Bosnie-Herzégovine : Une opportunité de survivre ?

, par Paul Brachet

Bosnie-Herzégovine : Une opportunité de survivre ?
La petite république balkannique de Bosnie-Herzégovine est partagée entre deux principales entités fédérées : la fédération de Bosnie et Herzégovine, regroupant les Bosniaques et les Croates, et la Republika Srpska, regroupant les Serbes de Bosnie. ©Adam Cohn, Flickr

En janvier dernier, la présidente de la Commission européenne, accompagnée des Premiers ministres croate et néerlandais, était présente à Sarajevo pour parler de la candidature de la Bosnie-Herzégovine à l’Union européenne. Une adhésion qui reste encore aujourd’hui lettre morte alors que la survie du pays n’a jamais semblé aussi fragile.

Une ouverture des négociations en mars… ou en 2025

Mark Rutte a été clair. Le Premier ministre néerlandais n’a en effet pas fait de faux espoirs quant à l’ouverture des négociations avec la Bosnie-Herzégovine. « Le temps presse [pour l’ouverture des négociations], d’ici mars, cette opportunité sera passée ». Et d’ajouter « les réformes doivent être faites [même si la structure politique du pays] est complexe ».

Mark Rutte était en effet présent aux côtés d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et du Premier ministre croate Andrej Plenković, à Sarajevo. Cette visite en trio avait pour but de réaffirmer le destin européen de la Bosnie-Herzégovine, mais aussi de presser les décideurs bosniens à réaliser les réformes nécessaires à l’ouverture des négociations d’adhésion du pays à l’Union européenne. La Bosnie-Herzégovine est candidate à l’Union depuis 2016. Si elle a été reconnue officiellement comme telle par l’UE en décembre 2022, la situation n’a pas beaucoup évolué depuis. Aucune réforme d’ampleur nécessaire à l’adhésion à l’UE n’a été faite, notamment en ce qui concerne la lutte contre la corruption, le renforcement de l’Etat de droit, ou la stabilisation des institutions démocratiques.

Une situation qui fait craindre que la Bosnie ne passe à côté de l’histoire. En effet, les Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union se sont accordés avec la Commission pour que les négociations d’adhésion débutent en mars 2024. Or, aujourd’hui, la situation politique du pays ne le permet tout simplement pas. Du moins, c’est le constat partagé par Mark Rutte, Ursula von der Leyen et Andrej Plenković. Pour les trois représentants européens en visite officielle en Bosnie, si Sarajevo passe cette occasion, les négociations ne pourront s’ouvrir, au plus tôt, qu’en 2025. En effet, après mars, les Européens se concentreront sur les élections européennes, puis sur la formation de la nouvelle Commission. Un an de plus à attendre pour les Bosniens, au minimum. Une situation de blocage intrinsèquement liée à la structure politico-institutionnelle du pays.

De gauche à droite, Andrej Plenkovic (Premier ministre croate), Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne), Borjana Krišto (Première ministre bosnienne) and Mark Rutte (Premier minsitre néerlandais). ©Commission européenne

Un candidat, des gouvernements

Si la Bosnie-Herzégovine patine autant dans la mise en place d’une législation favorable à l’ouverture des négociations avec l’UE – cela alors qu’un pays en guerre comme l’Ukraine a réussi à le faire – c’est à cause de son système politique. Une situation héritée des guerres de Yougoslavie, qui ensanglanta le pays.

Pour mettre fin aux conflits inter-ethniques en Bosnie, les accords de Dayton prévoient de faire du nouveau pays une fédération multi-ethnique basée sur un partage du pouvoir entre les trois peuples majoritaires, tous parties au conflit : les Bosniaques musulmans, les Croates catholiques et les Serbes orthodoxes. Si les accords signés en 1995 mettent fin au conflit, ils ne permettent pas d’instaurer une paix durable. Le système mis en place cristallise le statu quo, sans permettre un dépassement nécessaire. Si le système respecte le multi-ethnisme, il l’oblige. La population bosnienne se trouve être obligée de s’identifier en tant que Bosniaque, Croate ou Serbe, sans possibilité de se considérer comme citoyen de Bosnie, Bosnien donc. Les enfants étudient dans des écoles, lycées et universités séparés, les principaux partis politiques sont des partis ethniques. Afin de respecter l’équilibre institutionnel basé sur l’ethnie, les juges, magistrats, politiques, sont forcés de se définir par leur ethnie. Bref, un système politique qui fige les identités, gèle de fait les conséquences de la guerre, et qui permet aux nationalismes de prospérer.

La situation est d’autant plus préoccupante alors que les autorités de l’ensemble serbe de Bosnie soutiennent depuis une dizaine d’années le droit à l’autodétermination. Autodétermination qui rimerait avec la dissolution pure et simple du pays, alors que l’ensemble serbe, la Republika Srpska représente un tiers de la population et la moitié du territoire. De fait, le Président serbe de Bosnie, Milorad Dodik, est en ce moment même en train d’être jugé par la Cour suprême pour «  non respect » du Haut représentant international, chargé de veiller à la bonne application des accords de Dayton. Milorad Dodik avait, en effet, consécutivement célébrer la fête nationale de l’entité serbe, une interdiction absolue selon les accords de paix, et fait voter une loi rendant caduque toute décision de la cour constitutionnelle bosnienne sur le territoire de la Republika Srpska, là encore un affront à l’unité du pays. Faut-il encore rajouter aux griefs portés à l’encontre du dirigeant serbe de Bosnie, l’agitation perpétuelle d’un référendum sur la sécession des Serbes de l’ensemble bosnien. Un cas extrême qui ne doit en rien minimiser les postures et actes nationalistes des responsables croates et bosniaques de Bosnie.

Une nécessité pour la Bosnie

Dans ce contexte, il apparaît difficile de faire voter les lois nécessaires à l’ouverture des négociations d’adhésion à l’UE. Pourtant, cette opportunité représente la meilleure chance pour la Bosnie-Herzégovine de maintenir son unité. De garantir sa survie en tant qu’Etat.

En effet, une intégration au bloc de la Bosnie-Herzégovine peut faire espérer un apaisement des nationalismes dans le pays. Elle peut permettre un développement de la Bosnie, une meilleure attention aux questions relatives à l’Etat de droit et à la lutte contre la corruption. Une pleine et entière adhésion de Sarajevo à l’UE, plébiscitée par 75% des Bosniens, peut également permettre à la Bosnie et à ses peuples de surpasser les accords de Dayton, notamment en ce que l’Union et son système si particulier peuvent être la promesse d’un autre modèle politico-institutionnel respectueux du multi-ethnisme. Au-delà de ces éventualités futures, l’ouverture des négociations peut être un sujet de consensus pour les décideurs bosniens, dépassant ainsi les clivages nationalistes traditionnels. L’unité politique de la Bosnie-Herzégovine dans la procédure d’adhésion du pays à l’UE est une opportunité rare, et inédite. Une chance qui ne doit pas être gâchée.

Une opportunité pour l’Union européenne

Mais quid de l’Union européenne. Si on comprend que la Bosnie gagne à entamer les négociations d’adhésion le plus tôt possible, que cela soit pour le développement, la stabilité, ou sa survie, pourquoi l’Union européenne est aussi pressante quant à l’ouverture des négociations ? Quel intérêt pour le bloc d’amarrer ce pays peuplé d’à peine plus de 3 millions d’habitants, si fragile économiquement ?

Cela tient en trois mots : unité, influence et stabilité.

Unité. Il existe en effet une unité parmi les 27 en ce qui concerne l’ouverture des négociations. Une unité démontrée par la présence de Mark Rutte au déplacement européen en Bosnie. Le néerlandais était jusque-là l’incarnation du refus de l’UE de s’élargir à de nouveaux membres. Un changement de politique opéré sous le double effet de la pression des Etats membres d’Europe centrale, au premier chef desquels l’Autriche et la Hongrie, qui possèdent tous deux des liens historiques et économiques forts avec la région, et du changement de vision de l’élargissement, un instrument davantage vu par l’une comme un outil géostratégique et politique qu’une simple procédure juridico-économique. Désormais, les 27 sont d’accord, il est nécessaire d’élargir l’Union européenne à de nouveaux membres, dont la Bosnie-Herzégovine.

Influence. Un consensus qui révèle l’importance géostratégique de la région des Balkans occidentaux pour l’Union. Cette région, qui englobe les pays de l’ex-Yougoslavie et l’Albanie, est aujourd’hui enclave de l’Union européenne, au cœur du continent. Une région historiquement au cœur des rivalités. Ce sont côtoyées, et continuent à le faire, les influences austro-hongroises (aujourd’hui européennes), russes et turques. Dans notre XXIème siècle, ces influences historiques sont rejointes dans leur course par les influences chinoises et américaines. L’Europe veut y jouer un rôle. Elle se trouve d’ailleurs être la candidate la plus logique, quand on sait sa proximité géographique et son rôle dans la promotion des droits de l’Homme et de l’Etat de droit dans la région. Si l’UE veut réduire les influences « étrangères » dans les Balkans occidentaux, considérés comme son arrière-cour, elle doit intégrer au mieux et au plus vite l’ensemble de ses pays, y compris la Bosnie-Herzégovine.

Stabilité, enfin. Une stabilité régionale qui doit faire face à une multitude de conflits pas encore résolus. La situation en Bosnie ne fait pas exception. Elle constitue aujourd’hui, avec l’Ukraine et la Moldavie, l’une des situations les plus à risque pour la sécurité et la stabilité de l’Europe. De la stabilité de la Bosnie dépend celle des Balkans occidentaux, et de celle des Balkans occidentaux dépend celle de l’Union européenne. C’est bel est bien de Sarajevo, capitale bosnienne, que le premier coup de feu de la Première Guerre mondiale a été tiré. Le bloc communautaire accroît sa pression sur la Bosnie-Herzégovine parce qu’elle sait que de son intégration dépend sa stabilité et sa survie. Une situation qui se veut réciproque.

« C’est dans notre intérêt mutuel
que [l’intégration de la Bosnie à l’UE] réussisse. »,
Ursula von der Leyen.

Reste à savoir si Sarajevo réussira à respecter ses engagements envers l’UE, et réussira dans l’ouverture de ses négociations, la balle est dans le camp des dirigeants nationalistes de Bosnie-Herzégovine.

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