Antoine Tifine : « La lutte contre le changement climatique est le parfait exemple d’une politique qui doit être menée au-delà des frontières nationales »

, par Louise Guillot

Antoine Tifine : « La lutte contre le changement climatique est le parfait exemple d'une politique qui doit être menée au-delà des frontières nationales »

Antoine Tifine a 26 ans et est candidat sur la liste Europe Ecologie Les Verts (EELV) pour les élections européennes du 26 mai 2019. Antoine est un activiste, engagé aux Jeunes Ecologistes, il est aussi l’un des dirigeants de la Fédération des Jeunes Verts Européens. Antoine Tifine a travaillé pour le mouvement paysan Via Campesina et l’ONG américaine Food & Water Watch, et a récemment posé ses valises à Bruxelles où il a effectué un stage pour le groupe des Verts au Parlement européen. Le Taurillon a rencontré ce jeune candidat et lui a posé quelques questions pour en savoir plus sur son engagement, ses combats et sa volonté de se présenter au scrutin européen.

Le Taurillon (LT) : Pourquoi avez-vous décidé de vous présenter aux Européennes ? Quelles sont les raisons qui motivent votre candidature ?

Antoine Tifine (AT) : Aujourd’hui, je constate, et je ne suis pas le seul, qu’il y a une triple urgence environnementale, climatique et sociale. La marche vers l’égalité entre toutes et tous, quel que soit notre couleur, notre origine, notre identité de genre, notre orientation sexuelle ou encore notre handicap semble en panne. Et le monde politique actuel fait preuve d’un manque de courage criant. Face à ça, partout en Europe, notre génération se mobilise, aide les exilés qui arrivent en Europe, organise des grèves pour le climat, bloque des mines de charbon ou le siège de grandes entreprises comme Total, organise partout des marches pour le droit à l’avortement comme en Pologne. Notre génération fait preuve du courage dont les politiques manquent.

Il faut que ce courage se traduise aussi dans les urnes, avec des eurodéputés jeunes, qui n’ont pas froid aux yeux et secoueront la classe politique. C’est pour cela que j’ai choisi de me présenter aux élections européennes.

LT : Comment réaliser une transition écologique juste au niveau européen alors que les inégalités s’accroissent de plus en plus aux quatre coins de l’Union ? Ne faut-il pas d’abord cultiver son propre jardin ?

AT : La lutte contre le changement climatique est le parfait exemple d’une politique qui doit être menée au-delà des frontières nationales, à l’échelle européenne. Alors qu’on sait que des pays comme la France ou l’Allemagne pourraient avoir les moyens de sortir des énergies fossiles seuls, ce n’est pas le cas d’autres pays européens, comme la Pologne ou la Roumanie par exemple. Ces pays sont aujourd’hui dépendants du charbon ou des importations de gaz. Nous avons besoin d’un grand plan européen d’investissements pour la transition énergétique, pour économiser de l’énergie en isolant les bâtiments et pour développer les énergies renouvelables. Mais ce plan devra comporter un important volet social pour garantir aux personnes travaillant dans les industries polluantes une formation vers un emploi vert et un maintien de leur revenu pendant cette formation. C’est ça une transition juste, et c’est ça que nous défendons. Cette transition juste doit s’appliquer bien sûr au secteur énergétique, à l’industrie, mais aussi à l’agriculture.

LT : Dans votre programme vous proposez de « ré-ensauvager » l’Europe. Mais ça veut dire quoi concrètement de « ré-ensauvager » l’UE ?

AT : Ré-ensauvager, c’est prendre le chemin inverse de celui emprunté actuellement par nos politiques. C’est en finir avec l’artificialisation des sols ou l’utilisation massive d’engrais et de pesticides de synthèse qui détruisent l’environnement. L’Union européenne peut jouer un rôle important dans ce domaine. Elle peut le faire en assurant par exemple la protection de certaines zones « Natura 2000 » et le programme LIFE+, ou encore grâce à la Politique Agricole Commune en promouvant des techniques agricoles respectueuses de l’environnement et moins gourmandes en produits de synthèse.

LT : Vous proposez également de créer une banque européenne du climat. En quoi la votre serait-elle différente des propositions des autres listes candidats comme celle de Place Publique-PS-Nouvelle Donne ou de La République en Marche ?

AT : L’idée d’une banque européenne du climat et de la biodiversité répond à la nécessité de mobiliser des fonds pour la transition écologique. C’est une très bonne nouvelle qu’elle soit soutenue par de nombreux partis, dans des versions assez proches d’ailleurs. Mais les effets d’une telle banque du climat seront limités si la Banque Européenne d’Investissement et le budget de l’UE continuent à financer ou subventionner les énergies fossiles et les projets polluants. Or les groupes libéraux et socialistes ont voté en majorité contre la fin des subventions aux énergies fossiles dans le cadre budgétaire européen 2021-2027. Pour les écologistes, la lutte contre le changement climatique doit être un objectif transversal à toutes les politiques européennes, pas seulement une petite ligne dans un programme budgétaire.

LT : Dans votre plan d’action, il est inscrit que vous voulez « garantir le droit à l’euro pour remettre la finance à sa place ». Vous aussi votre ennemi c’est la finance ?

AT  : Celui qui a dit que la finance était son ennemi n’a finalement pas fait grand-chose pour réguler la finance... Remettre la finance à sa place, c’est la remettre dans un rôle au service de la société, et pas l’inverse. Il faut enfin séparer les banques de détail des banques d’affaires pour éviter le « too big to fail » qui permet à certaines banques de dicter leur loi sur les places financières. Il faut aussi stabiliser le système financier, en interdisant les produits financiers les plus dangereux et spéculatifs.

LT : Vous évoquez l’adoption d’un traité environnemental, la création d’une constituante européenne, qu’est-ce qui vous dérange dans le système institutionnel européen aujourd’hui ?

AT  : L’idée derrière le traité environnemental européen c’est de donner à la lutte contre le dérèglement climatique et à la protection de l’environnement une valeur juridique supérieure à la plupart des normes européennes, et même équivalente à celle des traités européens. Ça permettrait d’assurer que l’ensemble des politiques européennes répondent à cet enjeu.

Mais pour répondre plus précisément à votre question, le système institutionnel actuel réserve encore trop de pouvoirs aux États et aux conseils. Or, ce sont les égoïsmes nationaux qui retardent voire bloquent de nombreuses législations. Les écologistes sont fédéralistes mais le fédéralisme n’est pas un but en soi, il est pour nous l’outil nécessaire à la mise en place de politiques ambitieuses pour répondre aux crises sociale, climatique et environnementale.

Mais attention, les écologistes ne font pas d’une modification des traités un préalable à toute action politique. Nous nous battons dans le cadre institutionnel européen actuel, même s’il est imparfait, comme nous nous battons dans le cadre national, qui lui aussi est très loin d’être satisfaisant…

LT : A quoi ressemblerait cette constituante et quelle place pourrait y tenir les citoyens européen ?

AT  : Nous voulons que les citoyens puissent prendre la plus grande place possible dans ce processus constituant. L’adoption du traité de Lisbonne [en 2007, ndlr] après le référendum constitutionnel de 2005 est encore cité par beaucoup comme une des raisons pour lesquelles ils et elles ne font pas confiance à l’Europe. Il faut réparer ça, organiser des consultations, des débats publics ou encore des constituantes locales sur le modèle de celle organisée il y a quelques années à Strasbourg par les Jeunes Européens. Et puis à la fin, le résultat final devra être soumis à un vote des citoyens à l’échelle européenne. Il ne pourra être adopté que s’il y a à la fois une majorité d’Etats et de citoyens en faveur.

Mais évidemment, nous pouvons déjà progresser dans le cadre des traités actuels, par exemple en passant au vote à la majorité qualifiée sur les sujets sociaux et fiscaux, en instaurant des listes transnationales pour les élections européennes, en renforçant l’initiative citoyenne européenne, en systématisant le processus des Spitzenkandidaten, en donnant un droit d’initiative au Parlement européen…

LT : Quelle est la première mesure concrète que vous aimeriez faire adopter au Parlement européen ?

AT  : Je m’attellerai à relancer l’Europe sociale. Interdire les stages non-rémunérés et garantir une rémunération minimale pour chaque stagiaire. Mettre fin aux contrats zéro-heure (très présents dans d’autres pays européens). Garantir une protection sociale à toutes et tous, notamment pour faire face aux conséquences de l’uberisation. Et à moyen-terme, mettre en place un système de salaire minimum européen qui garantisse que chaque citoyen européen et chaque citoyenne européenne soit couvert par un salaire minimum correspondant à un certain pourcentage du revenu médian dans chaque pays, puis une convergence de ces salaires minimums.

LT : C’est quoi la citoyenneté européenne pour vous ?

AT : Pour moi, la citoyenneté européenne, c’est un ensemble de droits sociaux et politiques dont on bénéficie. Je vis en Belgique alors que je suis français et je bénéficie de nombreux droits en tant que citoyen européen. Mais la citoyenneté européenne, c’est aussi un rappel que notre identité est plurielle, multiple, qu’elle ne se limite pas à notre nationalité. Être citoyen européen, c’est pouvoir dire « je ne suis pas que français, je suis européen, normand, français, bruxellois et citoyen du monde ».

LT : D’après un récent sondage IFOP pour l’ANACEJ et les Jeunes Européens, 77% des 18-25 ans n’iront pas voter le 26 mai. Quel message souhaitez-vous leur adresser pour les faire changer d’avis ?

AT : Je comprends tout à fait qu’on ne pense pas aller voter. La plupart des partis politiques ont sous-traité l’élection à des seconds couteaux. Certains cherchent même à en faire une revanche de l’élection présidentielle, veulent rejouer le second tour d’il y a deux ans, alors que d’autres n’ont en tête que les élections municipales. Pour Europe Écologie Les Verts, les élections européennes sont sans doute les plus importantes, car nous savons que c’est au niveau européen que se jouent les questions climatiques, environnementales et sociales. Vous vous dites peut-être que 10 eurodéputés ne changeront pas la donne, mais en votant EELV, vous n’élisez pas seulement une dizaine d’eurodéputés pour la France, vous votez en réalité pour 70 voire 80 eurodéputés venant de toute l’Europe et qui font campagne autour du même programme et se battront pour lui pendant cinq ans.

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