Dès les prémices de l’Union, les Etats fondateurs se sont accordés pour œuvrer à faciliter les échanges internationaux par une politique commerciale commune. Au fil du temps, cette politique commerciale s’est développée, étoffée, et chacune des actions menées dans ce domaine impacte, positivement ou négativement, l’Union européenne, ainsi que et surtout ses citoyens, qui demeurent oubliés de ces évolutions.
Aux balbutiements de l’Union, le commerce
Afin de comprendre les enjeux de l’évolution de la stratégie commerciale de l’Union, un rapide retour historique sur sa construction s’impose.
1951. Après le discours du président Robert Schuman, les Etats fondateurs signent le Traité instituant la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), régulant les actions des signataires dans ces domaines. C’est la naissance de la construction européenne.
1957. Le Traité de Rome est signé par les 6 Etats membres fondateurs, instituant la Communauté économique européenne (CEE), devant permettre de rassembler les forces au sortir d’une guerre ayant rendu les économies quasi exsangues.
1992. Le Traité de Maastricht, mettant fin à la CEE et instituant l’Union européenne, est signé, prenant acte, d’une certaine façon, du fruit d’une coopération politique dans plusieurs domaines, et donnant de nouvelles compétences à cet édifice.
2009. Les Etats membres signent le Traité de Lisbonne, lequel élargit une fois encore les compétences de l’Union. Et c’est notamment en matière commerciale que l’avancée est notoire puisqu’avec l’octroi d’une compétence exclusive en matière d’investissements étrangers, les Etats membres ont consenti à donner à l’Union européenne la quasi-totalité de leurs compétences dans ce domaine.
Comme le relève Olivier de Laroussilhe, « La politique commerciale de l’Union européenne est l’un des éléments les plus achevés de la construction européenne ».
Better, faster, stronger ?
Tournée depuis le début vers le multilatéralisme, la stratégie commerciale de l’Union s’est développée et étoffée avec l’accroissement de ses compétences. Elle est devenue un instrument au service d’autres objectifs. Le commerce a pu être conçu comme un outil de développement des droits de l’Homme par exemple ou au service de l’environnement comme avec le Green Deal. Et ces préoccupations doivent désormais faire partie intégrante des accords.
Le Traité de Lisbonne a donné un réel coup de boost à la stratégie commerciale de l’Union. Les modèles d’accords se sont nettement développés, comme en attestent les derniers accords en cours de négociations comme le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) avec les Etats-Unis ou encore le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), des accords recouvrant un très large champ de domaines. Ce sont des accords de dernière génération, volontiers qualifiés de « méga » accords. Sur le plan commercial, les retombées attendues sont conséquentes : ouverture de marchés de centaines de millions de consommateurs, développement des exports au profit des entreprises européennes, création d’emplois ...
Et les préoccupations sociales, environnementales … font aussi partie de ces méga accords. À titre d’exemple, l’accord avec le Viêt Nam doit faire la part belle au développement des droits des travailleurs et aux normes environnementales, en encadrant la croissance vietnamienne dans le respect du climat. La stratégie commerciale de l’Union, en 15 ans, semble donc être devenue « better, faster, stronger » mais amputée d’un membre essentiel : les citoyens.
Les citoyens européens, les grands oubliés ?
La stratégie commerciale en vigueur, intitulée « Commerce pour tous », a été définie et adoptée par l’ancienne Commissaire au commerce, Cécilia Malmström, stratégie qui se veut plus inclusive et responsable et marquée par la transparence. Mais peut-être cette stratégie est-elle arrivée trop tard, puisque la stratégie commerciale mise en œuvre depuis des années semble avoir déjà commencé à montrer ses limites, notamment par son défaut d’implication des citoyens.
Si les dispositions de ces accords font l’objet de critiques de la part de la « société civile », c’est aussi et surtout sur la forme que les critiques sont vives. La façon dont l’Union européenne définit sa stratégie commerciale et mène les négociations est vivement critiquée. En attestent les négociations menées dans le cadre du TTIP, où les réactions de la société civile ont été telles que la Commission a lancé une « consultation citoyenne » pour s’accorder une « période de réflexion », recueillir l’avis des citoyens européens et tenter de combler ce qui pourrait être appelé un déficit démocratique. Cette consultation a bénéficié d’une participation record, conduisant la Commission à rallonger le délai de la consultation et démontrant l’intérêt des citoyens pour ces questions.
Ces contestations ont conduit les institutions à communiquer davantage sur le sujet et à faire preuve de plus de transparence. Des fiches d’informations et les documents de position de l’Union sur chaque thème de l’accord avec les Etats-Unis sont ainsi par exemple disponibles.
S’il faut saluer le lancement de consultations citoyennes et les avancées qui peuvent en découler, il faut relever que le résultat n’est pas nécessairement pris en compte par les institutions européennes. Ainsi, le fameux mécanisme de règlement des différends entre entreprise et Etats, principal objet des critiques, n’a quasi pas été revu dans l’accord, si ce n’est dans son intitulé et quelques menus détails.
Ceci étant, cet accord pourrait être considéré comme ayant créé un précédent dans les relations entre les institutions et les citoyens. Ces derniers ont commencé à s’emparer de ces questions et commencent à faire entendre leur voix, parfois à l’aide des canaux de communication existants, tels que l’« Initiative citoyenne européenne », qui permet à au moins 1 million de citoyens, venant d’au moins 1/4 des pays membres de demander à la Commission européenne de travailler à une proposition sur un sujet donné.
Mais le résultat n’est pas flagrant. Il semble y avoir encore un fossé entre les citoyens et les institutions dans le cadre de la définition et de la mise en œuvre de la stratégie commerciale. Si, depuis une quinzaine d’années, des avancées ont pu être constatées, il reste encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir affirmer que les citoyens sont associés aux décisions de l’Union qui les impliquent individuellement et quotidiennement.
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