Après avoir été régi pendant 47 ans par la politique agricole commune, le Brexit marque la possibilité nouvelle pour le Royaume-Uni de réglementer et financer seul son secteur agricole, d’une valeur de 24 milliards de livres sterling (27 milliards d’euros). C’est peu après le referendum de 2016, que le gouvernement conservateur a commencé à élaborer une nouvelle politique agricole. En novembre dernier, cette politique était intégrée à la législation nationale ; à bien des égards, ce programme et la PAC comportent de nombreuses différences, certaines sont inédites.
En 2020, le ministre de l’environnement, George Eustice, a présenté les ambitions fortes du nouveau programme : « Nous devons concevoir une politique agricole qui se révèle juste pour les agriculteurs d’aujourd’hui mais aussi pour ceux de demain… Nous voulons faire table rase des pratiques du passé, des règles qui vont de haut en bas et des sanctions drastiques de l’ère de l’UE. »
Réaliste ? Trop dramatique ? Après tout, la PAC ne faisait pas partie des préoccupations premières des Britanniques en faveur du Brexit. Toutefois, elle a causé grand nombre de discordes entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, et ce pendant près d’un demi-siècle. Les gouvernements successifs l’ont en effet considérée comme trop bureaucratique, trop chère et trop en décalage avec les besoins britanniques. En 2019, un sondage réalisé auprès des agriculteurs britanniques révélait que 43% d’entre eux étaient en faveur d’un Brexit sans accord, même si l’Union nationale des agriculteurs estimait une absence d’accord catastrophique pour le secteur agricole. Dès le début, le secteur agricole britannique a été en prise avec la PAC. Le Royaume-Uni a en effet raté l’occasion de participer à l’élaboration de l’accord initial, réalisé 3 ans avant que le pays ne devienne membre de l’UE. Le secteur agricole britannique étant relativement petit, le pays a plus contribué à la PAC qu’il n’en a profité. Le prix de la nourriture a augmenté de 13%. Avec l’économie britannique en difficulté dans les années 1970, l’idée que des millions de livres étaient dépensés dans le but de soutenir les secteurs agricoles d’autres pays a été mal reçue. Même à la suite d’une diminution de 20% de la contribution britannique, négociée en 1984, la PAC irritait toujours Outre-Manche. Les tabloïdes n’ont pas hésité à publier à la une les histoires des montagnes de beurres ainsi que des lacs de vin, phénomène dû à l’ancien système de rachat des surplus. Le changement en faveur des payements directs basés sur la taille de l’exploitation a eu pour conséquence un flux de fonds financiers vers les grands propriétaires, faisant augmenter le prix des terrains et excluant les jeunes agriculteurs. Parallèlement, la gauche s’est de plus en plus préoccupée de la destruction environnementale. Les payements réalisés sur la base de la possession de terres agricoles a encouragé la conversion de terres sauvages en terres agricoles et la productivité a été tenue comme seule responsable de l’érosion des sols, de la pollution des rivières et de la perte de biodiversité. La biodiversité s’est fortement affaiblie depuis les années 1970 au Royaume-Uni et la PAC a trop peu fait pour éviter le désastre.
Une nouvelle vision de l’agriculture
La nouvelle loi sur l’agriculture, adoptée en novembre 2020 par le parlement britannique après plus de 100 heures de débat, propose une nouvelle et audacieuse façon d’aborder les méfaits du système de subventions de la PAC et de restaurer une partie de la biodiversité.
Après une période de transition longue de 6 années, les agriculteurs ne seront plus rémunérés pour la taille de leur exploitation. Le gouvernement les récompensera plutôt pour la manière dont ils s’occupent de leurs terres. En clair : les agriculteurs seront rémunérés s’ils appliquent des pratiques agricoles et de gestion des terres favorables à la protection des ressources communes comme l’air et l’eau, à la lutte contre le changement climatique, et à la protection de la vie sauvage et des sols. Le ministère pour l’Environnement et les Affaires rurales (DEFRA) a appelé cette stratégie « argent public pour le bien-être public ».
Même si les détails de cette politique n’ont pas encore été finalisés, DEFRA a annoncé qu’ils pourraient se traduire en subventions pour les agriculteurs qui fournissent un habitat pour les animaux sauvages, ou qui plantent des arbres en vue de capturer le carbone dans l’air ou encore pour réduire les risques d’inondations. Les agriculteurs pourraient également être récompensés pour leur utilisation efficace de l’eau et des pesticides, pour l’amélioration du bien-être animal ou encore pour leurs investissements dans des fossés à purin plus efficaces afin d’éviter la contamination des eaux.
La rotation des cultures sera également encouragée afin d’éviter l’érosion des sols. Il faut noter que la règles des trois cultures de PAC, qui exigeaient une taille minimum pour cultiver trois cultures, a déjà été supprimée. En outre, des subventions payées en une fois sont aussi envisageables pour des projets à grande échelle, tels que le réensauvagement ou la restauration des tourbières. 70% du Royaume-Uni est recouvert de terres agricoles ; cette politique pourrait donc avoir un impact sans précédent sur le paysage naturel Outre-Manche.
Contrairement à la PAC, souvent critiquée pour traiter toutes les régions de la même façon, la loi sur l’agriculture au Royaume-Uni aurait recours à la décentralisation. L’Angleterre, le Pays de Galles, l’Ecosse et l’Irlande du Nord auraient tous la possibilité d’établir leurs propres règles dans le cadre national établi par la nouvelle législation.
Avec ce nouveau système, DEFRA affirme avec fierté que les agriculteurs deviendront une part entière d’un « nouveau système agricole » qui contribuera « substantiellement aux objectifs environnementaux fixés, tels que le changement climatique ». Le ministère avance également que les avancées scientifiques fleuriront, une fois le Royaume-Uni libéré des règles prescriptives de l’UE, permettant « d’allier la technologie la plus moderne disponible aujourd’hui à l’art traditionnel de l’élevage et de l’agriculture ». Certains ont déclaré qu’un changement similaire avait eu lieu en Nouvelle-Zélande lors de la refonte du secteur agricole dans les années 1980.
Gardons les pieds sur terre
Une réforme d’une telle importance mènera sans aucun doute à des pertes. Environ 57% du revenu des agriculteurs britanniques provient des subventions de la PAC. Cette réforme entraînera certainement une perte de rentabilité pour la plupart des agriculteurs lorsque les subventions de la PAC prendront fin en 2027. Beaucoup de fermes feront donc faillites. Alors que ce n’est peut-être pas une mauvaise idée d’arrêter de subventionner des fermes non productives, il sera sans doute difficile pour l’économie fragilisée du Royaume-Uni d’ignorer ce phénomène de faillite dans un monde d’après pandémie. L’un des dangers pourraient être la perturbation du système d’approvisionnement alimentaires du Royaume-Uni, déjà mis en lumière plus tôt cette année par les files à la frontière. Professeur Tim Lang, un chercheur sur la politique alimentaire, a prévenu qu’avec seulement la moitié de la nourriture nécessaire produite nationalement et un déficit commercial de 24,4 milliards de livres dans le secteur alimentaire, le pays pourrait devoir dépendre fortement des importations. En outre, la fin de la liberté de mouvement affectera également la possibilité des exploitants agricoles d’engager des travailleurs européens, souvent prêts à accepter des bas salaires.
D’autres arguent que le nouveau système pourrait récompenser les agriculteurs pour des choses qu’ils devraient déjà mettre en pratique, telles que l’amélioration du bien-être animal. George Monbiot, du Guardian, a qualifié la nouvelle politique de « rackets de protection » qui se servent « d’argent public à la place de réglementation ». De plus, ce nouveau système pourrait privilégier les exploitants qui peuvent fournir l’argent en amont pour des projets de verdissement, perpétuant le traitement préférentiel des grandes exploitations de la PAC. Les questions qui restent sans réponse sont les suivantes : comment l’argent sera-t-il alloué ? Tous les efforts de verdissement pourraient-ils se voir anéantir par des accords commerciaux ? Un accord avec les Etats-Unis risquerait simplement, par exemple, de déplacer les mauvaises habitudes agricoles. Et malgré les ambitions britanniques, il y a de la marge pour l’affaiblissement des normes en dehors des réglementations européennes. Le gouvernement a déjà décidé de revenir sur une législation européenne et autorise à nouveau l’utilisation des néonicotinoïdes, pesticides extrêmement toxiques pour les abeilles. En revanche, la loi sur l’environnement déjà tant attendue promet des politiques en faveur de l’écologie et l’établissement d’un organisme de contrôle environnemental qui aura pour objectif de maintenir des nouvelles normes et de montrer que le gouvernement britannique s’engage en faveur de la protection du monde naturel, aussi à la suite du Brexit. Parallèlement, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a eu pour conséquence une diminution du budget de la PAC de 12% à 15%, selon des chercheurs de la London School of Economics. Résultat : une envie de réforme similaire potentiellement moins forte dans l’Union européenne. En outre, les changements annoncés l’année dernière ont déçu de nombreuses personnes.
Paradoxalement, si la politique agricole du Royaume-Uni connaît un franc succès, alors le pays aura réussi un changement de paradigme plus important que s’il était resté au sein de l’UE. « Si nous travaillons ensemble pour la réussite, dans une décennie, le reste du monde voudra nous emboîter le pas. » a déclaré George Eustice. Reste à savoir si cette politique est réaliste et si les objectifs verts seront soutenus par des ressources et une volonté politique. Les prochains mois seront révélateurs.
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