Brexit : un accord « lose-lose »

, par Antoine Potor

Brexit : un accord « lose-lose »
Michel Barnier, infatigable négociateur-en-chef de l’UE en charge du Brexit. Crédit : Union européenne 2020 / Service audiovisuel de la Commission européenne.

Fumée blanche à Bruxelles, un accord a été trouvé entre l’Union européenne et le Royaume-Uni concernant leurs relations futures. Il fait suite à d’intenses dernières heures de négociations qui auront mobilisé les équipes toute la nuit du 23 au 24 décembre, mais ce qui semble être un conte de Noël n’est en réalité qu’un accord « perdant-perdant » (« lose-lose ») pour reprendre les mots de Michel Barnier.

Le début de la fin d’un chapitre tumultueux

C’est donc le chapitre européen ouvert le 23 juin 2016 qui est sur le point de se fermer. Il aura donc fallu plus de quatre ans pour voir la volonté britannique de se retirer de l’Union européenne se réaliser, après avoir fait partie des premiers pays à rejoindre l’ancienne Communauté en 1973.

Un chapitre tumultueux dont la première phase, celle du Withdrawal Agreement (Accord de retrait) aura vu trois reports de la date butoir, deux versions de l’accord et un changement de Premier ministre avant que le Royaume-Uni ne quitte effectivement l’Union européenne le 31 janvier dernier.

La seconde phase s’est alors ouverte, celle dédiée aux négociations sur la relation future. Une période courte - 9 mois - qui allait être perturbée par l’épidémie de Covid-19, obligeant les équipes de négociations à s’adapter pour continuer à négocier sur les enjeux clés comme les Level Playing Fields (condition d’accès au marché intérieur), l’accès aux données personnelles dans le cadre de la coopération judiciaire qui impliquait la compétence de la Cour de Justice de l’Union européenne, ou encore la question de l’accès aux eaux britanniques pour les pêcheurs qui aura cristallisé les discussions jusqu’à la dernière minute.

Une seconde phase qui a vu se concentrer les tensions début septembre lorsque le gouvernement de Boris Johnson a présenté une loi concernant le marché intérieur britannique qui allait « briser le droit international [et l’accord de retrait] dans une proportion limitée » des mots mêmes de Brandon Lewis, secrétaire d’Etat pour l’Irlande du Nord. Cet épisode qui avait alors brisé la confiance entre les deux équipes, a trouvé son propre épilogue le 17 décembre dernier garantissant la bonne application de l’accord de retrait et du protocole sur l’Irlande du Nord.

Dans le même temps, le mois de décembre a été le théâtre d’intenses négociations de dernière minute. Alors que les discussions devaient initialement se terminer le 31 novembre, pour permettre au Parlement européen et au Parlement britannique de ratifier correctement un possible accord, les équipes de négociations ont multiplié les rencontres pour tenter d’arracher un accord au milieu d’échanges bilatéraux entre Ursula von der Leyen et Boris Johnson.

Ce n’est donc que le jour de Noël, après que le Parlement européen a indiqué qu’au-delà du 20 décembre il ne pourrait pas ratifier un éventuel accord en 2020 et que la Commission a proposé des mesures d’urgences pour préparer un no-deal que cette perspective a été définitivement balayé avec l’annonce d’un tant attendu accord : le temps n’est plus compté.

Quatre piliers pour un accord

« Cet accord ne réplique pas les droits et avantages d’un Etat membre » a résumé Michel Barnier pour présenter cette nouvelle relation entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Une relation désormais fondée sur de quatre piliers : un accord de libre-échange, une coopération économique et sociale, un partenariat sur la sécurité des citoyens et enfin un volet sur la gouvernance.

Une nouvelle relation économique et sociale

Le premier objectif des deux premiers piliers a d’abord pour objet de garantir des échanges libres et non faussés, une garantie permise par la mise en place des Level Playing Fields. Cela a longtemps été un point de friction dans les négociations mais également une des conditions indiscutables fixées par les Européens pour autoriser l’accès au marché intérieur. Les Britanniques pourront donc bien accéder librement au marché européen en respectant les réglementations en vigueur au sein du marché intérieur. Cependant cet accès ne sera fera pas sans restriction, bien que l’absence de droits de douanes et de quotas soit maintenue, les biens en provenance du Royaume-Uni devront désormais se soumettre à des contrôles aux frontières.

Un accès également réduit pour les services et les capitaux, c’est notamment la fin du passeport financier nécessaire aux traders de la City pour échanger sur les marchés européens alors que la finance représente près de 7% du PIB britannique. Un « abandon » au profit d’un accord transitoire sur la pêche d’une durée de cinq ans et demi. L’accord prévoit donc un accès dégressif pour les pêcheurs européens aux ressources halieutiques du Royaume-Uni qui sera revu d’ici 2026.

Plus dommageable encore est le musellement de la libre circulation des citoyens, les Britanniques seront désormais privés d’accès au sein de l’Union européenne que ce soit pour travailler, étudier ou simplement voyager. De chaque côté de la Manche, les citoyens devront donc se soumettre à l’obtention de visas, les Européens ayant inséré une clause de non-discrimination pour s’assurer d’un traitement égal vis-à-vis de tous les citoyens européens.

Malgré des accords dans plusieurs secteurs permettant de limiter les effets du Brexit, il y aura donc bien de « vrais changements au 1er janvier ».

La protection des citoyens

Alors que l’accord de retrait se concentrait sur la nécessité de garantir les droits acquis par les citoyens européens vivant au Royaume-Uni et britanniques vivant dans l’Union européenne, l’accord sur les nouvelles relations se concentre notamment sur la sauvegarde des droits fondamentaux.

Lors des négociations, cette question a également fait l’objet de vives oppositions, en effet dans le cadre de la coopération policière et judiciaire, la question de l’accès aux données personnelles était nécessairement conditionnée à l’autorité de la Cour de Justice de l’UE pour les négociateurs européens. Une perspective régulièrement rejetée par les négociateurs britanniques, puisque l’un des arguments du Brexit était de s’émanciper de la juridiction européenne.

Cette opposition idéologique a donc pour conséquence dans l’accord de ne pas permettre l’accès à ces données. Malgré tout, les deux parties se sont engagées à continuer leurs coopérations en matière policière et judiciaire dans de nouvelles conditions, bien moins approfondies donc.

Une gouvernance ad hoc

Le quatrième et dernier pilier vient encadrer le règlement d’éventuels différends dans l’application de l’accord. Un encadrement d’autant plus nécessaire qu’il a fait preuve de sa nécessité dans le cadre de l’accord de retrait et notamment du respect du protocole sur l’Irlande du Nord, mis à mal par les britanniques début septembre.

Dans le cadre de cette gouvernance, les Européens ont consenti à écarter la compétence de la Cour de Justice pour arriver à un accord. Celui-ci prévoit donc la mise en place d’un Conseil paritaire pour surveiller la mise en place de ces nouvelles relations, en cas d’impasse les parties pourront recourir à un arbitrage dans la « majorité des domaines dont les « Level Playing Fields » et celui de la pêche ».

Ce mécanisme est accompagné de la possibilité de mesures unilatérales, dites « de sauvegardes ». Cela permettra notamment aux Européens de suspendre certains accès au marché intérieur en cas par exemple de non-respect des Level Playing Fields.

Enfin il sera procédé d’ici quatre ans à une évaluation de la mise en place de l’accord, comme annoncé par Ursurla von der Leyen dans un très court échange avec les journalistes.

Quel épilogue à la saga Brexit ?

L’annonce d’un accord ne nous exemptera pas d’entendre parler du Brexit pour encore quelques mois, voire quelques années. En effet l’accord, qui n’est en réalité qu’une proposition, va devoir être approuvé par les parlementaires britanniques et européens. Dans un premier temps les 27 se sont réunis hier, vendredi 25 décembre, au sein du Conseil pour prendre connaissance du corps de l’accord et devront approuver une application provisoire de celui-ci puisque le Parlement européen ne sera pas en mesure de le ratifier d’ici le 31 décembre 2020, comme annoncé lors de la dernière séance plénière.

Il faudra donc attendre 2021 pour voir les parlementaires européens se prononcer sur les termes de l’accord. Du côté britannique, les parlementaires se prononceront ce mercredi, alors que la totalité du texte lourd de plus de mille pages vient seulement d’être rendue publique.

Malgré toutes les réjouissances liées à la conclusion d’un accord, celui-ci, et c’est une « volonté britannique », met fin au programme Erasmus + avec le Royaume-Uni. Une décision qui va donc pénaliser les générations futures, sous l’argument du coût avancé par Downing Street se cache une réalité bien plus chère socialement : ce sont les jeunes les plus aisés qui pourront continuer à étudier de part et d’autre de la Manche.

Une voix discordante s’est également faite entendre, celle de la Première ministre écossaise Nicola Sturgeon. Chef de file du parti national écossais (SNP), elle a rappelé qu’il était temps pour l’Écosse de « devenir une Nation européenne indépendante ». Une éventualité toujours conditionnée à l’autorisation par le gouvernement britannique de l’organisation d’un nouveau référendum mais qui est déjà l’une des promesses phares du parti pour les élections écossaises en 2021, preuve que les conséquences du Brexit ne sont pas définitivement réglées.

Bien que cet accord constitue un soulagement face à un no-deal qui apparaissait de plus en plus possible, il n’en est pas moins « lose-lose ». C’est le qualificatif employé à plusieurs reprises par Michel Barnier face à un accord qui en réalité scelle un échec : celui d’une partie de la construction européenne. Le lien entre l’Union et les Britanniques a toujours été tumultueux mais il avait jusqu’ici réussi à traverser bien des tempêtes, avant de céder face au populisme. C’est une preuve de plus de la nécessité d’un approfondissement politique de la construction européenne, pour doter l’Union européenne de la capacité d’apporter des réponses concrètes à un grand manque, celui d’une identité commune européenne.

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