Après plus d’une décennie d’attente, Sofia et Bucarest rejoignent l’espace Schengen
La délivrance a eu lieu le 12 décembre 2024, lorsque les États membres de l’UE ont décidé de supprimer les contrôles des personnes aux frontières terrestres intérieures avec et entre la Bulgarie et la Roumanie à partir du 1ᵉʳ janvier 2025. Depuis mars 2024, les contrôles des personnes aux frontières aériennes et maritimes avaient été levés, seuls les contrôles terrestres subsistaient dans l’attente de la levée du véto autrichien. Vienne jugeait que la Bulgarie devait encore démontrer la preuve qu’elle maîtrisait ses frontières extérieures avec la Turquie face à la pression migratoire et la menace terroriste.
L’argument autrichien avait été jugé fallacieux par la Bulgarie et la Roumanie, qui ont rappelé que la Commission européenne leur avait donné son feu vert dès 2011, jugeant leur préparation technique satisfaisante pour rejoindre l’espace de libre circulation européen. Sofia a aussi rappelé à plusieurs reprises que si la Bulgarie accédait à Schengen, elle pourrait réaffecter les gardes frontières avec ses voisins communautaires (Roumanie et Grèce) vers les frontières extérieures de l’UE (essentiellement la Turquie, mais aussi la Macédoine du Nord et la Serbie).
Le véto autrichien étant levé, Schengen réunira, au 1ᵉʳ janvier, 29 pays (25 États membres ainsi que l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse) et 420 millions de personnes.
Un moment historique pour les Roumains, les Bulgares… mais aussi pour toute l’UE !
L’entrée dans Schengen faisait partie des préoccupations les plus importantes des citoyens et des gouvernements des deux pays, quelle que soit leur couleur politique, depuis plus de dix ans. Il ne s’agit pas seulement d’une avancée majeure pour les Bulgares et les Roumains, pour mieux entrer et sortir de leur pays, mais aussi d’un renforcement des liens avec l’UE. Comme le souligne le communiqué de presse de la Commission européenne, les entrées de la Bulgarie et de la Roumanie renforcent “non seulement l’espace Schengen, mais aussi le marché intérieur, les voyages, le commerce et le tourisme. Un espace Schengen solide renforce l’unité de l’UE et la rend plus forte à l’échelle mondiale”.
En effet, l’entrée dans Schengen constitue un réel coup de pouce économique pour les économies bulgares (27ᵉ pays sur 27 en termes de PIB par habitant) et roumaines (21ᵉ sur 27). Jusqu’à présent, les transporteurs routiers et les travailleurs frontaliers pouvaient attendre entre 12 heures et 20 heures aux différents postes-frontières selon Dimitar Dimitrov, président de la Chambre des transporteurs bulgares, dans des propos rapportés à l’AFP. En conséquence, selon une étude du Comité économique et social européen (CESE) du mois de novembre, la « demi-participation » à la zone Schengen a entraîné un manque à gagner de 834 millions d’euros par an pour la Bulgarie et de 2,32 milliards d’euros pour la Roumanie.
Au-delà des chiffres, il ne faut pas négliger tout le sentiment d’injustice que cette privation de l’espace Schengen pouvait représenter pour les citoyens bulgares et roumains. Déjà bien éloignés géographiquement de Bruxelles, une certaine incompréhension et du ressentiment découlaient de cette impossibilité à avoir les mêmes droits de se déplacer librement entre leur pays et un autre État membre. Pourquoi un Français pouvait-il se déplacer librement entre son pays et l’Italie alors qu’un Roumain devait subir d’interminables contrôles au moment de franchir la frontière pour passer des vacances sur la côte bulgare ? Une telle situation ne pouvait que renforcer un sentiment de relégation en tant que citoyen de l’UE de seconde zone, pas tout à fait légitime à se sentir européen après des siècles sous domination ottomane puis des décennies derrière le rideau de fer soviétique. Selon Les Echos, les politologues estiment que ce complexe d’infériorité a pu nourrir en partie le vote pour l’extrême droite lors des dernières élections en Roumanie.
La Bulgarie et la Roumanie rejoignent Schengen à un moment où les frontières intra-européennes se resserrent de plus en plus
Quel paradoxe de constater que l’espace Schengen s’agrandit à deux nouveaux pays, alors qu’au même moment les frontières entre États membres se durcissent. Les mesures temporaires de restriction de la libre circulation entre les frontières se multiplient. Le 16 septembre dernier, la décision du gouvernement allemand de renforcer les contrôles à toutes ses frontières pour une période d’au moins six mois avait fait grand bruit. Au total, ce sont 7 États membres (Allemagne, Autriche, Danemark, France, Italie, Slovénie et Suède), plus la Norvège, qui ont pris des mesures de restriction de déplacements à leurs frontières intérieures en 2024.
Alors certes, ces restrictions sont prévues par le code frontières Schengen en cas de menaces graves pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, tant qu’elles sont temporaires, pour 6 mois renouvelable maximum. Et si de telles restrictions temporaires avaient été jugés pertinentes à la suite des attentats de novembre 2015, de la Covid-19 ou des grands événements sportifs comme les Jeux olympiques et paralympiques de 2024, elles semblent être disproportionnées à l’heure actuelle et traduisent davantage un outil de communication politique dans un contexte de poussée de l’extrême droite en Europe.
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