L’impasse parlementaire
Si les 27 chefs d’Etat et de gouvernement se sont résolus à accorder un nouveau délai au Royaume-Uni, c’est bien du fait des parlementaires britanniques. Pour rappel, après le sommet du 21 mars 2019, ils se devaient de soutenir l’accord de retrait avant le 29 mars pour obtenir une extension technique jusqu’au 22 mai. Or, malgré la menace de la démission de la Première Ministre dans la balance et la présentation de l’accord sans la déclaration politique, ils l’ont rejeté une troisième fois à 344 voix contre 286.
Au-delà de ce troisième échec, les parlementaires britanniques n’ont pas non plus réussi leur “prise de contrôle” tentée à deux reprises. Ils ont voté à deux reprises l’organisation de l’ordre du jour qui est normalement décidé par l’exécutif, espérant dégager une ou des majorités pour des solutions alternatives. Ce fût un échec : sur les huit solutions proposées le 27 mars et les quatre du 1er avril, aucune n’a trouvé de majorité.
Cette série d’échecs a amené Theresa May à adopter une nouvelle stratégie visant à travailler de concert avec le Labour - le parti travailliste - de Jeremy Corbyn. L’objectif affiché étant de trouver une solution de compromis pour rajouter une partie des voix du parti d’opposition en faveur de l’accord de retrait. En parallèle des ses discussions britanno-britanniques, la Première Ministre a de nouveau adressé une demande d’extension au Conseil, jusqu’au au 30 juin.
L’éternel compromis européen
Pour rappel, l’extension ne peut être accordée qu’à l’unanimité des membres du Conseil européen, il a donc été nécessaire que les 27 Etats membres trouvent un point d’accord sur la demande de Theresa May.
En effet, dans les conclusions du Sommet européen du 21 mars, les Européens avaient indiqué que le Royaume-Uni se devait de revenir avec une “voie à suivre” pour obtenir une nouvelle extension. Au-delà de son changement de stratégie, Theresa May n’a pas annoncé la convocation de nouvelles élections générales, ni-même un nouveau référendum amenant certains pays, dont la France, à se montrer réticent à l’idée d’un report long. A son arrivée au Conseil européen de ce 10 avril, Emmanuel Macron a rappelé que rien n’était acquis et surtout pas la “rumeur” d’une extension longue.
Face à cette ligne dure, l’Allemagne a adopté une approche plus ouverte sur la question du report, Angela Merkel déclarant à l’occasion de sa rencontre avec Theresa May en amont du Conseil qu’elle jugeait possible un report jusqu’en 2020.
Cette date ne sort pas de nulle part, puisque Donald Tusk l’a lui-même évoqué dans cette solution de “flextension” : en clair, accorder un délai d’un an avec une “trappe de sortie” pour que le Royaume-Uni puisse quitter l’Union dès qu’il aura voté l’accord de retrait.
C’est une version réduite de cette solution qui a été adoptée dans la nuit du 10 au 11 avril : une extension au 31 octobre, date clé puisque la nouvelle Commission rentre en fonction le 1er novembre (cela doit permettre d’éviter de nommer un commissaire britannique). D’ici cette nouvelle échéance, le Brexit pourra avoir lieu à tout moment si les députés votent l’accord de retrait : si ce n’est pas le cas au 22 mai, des députés britanniques devront être élus au Parlement européen sous peine d’une sortie automatique au 1er juin. Une nouvelle fois c’est donc la peur du no-deal qui a poussé les Européens à accorder un report : ne pas passer pour ceux créant le chaos qui est aujourd’hui alimenté par l’indécision des parlementaires britanniques. Pourtant, si à l’approche du 31 octobre 2019 aucune solution n’a été trouvée - ni accord de retrait, ni révocation de l’article 50 - la peur du no-deal sera-t-elle toujours aussi vive ?
Les enjeux de cette nouvelle extension
En premier lieu, les élections européennes : il y aura donc vraisemblablement des députés britanniques au Parlement européen en mai prochain, rendant caduc la nouvelle répartition des sièges décidée à l’été dernier. Malgré tout, Theresa May espère toujours faire passer l’accord avant le 22 mai pour écarter un tel scénario qui n’a pas de sens dans le processus actuel de retrait.
Un autre point essentiel : le comportement britannique d’ici son départ. Jusqu’au 31 octobre, des décisions seront prises et le Royaume-Uni en qualité d’Etat membre aura toujours son mot à dire. C’est pourquoi les 27 ont indiqué dans leurs conclusions du 11 avril attendre des britanniques un comportement constructif qui ne viserait pas à bloquer toute prise de décision d’ici leur départ “conformément au devoir de coopération loyale”. Mais si cette attitude devrait être respectée par Theresa May qui déjà, pendant le processus de négociations, ne s’est opposée catégoriquement sur des dossiers majeurs, rien n’assure aux Européens qu’un nouveau gouvernement britannique coopère de la même façon. Et rien ne peut garantir aux 27 que Theresa May sera Première ministre pendant toute la période de report. En effet si les discussions avec le Labour n’aboutissent pas un accord pour soutenir l’accord de retrait, il est possible que Jeremy Corbyn décide de déposer une motion de défiance visant à faire tomber la Première Ministre. Dans un tel scénario, les conservateurs devraient chercher un nouveau leader. Certains des députés “hard brexit” ont publiquement annoncé leur volonté que le Royaume-Uni bloque le processus décisionnel au sein de l’Union dans le cas d’une extension longue.
Enfin l’option de la révocation de l’article 50 est toujours sur la table. Plusieurs dirigeants européens l’ont soulignée - comme Leo Varadkar, Premier Ministre Irlandais - et face aux questions juridiques qui se posent avec cette nouvelle extension, cela pourrait être une solution raisonnable. Les britanniques auront entamé avec leurs partenaires la nouvelle mandature européenne, prises de décision, parlementaires britanniques… pour partir au bout de quelques mois ? Et, si l’organisation d’élections européennes au Royaume-Uni mène à un large plébiscite pro-européen ? Comment l’interpréter ? Comment y répondre, alors que le Royaume-Uni est engagé dans un processus de sortie ? Certains sondages donnent le Labour comme première force politique britannique au Parlement européen, un argument de plus pour un changement de majorité à la Chambre des Communes et donc une nouvelle approche face au Brexit ?
Si l’espoir renaît chez les Remainers, chacune et chacun peut s’attendre à une campagne difficile. Espérons qu’elle sera plus constructive et réaliste que celle du référendum de 2016. Sans aucun doute, si des élections ont lieu, elles prendront une toute autre signification et seront instrumentalisées par les partis politiques pour légitimer leur position sur la sortie et l’accord de retrait. Alors, le Labour continuera-t-il à négocier avec les conservateurs sur l’accord de retrait ou fera-t-il campagne pour révoquer l’article 50 ? Les Conservateurs resteront-ils unis autour de la sortie de l’UE ?
Quoi qu’il en soit, outre-Manche, le chaos politique se poursuit. Les citoyens eux, restent dans l’attente - qu’ils soient pour ou contre la sortie.
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