette bataille, santé et enjeux économiques majeurs se font face, et les lobbies s’activent en coulisses. Dans le cas des Chocapic®, si fières d’arborer leur nouveau nutri-score A, le site “LaNutrition” met en avant que les critères de classement ne sont pas forcément les meilleurs. « Le Nutriscore n’est pas un indice nutritionnel fiable notamment parce qu’il ne prend pas en compte le degré de transformation des aliments. »

Nutri-score Versus Nutrinform

Les Italiens ne sont pas non plus restés sans rien faire. Ils suggèrent d’opter pour un autre outil, le “NutrInform Battery”, qui évalue non pas l’aliment en soi, mais plutôt son poids au sein du régime. À l’intérieur du symbole sont indiqués les pourcentages d’énergie, de graisses, de graisses saturées, de sucres et de sel apportés par chaque portion par rapport à la quantité quotidienne recommandée. Une pluralité d’acteurs (entreprises de la filière agro-alimentaire, nutritionnistes de l’Institut Supérieur de la Santé italien et du Conseil pour la Recherche Économique Alimentaire, ministères des Politiques Agricoles, de la Santé et du Développement Economique) sont à l’origine de cette innovation, qui a reçu l’adhésion de la République tchèque, Chypre, la Grèce, la Hongrie, la Lettonie et la Roumanie.

« Nous ne choisissons pas NutrInform parce que cela nous avantage, mais puisque du point de vue scientifique le Nutri-Score est erroné. Le fait qu’il endommage nos exportations est une grave conséquence pour autant secondaire par rapport à la santé des consommateurs. De plus, sincèrement, l’Italie est à l’origine du régime méditerranéen, considéré comme le meilleur au monde », développe Ivano Vacondio, président de la Federalimentare Vacondio.

Parmi leurs critiques, « l’utilisation du code couleurs » et « la référence générique à 100 gr, inappropriée pour des aliments tels que l’huile d’olive ». Le Président de Federalimentare Vacondio précise que « le NutriInform ne classifie aucun aliment comme insalubre en soi, mais en illustre la bonne quantité à prendre quotidiennement ». Ce qui est certain, c’est qu’avec le ‘nutri-score’, de nombreux produits italiens (Parmigiano Reggiano, jambon de Parme, huile d’olive) s’en sortiront avec de très mauvaises notes, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les volumes exportés.

Un rapport décisif ?

Il semblerait que le dénouement se rapproche. « Le centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne a tranché : un dispositif tel que le Nutri-score montre un véritable intérêt dans les choix des consommateurs », explique Joël Carassio du Bien Public en citant les conclusions d’un rapport de cet organisme. Les lobbies vont tenter jusqu’au bout d’influer sur les décisions des instances européennes. Ou sur les critères de notation.

Peut-être que le nutri-score sera adopté comme référence, mais cela ne passera pas sans des évolutions. Fin juillet 2022, les sept pays déjà engagés dans ce système ont adopté des modifications de l’algorithme, d’après les recherches effectuées par le Comité scientifique européen indépendant, un groupe d’experts « amenés à évaluer la pertinence scientifique de toute demande reçue de l’industrie alimentaire, des associations de consommateurs et d’autres parties prenantes », comme le précise le Sénat français. Les marges de manœuvre du nutri-score semblent ainsi encore conséquentes et les critères de notation tout sauf figés dans le marbre. En définitive, tout est encore possible pour le Parmigiano.

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