Sylvain Waserman, député du Bas-Rhin et Vice-président de l’Assemblée nationale, a participé à la construction du nouveau traité de l’Elysée et de l’accord inter-parlementaire. Il répond aux questions du Taurillon sur cette initiative franco-allemande, ses objectifs à la fois locaux, transfrontaliers, et européens.
Le Taurillon/Laura Mercier : Comment est née l’idée d’une Assemblée parlementaire franco-allemande ?
Sylvain Waserman : Le 22 janvier dernier, au moment de la date d’anniversaire du Traité de l’Elysée, de ses 55 ans, nous avons pris une résolution entre le Bundestag et l’Assemblée nationale pour lancer un renouveau des relations parlementaires. Ça a donc été une année de construction, entre les exécutifs sur le traité de l’Elysée et entre les parlements sur un autre traité, qui est un accord inter-parlementaire. Pour ma part, j’ai été impliqué sur l’accord inter-parlementaire en étant un des neufs français parmi le groupe des 18 députés qui ont travaillé sur le sujet, ainsi que sur le traité de l’Elysée pour l’aspect transfrontalier, sur lequel le Premier ministre m’a demandé un rapport pour agrémenter l’aspect transfrontalier de ce traité.
Le Taurillon : Quelles vont être les missions de cette Assemblée parlementaire franco-allemande et comment va-t’elle se réunir ?
Sylvain Waserman : L’assemblée parlementaire sera constituée de 100 députés : 50 français et 50 allemands et sera présidée par Wolfang Schäuble (président du Bundestag) et par Richard Ferrand (président de l’Assemblée nationale). Elle aura trois objectifs : le premier sera de vérifier la mise en oeuvre effective du traité de l’Elysée, c’est un contrôle conjoint des deux exécutifs par les deux parlements. Le deuxième est de faire converger les droits, pour faire transposer les directives européennes de façon plus harmonieuse. Aujourd’hui, c’est presque par accident que la France et l’Allemagne transposent une directive de la même manière. On souhaite que les transpositions soient, par défaut, similaires et que seulement au besoin et exceptionnellement, elles soient menées différemment entre nos deux pays. D’autre part, pour travailler sur cette convergence sur des thématiques comme l’environnement réglementaire des entreprises, l’Assemblée parlementaire proposera des harmonisations entre les deux droits, sur tout ce qui concernerait un code franco-allemand du droit des affaires et qui pourrait être l’embryon d’un code européen de droit des affaires.
Sur ce point, le nouveau traité de l’Elysée est très volontariste avec l’objectif d’harmoniser un espace économique commun entre la France et l’Allemagne. Il s’agit donc d’avoir une initiative franco-allemande de convergence du code de droit des affaires pour faciliter le développement économique entre les deux pays et à terme, avoir un effet d’entraînement au niveau européen.
Le troisième objectif est de faire réunir des commissions thématiques pour dégager des positions communes au niveau européen.
Le Taurillon : Sur ces trois objectifs, y-a-t-il une coordination de prévue avec les travaux du Parlement européen ?
Sylvain Waserman : Oui, et elle est nécessaire. On constate aujourd’hui un lien manquant : les députés français rencontrent rarement, si ce n’est jamais, les députés français du Parlement européen. C’est un problème, notamment lorsqu’il est question de sujets complexes qui relèvent des compétences exclusives de l’Union européenne, comme le commerce extérieur. On estime qu’il faut agir pour combler ce vide et recréer ce lien qui n’est pas naturel. Donc dès lors qu’une position commune sera affirmée par l’Assemblée parlementaire franco-allemande, ce sera l’occasion de la définir également avec nos représentants au Parlement européen.
Le Taurillon : Qu’est-ce que ces traités vont changer pour les citoyens européens et comment pourront-ils suivre les travaux de l’Assemblée ?
Sylvain Waserman : Il y a des conséquences très directes pour les citoyens, en particulier pour les citoyens transfrontaliers. Il y a un sujet que l’on doit résoudre et qui fait partie du traité de l’Elysée : les irritants de la vie quotidienne des habitants frontaliers, qui sont les conséquences directes des écarts entre les deux droits nationaux. Par exemple, sur la reconnaissance du diplôme, les entraves au commerce… On peut citer de nombreux exemples, du fleuriste de Kehl qui doit rentrer dans le système d’information des travailleurs détachés français pour livrer son bouquet de fleurs de l’autre côté du pont à Strasbourg, aux puéricultrices françaises qui ne peuvent pas être seules avec des enfants allemands car elles n’ont pas le diplôme allemand… Le nouveau traité de l’Elysée prévoit donc la mise en place d’une task force avec les pouvoirs réglementaires, celui du préfet, les pouvoirs législatifs des députés et les pouvoirs exécutifs locaux, pour pouvoir prendre un à un tous ces irritants du quotidien et y apporter la meilleure solution. On manque aujourd’hui de solution concrète, comme le déplorent souvent les Eurodistricts qui ressentent ces irritants et ces limites mais qui n’ont pas de solution à y apporter sur tout ce qui est d’ordre législatif.
Le nouveau traité de l’Elysée apporte une innovation majeure via la possibilité de déroger au droit national pour harmoniser dans les zones frontalières, les deux droits.
Le Taurillon : Cette approche des relations transfrontalières, au niveau local, entre l’Allemagne et la France, a-t-elle ensuite vocation à inspirer d’autres Etats membres de l’UE qui partagent les mêmes frontières ?
Sylvain Waserman : Oui, le pari est de dire : la France et l’Allemagne ont aujourd’hui, vu l’état de l’Europe, un devoir de plus, une responsabilité supplémentaire et doivent impulser ces innovations. Sur le code franco-allemand du droit des affaires qui pourrait inspirer un code européen, d’autres pays ont déjà partagé leur volonté de rejoindre l’initiative, comme les pays du Benelux, car ils savent qu’ils ont davantage d’intérêts à en faire partie plutôt qu’à rester à l’écart de cette harmonisation. Le constat est que les solutions institutionnelles ne fonctionneront pas : si l’on veut faire converger le droit des faillites à 27 ou à 19, ou le droit des assiettes réglementaires fiscales, c’est très compliqué. On imagine mal l’Irlande accepter un quelconque changement au niveau européen sur les règles des assiettes fiscales. Donc, le couple franco-allemand doit impulser ces initiatives de mise en cohérence des droits.
Le fait est qu’aujourd’hui, nous avons la zone euro, qui a une intention de convergence puisqu’elle a été fondée avec une monnaie unique et une volonté de convergence, mais il y a une réalité de divergences, les économies de la zone euro divergent. Cette initiative franco-allemande pourrait de facto recréer une nouvelle cible de convergence au-delà de la France et l’Allemagne, car beaucoup d’acteurs pourraient se dire que certes, ce n’est pas imposé, ce n’est pas une directive, mais c’est une bonne pratique à suivre qui peut faire progresser les économies et l’environnement réglementaire des entreprises.
Le Taurillon : Sur cette initiative franco-allemande, que répondre aux éventuelles critiques d’autres Etats membres, ou de partis politiques, qui pourraient pointer du doigt un centrisme sur le couple franco-allemand ?
Sylvain Waserman : Sur cette Assemblée parlementaire franco-allemande, tous les partis (sauf les extrêmes) soutiennent le projet. On a fait une réunion entre les deux bureaux des assemblées, sur la base de cette proposition, qui a été validée. Mi-novembre, l’ensemble des bureaux et des groupes politiques, ont validé le projet aussi (sauf les extrêmes). Je pense donc qu’il y a un consensus politique fort.
Alors est-ce que cette initiative s’inscrit dans une Europe à deux vitesses ? Pour moi, ce n’est pas une initiative institutionnelle pour une Europe à deux vitesses, c’est une initiative de convergence. Je crois que l’attitude qui consisterait à dire que tout va bien, que l’on peut continuer comme avant, continuer à diverger mais que ce n’est pas grave et qu’en plus il n’y a pas de solution institutionnelle, serait irresponsable. La responsabilité de ce binôme justement, est d’essayer d’être force de propositions vers l’ensemble des pays de la zone euro en particulier, pour plus de convergence dans le domaine économique.
Je crois qu’aujourd’hui, les solutions institutionnelles, sur l’exemple de la fiscalité à 27, ne sont pas opérantes. Si on arrive à faire converger déjà, les assiettes fiscales entre la France et l’Allemagne, il est probable que beaucoup de pays, sans contrainte, décident de nous rejoindre dans cette démarche.
Si la question est de savoir si cela risque de créer des oppositions, alors oui certainement, mais on ne peut pas se payer le luxe de faire comme si tout allait bien et que la convergence serait une donnée évidente alors que la zone euro diverge. Ma conviction très profonde est qu’une monnaie unique avec des économies qui divergent, ne tient qu’un moment. On a la nécessité de recréer cette convergence, et force est de constater que les solutions institutionnelles sont peu opérantes.
Il ne faut donc pas voir ce traité et cette assemblée comme une initiative en concurrence avec l’Europe, ce serait une erreur de lecture.
Le Taurillon : Justement, quel rôle ce traité peut-il jouer dans une Union européenne en crise(s) ?
Sylvain Waserman : Il faut bien comprendre que cette initiative traite de sujets tous aussi importants que le transfrontalier, mais pas que. Il s’agit de la place de nos deux pays et de leurs responsabilités dans une situation où l’Europe est à la fois menacée et porteuse d’espoirs. Elle est menacée par les populismes, et l’on ne peut pas rester les bras croisés. Les acteurs du monde économique ont aussi leur responsabilités à prendre, c’était mon message un peu plus tôt aujourd’hui lors des Voeux de la IHK Karlsruhe (CCI allemande).
On ne peut pas rester les bras croisés en regardant l’Europe que nos grands-parents ont imaginé, que nos parents ont construit, se déliter. C’est à nous d’impulser une dynamique nouvelle, concrète et pragmatique, pour répondre aux attentes des citoyens.
Le Taurillon : Vous avez également travaillé sur un rapport sur l’avenir de la zone euro, qu’en ressort-il ?
Sylvain Waserman : J’y ai présenté des mesures pratiques et pragmatiques, dont trois que j’aimerai partager : la première dont j’ai parlé, est l’initiative franco-allemande de convergence, que j’appelle la “convergence parallèle” pour montrer que c’est une convergence que chaque pays mène avec des cibles communes. La deuxième, c’est ce code européen des affaires, qui est la matérialisation de cette convergence pour l’environnement réglementaire des entreprises. La troisième concerne le budget de la zone euro.
Dans la déclaration de Meseberg, Angela Merkel et Emmanuel Macron ont convenu qu’ils étaient en faveur d’un budget de la zone euro. J’insistais dans mes propositions sur le fait que d’une part, le budget de la zone euro doit être alimenté par des taxes comme celle sur les GAFA, qu’aucun des pays seul n’est capable de lever, et avoir un budget qui d’abord s’alimente sur les ressources qu’aucun pays seul n’est capable de lever serait un message fort pour les citoyens, et non pas seulement un transfert du bas vers le haut mais la preuve que l’UE, et la zone euro en l’occurrence, peut avoir un poids sur les GAFA, qu’aucun état seul ne peut avoir.
D’autre part, par des stabilisateurs économiques, il faut imaginer un fonds européen pour l’emploi qui en cas de crise et de montée brusque du chômage suite à une restructuration de l’économie, permettra à l’UE, en direct et via ce budget, de financer à la fois des formations et de les indemniser. Cette fonction de stabilisateurs économiques aurait une chance d’être viable lorsque les citoyens, chômeurs, qui bénéficieraient de ces aides, aient conscience que c’est directement une aide européenne et grâce à un programme européen qu’ils ont cette opportunité de formation qualifiante. Il y aura un lien direct entre l’Union et le bénéficiaire. Aussi, ce fonds doit permettre d’investir dans les compétences et non seulement dans des indemnisations. On aide les citoyens à se projeter sur l’économie de demain avec une formation qualifiante plutôt qu’avec uniquement une indemnisation. C’est une façon de rendre concrète pour les citoyens l’utilité des stabilisateurs économiques d’un budget de la zone euro.
Le Taurillon : Merci pour vos réponses et vos explications sur cette initiative franco-allemande et sur vos propositions pour l’avenir de la zone euro.
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