Brexit : ils y vont ou ils n’y vont pas ?

, par Alain Malegarie

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Brexit : ils y vont ou ils n'y vont pas ?
CC - Gazon 5

On en parle depuis un « certain temps » déjà. Et cela durera encore longtemps, sans nul doute… Aujourd’hui force est de constater que les Britanniques, classe politique comprise, sont déchirés entre eux. Va-t-on vers un hard ou un soft Brexit ? Nul ne le sait.

Petit rappel historique

Le 23 janvier 2013, David Cameron, alors Premier ministre conservateur du Royaume-Uni, annonce qu’en cas de réélection lors des élections législatives de 2015, il organisera un référendum sur l’appartenance à l’UE. Son but n’était d’ailleurs pas du tout de sortir de l’UE, mais de faire pression sur Bruxelles pour négocier un nouveau statut, qui serait plus favorable à Londres. Evidemment, Bruxelles n’avait pas donné suite à ce chantage, le Royaume-Uni ayant déjà obtenu beaucoup d’avantages et de dérogations en 43 ans d’appartenance à l’UE.

Réélu le 7 mai 2015, David Cameron tient sa promesse en organisant le scrutin. En février 2016, il obtient néanmoins de ses partenaires européens un accord sur lequel il s’appuie pour faire campagne en faveur du « Remain » (rester dans l’UE). Mais funeste surprise, le 23 juin 2016, jour du vote historique, c’est le « Leave » (la sortie) qui l’emporte avec 51,9% des suffrages, et un taux de participation important (72,1% des inscrits). Et le 29 mars 2017, après un long débat au Parlement, le Royaume-Uni a officiellement demandé à quitter l’UE en application de l’article 50 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE).

Depuis, la Commission européenne et le Conseil européen ont organisé les modalités du divorce avec le Royaume-Uni, dans un climat souvent tendu. Les acteurs principaux de la négociation sont Michel Barnier, négociateur en chef pour les négociations de l’UE avec le Royaume-Uni, et David Davis, secrétaire d’Etat britannique chargé de la sortie de l’UE. Avant même d’entamer les négociations sur les futures relations entre le Royaume-Uni et l’UE, notamment sur le plan commercial, l’Union européenne a tenu à travailler sur un accord préalable, sur les modalités du divorce (coût, citoyenneté européenne et situation des deux Irlande).

Le 8 décembre 2017, un accord laborieux est enfin intervenu sur les modalités du divorce. Le compromis du 8 décembre est contraignant, malgré les propos de David Davis. Cet accord qui achève un cycle de négociations compliquées engagées depuis le 19 juin 2017, porte sur trois sujets importants :

La facture du divorce, ou « divorce bill » : les Britanniques ont fini par accepter de verser à l’UE la somme de 50 milliards €, pour compenser les contributions prévues au budget commun jusqu’en 2020, ainsi que d’autres engagements comme les retraites des fonctionnaires européens.

Le gouvernement de Theresa May s’est engagé à préserver l’intégralité des droits des citoyens européens établis au Royaume-Uni (ils sont 3,2 millions !) jusqu’au 29 mars 2019, date prévue pour la sortie effective de l’UE. Mais après cette date, aucune garantie n’est donnée sur le maintien de ce traitement, [1] d’autant plus que la Cour de justice de l’Union européenne n’aura plus aucune compétence pour protéger ces droits, après le Brexit. Un régime de visas pénaliserait les étudiants, les travailleurs les moins qualifiés et le regroupement familial.

Le Royaume-Uni ne rétablirait pas de frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, conformément aux accords de Belfast du 10 avril 1998. Et ce même si le Royaume-Uni devait quitter le marché intérieur européen. Sur ces accords, l’Union européenne est restée ferme et unie, à 27, et les Britanniques ont dû céder. C’eût été un comble que des millions de citoyens européens qui entendent rester au RU soient inquiétés par une décision absurde, ou que la République d’Irlande (EIRE), Etat membre de l’UE et même de la zone euro, et qui entend bien le rester, se retrouve isolée, cadenassée dans des frontières entre les deux Irlande !

Dès lors, une seconde phase de négociations, bien plus compliquée encore, pouvait s’ouvrir, portant sur les futures relations entre le Royaume-Uni et l’UE, surtout sur le plan commercial. Ainsi, les 14 et 15 décembre 2017, le Conseil européen (à 27) a accepté d’ouvrir cette seconde phase de négociations. Il a aussi accepté que le Royaume-Uni bénéficie d’une période de transition de 2 ans, ramenée en janvier 2018 à 21 mois (soit au 31/12/2020 maxi), période où s’appliquerait le droit européen (les quatre libertés fondamentales qui sont le socle de l’UE : la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux) sans que les Britanniques puissent participer aux décisions de l’UE. Les premières discussions sur cette période de transition ont commencé en février 2018, alors que celle sur le futur accord commercial devrait commencer officiellement en mars 2018, jour du retrait du Royaume-Uni de l’UE. Quand on sait que l’accord de libre-échange avec le Canada (le CETA) a nécessité 8 années de négociations ardues, le délai de deux ans de transition paraît bien court…

Le plus dur reste donc à faire !

Le tout dans une très grande confusion. Fin janvier, les instances de l’UE semblaient laisser la porte ouverte aux Britanniques pour … rester dans l’UE et Nigel Farage a demandé un nouveau référendum pour « clarifier » les positions. Mais Theresa May a rappelé : « il n’y aura pas de second référendum sur le Brexit ». La vie politique britannique vit dans un profond désordre, pire que pendant la Crise de Suez en 1956 ! Personne n’ose parier sur la durée de vie du gouvernement de Theresa May. Toutes les sensibilités politiques britanniques (même les conservateurs) sont divisées sur le Brexit, au point de chercher parfois des plans B. Il y a encore des manifestations qui critiquent, drapeau européen en main, le Brexit. Une étude sérieuse vient de révéler que, selon les hypothèses du « Brexit dur », le Royaume-Uni perdrait 5 à 8% de croissance du PIB dans les dix ans qui viennent ! Le monde économique est de plus en plus consterné par les conséquences du Brexit. Côté politique, une initiative a même créé l’équivalent du mouvement « En Marche » appelée « ReNew », militant pour le renoncement au Brexit.

Quelles conséquences ?

Les conséquences économiques et sociales sont déjà là, même avant le Brexit. L’inflation a beaucoup augmenté. La consommation recule nettement. Les investissements internes et externes stagnent. Les investissements directs étrangers (IDE) reculent. Tout cela va continuer à éroder la croissance et le niveau de vie, d’autant que la Livre a chuté et que la dette publique et privée est importante. Les exportations ne progressent pas. Par contre, le taux de chômage est au plus bas (4,5%). Déjà, en 2017, la Banque européenne d’investissement (BEI) a moins prêté au Royaume-Uni. La BEI devra en outre revoir son capital, car le Royaume-Uni détient 16% de ce capital. Elle ne prêtera plus du tout au Royaume-Uni, dès lors qu’il aura quitté l’UE. Ce qui sera un inconvénient de plus pour l’économie du Royaume-Uni, car il ne dispose pas, à l’heure actuelle, de banque nationale de développement.

Le transfert du Centre de sécurité de Galiléo qui quitte le Royaume-Uni fait suite à deux autres transferts : l’agence européenne du médicament qui déménage de Londres à Amsterdam, et l’Autorité bancaire européenne qui s’installe à Paris. Côté UE, malgré les turbulences économiques depuis 2008 (qui ont pris fin, la croissance est partout, même en France), l’UE a tenu bon face au Royaume-Uni, depuis le début des négociations, et est restée toujours unie, malgré le groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie) de plus en plus divergeant. L’UE est dure avec le Royaume-Uni et maintient ferme ses positions : la célèbre City va perdre les avantages du « passeport financier », alors que le secteur financier pèse 7,5% dans le PIB britannique. Elle perdra beaucoup d’emplois. Sa monnaie en souffrira aussi. Plus de 20% des transactions de la City sont faites en euro !

Sur le plan politique ou géopolitique, le Royaume-Uni est bien seul aussi. Les USA ne sont pas l’alternative pour le Royaume-Uni. Il y a un an, Theresa May allait la première voir Donald Trump sitôt celui-ci élu. Un an après, c’est la rupture avec ce président fantasque et nationaliste. Mais il y avait déjà un malaise de part et d’autre de l’Atlantique depuis la guerre d’Irak de Bush-Junior.

Il faut espérer enfin que l’accord final global soit le plus complet possible, et pas conflictuel. Il faut que le Brexit soit le plus soft possible, aussi. Car si cela se passe mal au Royaume-Uni, cela affectera (dans une moindre mesure) l’UE aussi, tellement nos économies et finances sont interdépendantes, comme partout dans une mondialisation croissante. Qu’on le veuille ou pas, nos intérêts convergent. Il n’y a pas d’amis éternels, mais il y a des intérêts conjoints. Sans résultat dans les négociations, la sortie du Royaume-Uni serait alors définitive au bout des deux ans, et forcément dure. Le Royaume-Uni aurait alors le statut de pays tiers dans ses relations commerciales avec nous, l’excluant totalement du marché unique. Et l’Union européenne pourrait peut-être dire adieu à la récupération des 50 milliards € prévus, car elle n’aurait pas été payée totalement en si peu de temps, et le climat ensuite pourrait se tendre dans un contexte de crise politique intérieure… [2]

Mais l’Union resterait quand même gagnante, car le Royaume-Uni a bloqué beaucoup de choses en 43 ans d’appartenance à l’UE : comme la création de nouvelles ressources propres pour le budget européen, comme toute tentative d’intégration plus poussée, politique. Désormais la voie est libre ! Plus de veto britannique ! L’Europe avancera plus vite.

« En démocratie, le peuple a toujours raison... même quand il a tort »

Le peuple britannique a voté. En démocratie, le peuple a toujours raison…Même quand il a tort ! A sa décharge, il semble évident qu’une bonne partie des gens ait été trompée, abusée par des souverainistes ou europhobes bonimenteurs et démagogiques (les Nigel Farage ou autre Boris Johnson and Co) qui ont promis des avantages surréalistes et mensongers si le Royaume-Uni quittait l’UE ! En niant toutes les conséquences catastrophiques dont la liste est loin d’être terminée ! Ces bonimenteurs ont même eu le toupet ou l’arrogance d’avouer qu’ils avaient menti !

Aujourd’hui force est de constater que les Britanniques, classe politique comprise, sont déchirés entre eux. Va-t-on vers un hard ou un soft Brexit ? Nul ne le sait. Tout est flou. Michel Barnier, notre négociateur en chef, de passage à Londres le 5 février, a prié ses interlocuteurs de « clarifier leur position » avant le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de fin mars qui doit valider les conditions de la transition et lancer les négociations commerciales. « C’est le moment de faire des choix » a conclu Michel Barnier. Les Britanniques, dans la panade, essaient de pratiquer, selon un adage populaire célèbre : « You can’t have your cake and eat it too ». En français, on l’a aussi ! C’est « on ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre, et le sourire de la crémière » !

Mais le mal est fait, et nos amis britanniques paieront malheureusement le prix du Brexit dans les années qui viennent. Certes à quelque chose malheur est bon, le Brexit dont on n’a pas encore vu tous les effets ne séduit personne d’autre, pas même les Polonais ou les Hongrois ! Plusieurs partis nationalistes / extrémistes stagnent ou refluent depuis quelques mois, dont le FN chez nous. Finalement, le vote des Britanniques aura peut-être rendu service aux autres peuples de l’Europe !

Notes

[1Selon le joint report du 8 décembre 2017, le Royaume-Uni s’est engagé à garantir des droits équivalents aux citoyens UE arrivés avant le 29 mars 2019. Leurs droits seront inscrits dans l’accord de retrait et transposé dans le droit britannique. De plus, les tribunaux britanniques devront prendre en compte la jurisprudence de la CJUE pour interpréter l’accord. En principe, il n’y aura aucune perte de droit pour les citoyens UE arrivés avant le Brexit.

[2D’un point de vue juridique, l’accord de retrait est séparé de l’accord sur la relation future, et le règlement financier fera partie de l’accord de retrait. La facture devrait donc être payée, mais d’un point de vue politique, ce règlement financier reste incertain (Tensions diplomatiques, rupture des négociations, tout est hélas possible…)

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