Boris Johnson vainqueur au Royaume-Uni : le prix de l’indécision

, par Rémi Laurent

Boris Johnson vainqueur au Royaume-Uni : le prix de l'indécision
Get Brexit Done ! Source : fils twitter de Boris Johnson

Jeudi 12 décembre 2019, 22h à Londres, les bureaux de vote britanniques ferment. Les médias britanniques annoncent les résultats des sondages de sortie des urnes ; le résultat est sans appel : les conservateurs britanniques remportent le scrutin avec la plus forte majorité jamais obtenue depuis… Margaret Thatcher en 1987 ! 368 députés conservateurs contre un peu moins de 200 pour les Travaillistes. Un résultat net qui donne à Boris Johnson, déjà Premier ministre, les coudées franches pour réaliser la sortie du Royaume-Uni de l’Union et faire adopter son programme. Mais surtout, un résultat qui constitue une véritable déroute pour le Labour mené par Jeremy Corbyn.

Une déroute de l’opposition entière

La plupart des sondages annonçait une victoire du parti conservateur dès le début de la campagne mais l’incertitude grandissait dans les derniers jours de campagne au fur et à mesure que l’écart se réduisait entre Conservateurs et Travaillistes.

À la sortie des urnes, si, en 2017, Theresa May comptait 317 députés, Boris Johnson peut lui compter sur une majorité de 365 députés, soit autant que de jours dans une année.

C’est une grande victoire pour lui, qui dispose désormais de 162 députés de plus que les travaillistes et 88 députés de plus que l’ensemble de l’opposition réunie, le Sinn Fein irlandais ne siégeant pas.

Cette majorité est encore plus criante en comparaison avec le groupe conservateur avant les élections, de 294 députés, plusieurs ayant quitté le parti conservateur pour le groupe Change UK ou les Libéraux-démocrates, 21 ayant été exclu par Boris Johnson qui a réintégré 10 députés parmi les 21 « rebelles ». Le Labour, lui ne compte désormais que 203 députés.

Un Boris Johnson inébranlable

Très critiqué pour ses nombreuses gaffes lors de la campagne où il a multiplié les déclarations maladroites, manquant de compassion, voire mentant délibérément devant les caméras, fuyant les journalistes comme la peste au point d’être représenté par un bloc de glace lors du débat organisé par iTv sur le changement climatique, ou d’être invité par vidéo interposée à être interviewé par Andrew Neil, journaliste politique redoutée de la BBC. Boris Johnson est même allé jusqu’à se cacher dans une chambre froide alors qu’il visitait entreprises pour échapper aux questions des journalistes.

Des situations qui auraient valu à la plupart des autres candidats de se faire massacrer dans les urnes, mais pas lui, visiblement. Cible de railleries et de quolibets de la part de l’opposition et de l’establishment, tout cela a glissé sur le Premier ministre, comme la pluie sur les imperméables des britanniques.

La chute du mur rouge

Car l’ancien maire de Londres a depuis longtemps ciblé les circonscriptions qui ont voté « Leave » du nord et du cœur de l’Angleterre pour tenter d’obtenir une majorité pour son Brexit. Des circonscriptions historiquement travaillistes, considérées comme des bastions imprenables, le « mur rouge ». C’est ce « mur rouge » qui a littéralement volé en éclats lors de ces élections générales de 2019 et dont la perte a matérialisé la plus lourde défaite pour le Labour depuis les élections générales de 1935.

Le Labour paie donc son indécision sur LE sujet de ces élections anticipées : le Brexit. La raison principale donnée par nombre d’électeurs historiques du Labour sur leur vote pour les Conservateurs lors de ces élections malgré l’austérité décidée par ces mêmes Conservateurs et qui les touchent de plein fouet était le Brexit et le respect du referendum de 2016.

Divisé entre partisans du Leave et du Remain, le Labour partait à ces élections avec un chef historiquement partisan d’une sortie de l’Union européenne, Jeremy Corbyn, alors que le Labour est devenu partisan d’un maintien au fil des années.

Entre la promesse d’une nouvelle renégociation puis d’un 2nd referendum et le message d’une simplicité confondante de Boris Johnson « Get Brexit done » (réalisons le Brexit), les électeurs travaillistes partisans du Leave ont fait leur choix.

Erreur de stratégie au centre

Erreur de stratégie aussi pour les libéraux-démocrates, qui auraient pu sortir les grands gagnants de cette élection, en favorisant les votes de l’entre deux.

Récupérant une partie des députés « centristes » tant du camp conservateur que travailliste, Jo Swinson partait en campagne avec un groupe parlementaire gonflé par rapport à 2017. Las, grisée par les sondages et la division du Parlement britannique, celle qui se rêvait potentielle Première ministre, a non seulement perdu son pari mais aussi son siège de députée.

Elle paie là un changement de stratégie risquée : remplacer sa demande d’un 2nd referendum sur l’accord de retrait négocié avec l’Union européenne par une révocation pure et simple de l’article 50 (signifiant une sortie de l’UE) si une majorité Lib-dems était envoyée à Westminster. Une position considérée comme un déni de démocratie tant par les pro-Leave que pro-Remain.

Surprise chez les nationalistes

L’Écosse, dont 62% des votants ont pris le parti du Remain en 2016, a gagné 13 sièges du parti national écossais (SNP) et atteint 48 députés. Un bon résultat mais loin du quasi grand chelem de 2015, où le SNP avait alors obtenu 56 des 59 sièges en jeu en Écosse dans la foulée du referendum sur l’indépendance écossaise. De l’autre côté de la mer d’Irlande, c’est un séisme d’un tout autre genre qui a eu lieu puisque pour la première fois de son histoire, l’Irlande du Nord a élu plus de députés nationalistes que de députés unionistes. Le DUP (unioniste) perdant deux sièges dont de son vice-président et le Sinn Fein en gagnant un.

Là encore, c’est le Brexit qui a fait bougé les lignes, le DUP payant son soutien au Brexit et au gouvernement conservateur. Le rétablissement de formalités douanières dans l’accord de transition renégocié par Boris Johnson avec l’Union européenne y est pour beaucoup.

Mais tout autant que les raisons inhérentes à chaque parti, c’est la division du camp du Remain qui l’a conduit à sa perte. Tandis que Boris Johnson a réussi à assécher le marais des voix du Leave rendant presque responsable Nigel Farage, leader des Brexiters, d’un éventuel échec des Conservateurs donc de la sortie du Royaume-Uni de l’UE, le chef des Conservateurs a réussi à en martelant en permanence quel que soit la question qui lui était posée : « Get Brexit done ! » (Réalisons le Brexit). Et remporter les voix des électeurs du Brexit Party de Nigel Farage, qui n’avait présenté aucun député.

Qu’advient-il du Brexit ?

À court terme, Boris Johnson pourra donc faire adopter comme il l’entend son projet d’accord de transition ainsi que tout texte comme il l’entend. Il a d’ailleurs déjà commencé en faisant adopter l’accord de transition négocié avec l’Union européenne par les Communes dans un vote de principe.

Mieux, il pourra même se permettre des pertes et de ne rien céder aux extrémistes de son propre camp dont Theresa May était l’otage ce qui, paradoxalement, pourrait permettre un Brexit plus « doux » que s’il avait eu une majorité étriquée ou pas de majorité du tout.

La route pour le Brexit semble donc enfin dégagée. Une « bonne nouvelle » tant pour le Royaume-Uni que pour l’Union européenne qui permet de clarifier la situation. Moins bonne pour les observateurs de la vie politique britannique qui s’étaient habitués depuis 2017 à une vie parlementaire trépidante où les surprises, les imprévus et les trahisons se multipliaient de jour en jour, la réalité dépassant la fiction.

***

La division au Royaume-Uni, en pratique

Faute d’avoir su s’unir, les partisans d’un maintien dans l’Union européenne ont tout perdu. Exemple avec deux circonscriptions : Blyth valley et Westminster.

Blyth valley, partisans du Leave, Labour, a voté Conservateur Blyth est une circonscription historiquement travailliste typique du Nord-Est de l’Angleterre habitée par un électorat populaire, mais ayant majoritairement voté pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union en 2016. Travailliste depuis sa création en 1950, la circonscription fait partie des 54 circonscriptions perdues au profit des Conservateurs.

En 2015, le Labour avait obtenu 46,3% des suffrages 21,7% pour le candidat conservateur. En 2017, le Labour avait monté en puissance, et réuni 55,9% des suffrages, contre 36,9% pour le candidat conservateur, Ian Levy, qui avait alors permis au parti conservateur de quasiment doubler son score.

Lors du scrutin de 2019, le Labour, qui présentait une nouvelle candidate Susan Dungwort après le retrait de Ronnie Campbell (député de la circonscription depuis 1987) a obtenu 40,9% des suffrages mais le candidat conservateur, Ian Levy qui tentait de nouveau sa chance après son bon résultat de 2017, a obtenu 42,7% des voix. Pas suffisant pour obtenir une majorité absolue en voix mais suffisant emporter le siège de député. Dans cette même circonscription, le candidat du Brexit party arrive 3e (8,3%) tandis que le candidat des Lib-dems arrive 4e avec seulement 5,3% des voix.

Il n’avait aucune chance d’espérer être élu, sauf miracle de Noël mais les voix qui se sont portés sur son nom aurait suffit à permettre aux Travaillistes de garder la circonscription.

Westminster, Remain, Conservative hold

Westminster ou plutôt « Cities of London and Westminster », la circonscription qui héberge le Parlement britannique et couvre le centre historique de Londres et donc, Westminster, est une circonscription historiquement conservatrice, mais qui, à l’image de Londres, a voté pour rester dans l’Union en 2016.

En 2015, Mark Field emporte le siège avec 54,1 % des suffrages, contre 27,4 % pour le candidat du Labour et 7 % pour la candidate présentée par les Lib-dems. Lors du scrutin de 2017, Mark Field perd la majorité absolue dans la circonscription, principalement au profit du Labour (38,4%) et des LibDems.

En 2019, les LibDems choisissent de présenter Chuka Umunna, un député travailliste qui a fait défection pour rejoindre les libéraux-démocrates suite aux accusations d’antisémitisme visant Jeremy Corbyn. Pari risqué pour Umunna qui abandonnait la circonscription de Stretham, solidement ancré dans le camp travailliste depuis 1992.

Figure du renouveau voulu par Jo Swinson, Umunna a agi comme un aspirateur à voix du Remain. Triplant le nombre de voix des LibDems dans la circonscription, il réalise un très bon résultat, mais insuffisant. Incapable de trouver un terrain d’entente entre eux, les partis favorables au Remain ont morcelé l’électorat. Ainsi le candidat travailliste perd 11,2% par rapport en 2017. Un résultat dans la moyenne des résultats du Labour sur le plan national.

Résultat de ces divisions, la circonscription qui avait voté à 71,95% pour rester dans l’Union européenne se retrouve avec un député pro-Brexit du fait de l’éclatement des voix entre trois candidats pro-Remain. Force est de constater que les divisions entre Remainers ont permis l’élection de nombreux députés conservateurs partisans d’une sortie de l’UE.

Pour aller plus loin, le scrutin en cartes Sur Sky News, The Independant

En savoir plus sur les gagnants et les perdants

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