« La Démocratie est-elle capable d’assurer la sécurité, la paix, l’unité, le bien-être et le bonheur ? » Il ne s’agit pas d’un sujet théorique ou philosophique pour Nikol Pashinyan. Bien au contraire. Son pays, l’Arménie, est en proie à des tensions, notamment avec son voisin oriental, l’Azerbaïdjan alors que ce dernier vient de procéder à la « reconquête » du Haut-Karabagh, province azerbaïdjanaise sécessioniste peuplée d’Arméniens. A cette question digne des plus grands penseurs des Lumières, le Premier ministre répond sans ambiguïté : « OUI ! ».
Un drame en trois actes (?)
Si le Premier ministre arménien se sent obligé de poser la question, c’est tout simplement parce que la démocratie est une exception dans une région où se côtoient la Turquie d’Erdogan, la Russie de Poutine, l’Iran des Mollahs et l’Azerbaïdjan d’Aliev. Seules l’Arménie et la Géorgie, à la démocratie fragile, ont des modèles de démocraties parlementaires pluralistes.
Un modèle qui, selon Nikol Pashinyan, est en danger. Selon lui, elle est mise en péril par des « forces extérieures [qui souhaitent] renverser la démocratie et mettre fin à la souveraineté de l’Arménie par des moyens de guerre hybride ». Le pays visé est explicitement mentionné : « l’Azerbaïdjan ». C’est ainsi que Nikol Pashinyan a pris quelques minutes afin d’expliquer le fondement de ses craintes quant à l’avenir démocratique et arménien de son pays.
En 2020, premier acte. L’Azerbaïdjan -enrichi par les recettes de l’extraction d’hydrocarbures- lance une offensive militaire dans le but de reprendre possession de la province du Haut-Karabagh, province sécessionniste à majorité arménienne, soutenue par la République d’Arménie. Issue de la guerre : l’Arménie perd la guerre, reconnaît la souveraineté de Bakou sur le Haut-Karabagh. Toutefois, le cessez-le-feu permet à la province sécessionniste de continuer d’exister, notamment par la préservation d’un corridor entre elle et l’Arménie : le corridor de Latchine.
En 2023 s’ouvre le deuxième acte. Les forces militaires azerbaïdjanaises occupent le corridor de Latchine et procèdent au blocus du Haut-Karabagh. Une action totalement contraire à l’accord de cessez-le-feu conclu quelques mois plus tôt avec l’Arménie. Un blocus qui a précedé une offensive militaire sur la région. Offensive qui poussa plus de 100 000 Arméniens du Haut-Karabagh à fuir vers l’Arménie de peur d’être victime d’exaction, une situation qualifiée par Nikol Pashinyan de « nettoyage ethnique ». Les 100 000 réfugiés ont tous été accueillis en Arménie, un état de fait qui pousse le Premier ministre à demander une « aide et une solidarité internationale » quant au financement de la prise en charge de ces populations qui nécessite, selon lui, « cent millions de dollars ».
Un troisième acte serait-il possible ? Si la question n’est pas tranchée, les tensions et les peurs qui transparaissent dans le discours de N. Pashinyan montrent la détresse d’un pays qui n’a d’autre choix que de plaider la paix entre Arméniens et Azerbaïdjanais. « Paix », un mot prononcé des dizaines de fois par le Premier ministre comme s’il souhaitait que l’incantation devienne réalité.
L’amorce d’un tournant
L’Azerbaïdjan n’était pas le seul pays visé dans le discours engagé sur la démocratie de Nikol Pashinyan. « Inaction des alliés », « non intervention », « appel de certains au renversement et à la déstabilisation de l’Arménie » : si la Russie n’était pas explicitement citée, elle était présente. Telle une ombre sur le discours. Les termes prononcés par le Premier ministre arménien ont été crus et directs, à l’image de ce qui est considéré comme une trahison de la part de « l’allié historique » russe.
« Les pays alliés de la Communauté des Etats Indépendants ne nous ont pas aidé, on nous a laissé seuls. », Nikol Pashinyan
Le sentiment de trahison de la part de la Russie est partagé par la majorité de la population arménienne. Si en 2019, une majorité d’Arméniens (96%) considérait que la Russie était la première puissanceà même de garantir la sécurité de l’Arménie, ils ne sont plus que 49% en 2023. Cela, au détriment d’autres pays, la France et l’Iran notamment.
L’opinion publique pousse pour une rupture. Un virage géopolitique en direction des Etats démocratiques, qui pourraient lui offrir de réelles garanties de sécurité. Aujourd’hui, 60% des Arméniens ont confiance en l’UE et 74% pensent que les relations entre Yerevan et Bruxelles sont « bonnes ».
Nikol Pashinyan prend sa part dans la bascule : « notre région a besoin de Paix […] par une ouverture des frontières, une intégration et une interdépendance par des liens économiques, sociaux, politiques. »
Quant à savoir si l’Arménie pourrait demander l’adhésion à l’Union européenne, la population y serait plutôt favorable. Nikol Pashinyan y répond pour le moment par : « L’Arménie est prête à se rapprocher de l’UE aussi loin que l’UE le juge possible. »
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