Un sursaut républicain
Le camp démocrate et pro-européen a eu quelques sueurs froides ces dernières semaines en raison de la campagne présidentielle autrichienne. Les Autrichiens avaient en effet le choix entre élire au suffrage démocratique le premier président écologiste d’Europe, aux positions libérales et pro-européennes, ou le premier président d’extrême droite, aux positions eurosceptiques et islamophobes. Alexander Van der Bellen l’a donc emporté à 31 026 voix près, au terme d’une campagne marquée par l’incertitude. Elle a été d’autant plus mouvementée que le chancelier SPÖ (parti social-démocrate) Werner Faymann a démissionné pendant l’entre-deux tours à la suite de l’échec du candidat SPÖ lors du premier tour. Il a été remplacé au pied levé par Christian Kern, du même parti.
Ce sont les votes par correspondance qui ont donné l’avantage à l’ancien professeur d’économie âgé de 72 ans, puisque les bulletins seuls des bureaux de vote donnaient l’avantage à Norbert Hofer. Il a réussi à bénéficier des reports de voix des deux grands partis traditionnels, la droite et la gauche, éliminés dès le premier tour, mais également des votes de l’électorat jeune et des plus de 50 ans. Norbert Hofer a remporté les suffrages majoritairement dans les régions rurales, Alexander Van der Bellen quant à lui a su séduire les villes et les expatriés, montrant encore s’il en est besoin la polarisation de la vie politique autrichienne.
Ce dénouement était cependant inattendu, alors même que Norbert Hofer était donné largement gagnant, bénéficiant d’une plus grande sympathie que son rival plus âgé. Si ces deux grands partis traditionnellement au pouvoir depuis la fin de la guerre (SPÖ et ÖVP) n’ont pas donné de consignes de vote, les électeurs ont empêché malgré tout le FPÖ d’accéder au pouvoir instituant un cordon sanitaire face au populisme d’extrême droite.
Certes le président en Autriche dispose selon la constitution de pouvoirs entre ceux du président français et ceux de son homologue allemand, qui n’a a priori qu’un rôle symbolique. Il se doit d’incarner symboliquement l’unité nationale, ce qui est d’autant plus difficile à la suite de ces élections serrées qui ont divisé les Autrichiens.
Alexander Van der Bellen sera investi le 8 juillet prochain. Il a prononcé son premier discours le soir des résultats officiels, tendant la main aux électeurs de l’extrême droite mais évitant soigneusement les sujets qui ont polarisé la campagne, à savoir la crise des réfugiés et l’Union européenne.
Le symbole d’une recomposition du paysage politique autrichien et européen ?
En effet, la crise des réfugiés n’est pas étrangère au succès du FPÖ : si l’Autriche est traditionnellement un pays d’accueil, sa position de pays carrefour sur la route des réfugiés a changé la donne et fait pencher récemment l’opinion publique en faveur des idées du FPÖ. Cependant, il faut faire fi des simplifications excessives quant à la montée de l’extrême droite. Celle-ci est associée à de nombreuse coalition au niveau local ou national, depuis 2000 et l’entrée du FPÖ avec Jörg Haider au sein de la coalition gouvernementale. Cela avait fait grand bruit et l’Union européenne avait alors tenté de prendre des sanctions à l’encontre du parti populiste. Elles s’étaient avérées inefficaces, allant à l’encontre même de l’objectif initial.
L’Autriche est donc un symbole en matière de réaction populiste et des écueils à éviter pour l’alimenter, entre diabolisation et ingérence. Au sein d’un système démocratique où les citoyens ont la liberté de s’exprimer, il est désormais impossible de faire l’impasse sur ces quelques 50% des électeurs qui ont voté pour un parti populiste à droite de l’échiquier politique.
L’Autriche depuis quelques années flirte dangereusement avec l’extrême droite, qui est de plus en plus associée au pouvoir : le Burgenland par exemple, l’un des Land autrichien, est géré de concert par le FPÖ et le SPÖ. Ainsi, à la différence du Front National en France avec qui il partage un groupe au Parlement européen, le FPÖ ne doit pas prouver sa capacité à gouverner puisqu’il l’a démontré à maintes reprises. Le FPÖ n’avait cependant historiquement jamais atteint un score aussi haut puisque près d’un électeur sur deux lui a attribué sa confiance dimanche.
Les élections autrichiennes illustrent une dérive plus globale en Europe, qui fait face à la montée de l’extrême droite. L’Autriche, petit pays mais l’un des plus prospères d’Europe, dessine depuis quelques années les lignes de l’avenir politique de l’Europe. La Hongrie, la Pologne et la France observent des phénomènes similaires concernant la montée du populisme. Ce qui caractérise aussi l’élection autrichienne, c’est la crise des partis traditionnels avec l’élimination dès le premier tour des partis traditionnels de coalition que sont les sociaux-démocrates et les conservateurs. De la même manière, en Europe, cette crise s’illustre par le succès des partis issus de mouvements d’indignés en Espagne par exemple, ou par la montée de mouvements prônant une alternative aux forces politiques traditionnelles, que ce soit l’extrême droite, les Verts, la gauche de la gauche ou des mouvements citoyens. Les démocraties européennes sont donc en profondes mutations.
Si la grande coalition des sociaux-démocrates et des conservateurs ne s’effondre pas au Parlement à la suite de ce scrutin, les prochaines élections législatives auront lieu en 2018 afin d’élire un nouveau chancelier. Heinz-Christian Strache, leader de l’extrême droite a cet objectif bien en tête. Les partis traditionnels, très affaiblis vont devoir faire preuve d’ingéniosité, de renouvellement et de volonté politique afin d’endiguer cette irrésistible ascension de l’extrême droite.
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