Anniversaire du traité de l’Elysée : le couple franco-allemand cherche à montrer son unité

, par Juliette Favarel-Denat

Anniversaire du traité de l'Elysée : le couple franco-allemand cherche à montrer son unité
Drapeaux allemand et français Wikimedia

Le 22 janvier, la France et l’Allemagne ont célébré le 60e anniversaire du traité de l’Élysée, qui a scellé leur réconciliation. Des manœuvres tout en délicatesse mais un bilan mitigé pour ce sommet exceptionnel.

Il y a 60 ans, le 22 janvier 1963, le chancelier allemand Konrad Adenauer et le président français Charles de Gaulle signaient le traité de l’Elysée. Encore aujourd’hui, ce texte reste un symbole majeur de la réconciliation entre ces deux nations après des années de conflit. Il a jeté les bases de la coopération franco-allemande, qui est aujourd’hui considérée comme l’un des piliers de l’Union européenne.

Afin de marquer cette journée si symbolique qui a fêté ses 60 ans cette année, une cérémonie solennelle a été organisée à Paris, en marge du Conseil des ministres franco-allemand. Parmi les invités figurait, bien sûr, le chancelier Olaf Scholz, le président Emmanuel Macron, ainsi que des représentants de l’Assemblée nationale et du Bundestag.

Le principal enjeu de cette rencontre n’était pas la simple commémoration d’une date historique, mais un véritable travail d’harmonisation. Très soigneusement, sans incartades, les représentants des deux pays ont fait preuve d’une grande délicatesse pour rester sur la même longueur d’onde au regard de sujets tels que la réponse européenne aux subventions américaines ou encore l’énergie, épineux sujet pour l’Allemagne.

En effet, la relation du couple franco-allemand est tendue depuis quelques mois. La rencontre avait déjà été repoussée deux fois depuis juillet 2022. Le quotidien Die Welt a par exemple noté que « les relations franco-allemandes n’ont cessé de se dégrader ». Ce défi de taille encourageait la prudence, et peut-être, par extension, une certaine réserve quant aux annonces.

Quelques avancées sur l’Union Européenne et la crise en Ukraine

Dimanche après-midi, le conseil des ministres franco-allemand n’a pas fait état d’innovation notable au sujet de l’Union Européenne, malgré les discours très inspirants prononcés le matin-même à la Sorbonne. Une longue déclaration conjointe a cependant été publiée, listant les défis auxquels les deux nations font face. Parmi eux, les transitions verte et numérique, l’union des marchés des capitaux, la poursuite de l’union bancaire, ou encore le développement de politiques sociales.

Le terme de « souveraineté » y apparaît à plusieurs reprises, preuve manifeste que ce concept fermement défendu par Emmanuel Macron est légèrement plus accepté qu’il y a quelques années outre-Rhin. Rappelons que la souveraineté européenne, que ce soit en matière de défense ou d’énergie, a toujours constitué une divergence entre les deux nations. La France, particulièrement sous les mandats d’Emmanuel Macron, y est plutôt favorable. L’Allemagne, qui s’inquiète de toujours plus de dépenses budgétaires au sein de l’Union, voit ce projet d’un oeil plus méfiant.

La France et l’Allemagne ont également assuré soutenir l’Ukraine. Cependant, comme un aveu d’impuissance, les dirigeants se sont montrés incertains sur la question des chars de combat.

Côté français, « rien n’est exclu » pour les chars Leclerc, tant que leur envoi ne constitue pas un affaiblissement pour la défense française et qu’ils se révèlent être véritablement utiles à l’Ukraine.

Côté allemand, la situation était encore floue lors du sommet, Olaf Scholz faisant preuve de mutisme lors de la conférence de presse. L’hésitation devait être grande : des informations contradictoires paraissent le soir-même, puis le lendemain. Finalement, quelques jours plus tard, en même temps que celle des Etats-Unis, l’annonce tombe : l’Allemagne enverra bien des chars en Ukraine.

La menace sourde de deux différends : la défense et l’énergie

Deux points au cours de ce prudent sommet ont cependant constitué des accrocs : la défense et l’énergie. Le moteur franco-allemand a toujours peiné à s’entendre sur ce point tant les positions de Paris et de Berlin sont différentes.

Paris cherche à atteindre une autonomie européenne et souhaite l’élaboration d’une stratégie commune au sein de l’Union Européenne afin de garantir la sécurité du continent, sans que l’OTAN ou les Etats-Unis n’aient à intervenir.

La position de Berlin, elle, diverge nettement. Bien qu’Olaf Scholz ait annoncé lors du sommet que cette décision n’était pas définitive, l’Allemagne a pour projet de former un bouclier aérien européen associant quatorze pays de l’OTAN. Sans la France, mais aussi sans la Pologne.

Peu après le début du conflit en Ukraine, les positions pro-OTAN se sont renforcées à Berlin, et le pays a acheté des avions de combat américains F-35 pour remplacer ses Tornado, son ancienne flotte devenue obsolète. Cette décision inquiète, côté français, quant au développement de projets de défense communs, notamment le Système de combat aérien du futur (SCAF), développé avec la France et l’Espagne. En effet, un rapprochement de l’Allemagne avec les Etats-Unis, et par extension avec l’OTAN, pourrait mettre en péril une stratégie de défense européenne.

Autre nœud gordien : la question de l’énergie. La tension était toujours palpable le 22 janvier, entre la France, porteuse du nucléaire, et l’Allemagne, dépendante du gaz russe.

Olaf Scholz refuse toujours une réforme du marché de l’électricité en Europe, bien qu’il ait concédé à l’achat commun de gaz européen au prix plafonné.

Le contexte de la création de connexions énergétiques avec l’Espagne a quelque peu exacerbé ce climat défavorable. Le projet de gazoduc traversant les Pyrénées visant à diversifier les approvisionnements de l’Allemagne avait en effet irrité le président français ces derniers mois. Emmanuel Macron a toutefois mentionné une autre solution lors du sommet : la prolongation d’un pipeline à hydrogène jusqu’à l’Allemagne. Cet objectif, placé en 2030, résulte d’un accord de la France avec l’Espagne et le Portugal.

Un sommet principalement symbolique

Emmanuel Macron, lors de son discours à la Sorbonne, a sans cesse rappelé la force de ce couple franco-allemand, ces « deux âmes dans une même poitrine », qui a joué un rôle majeur lors de la genèse de l’Union Européenne. Cependant, cette bonne volonté affichée sera-t-elle suffisante pour convaincre le monde que la « locomotive » franco-allemande est de nouveau sur les rails ?

« Affrontons les périls du temps avec cet héritage de courage et d’imagination, avec ce devoir de fidélité à l’audace, avec l’assurance que tout est possible si l’on demeure uni », a ainsi conclu le Président, ajoutant une note d’espoir à un discours déjà très lyrique.

Au regard de la complexité européenne actuelle et de l’équilibre précaire au sein du couple franco-allemand, on ne peut qu’espérer des actes faisant suite à de telles paroles. Hélas, derrière les symboles forts de l’histoire, on ne peut que déplorer la vacuité d’un tel sommet à ce moment charnière de la crise ukrainienne.

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