Bruxelles nous fait de l’effet

, par Justin Horchler

Bruxelles nous fait de l'effet
La quartier européen à Bruxelles, coeur de l’UE. Source : Pixabay

Lorsque l’Union européenne impose une nouvelle règle, de nombreuses entreprises la respectent, en Europe évidemment, mais également au-delà des frontières du vieux continent. De prime abord, cela paraît étonnant. Pourquoi une société ferait-elle cela ? La réponse est pourtant simple : il est souvent plus facile et moins coûteux de mettre à jour toutes les lignes de production ou logiciels que de les diviser entre l’Europe et les autres États. En effet, cela engendrerait une perte des économies d’échelle, obtenues par une production unifiée.

Anu Bradford est professeure de droit à l’université de Columbia. Elle a inventé le terme : Brussels effect ou effet Bruxelles, dans son livre publié en 2012 : The Brussels Effect : How the European Union Rules the World. Non seulement les acteurs privés appliquent les nouvelles règles du marché intérieur, mais des gouvernements étrangers légifèrent dans le même sens, pour mutualiser leur législation avec celle des 27. L’Union européenne ayant souvent les lois les plus strictes et contraignantes ainsi qu’un marché très important, elle exerce ainsi une forte influence dans le monde.

La réglementation générale sur la protection des données en est un exemple. Ce texte a été adopté le 27 avril 2016 par les eurodéputés. Ces règles ont été un bouleversement pour de nombreuses entreprises dans le monde entier et peu après, plus de 120 pays ont modifié ou créé des lois de protection de données semblables à celles du vieux continent. Des grandes firmes comme Facebook ou Microsoft ont même décidé d’appliquer ces dispositions universellement. Ainsi, serait-il possible d’utiliser l’influence des institutions européennes pour protéger la planète ?

Des normes écologiques universelles

L’union européenne ne se cache pas de vouloir imposer ses règles, plus strictes, au reste du monde, mais le fait souvent involontairement. Les institutions européennes devraient prendre davantage conscience de leur forte influence. Prenons l’exemple du règlement n°1907/2006, autrement nommé Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques, mais plus connu sous le nom de REACH. Les industriels souhaitant commercialiser leur produit en Europe doivent impérativement le faire recenser auprès de l’Agence européenne des produits chimiques. Il leur revient également l’obligation de prouver la non-toxicité de leur substance pour la santé humaine et l’environnement, pour espérer une mise sur le marché.

La mise en conformité et les études de leurs produits sont très coûteuses et des petites économies se verraient ainsi privées des bénéfices engendrés par ces molécules si ces États appliquaient des règles aussi contraignantes que celles de l’Union. En revanche, le marché européen étant le plus important, il est très difficile pour une multinationale de l’ignorer. Elles appliquent donc toutes ces critères pour être REACH-compatible. Ainsi, ces petits États peuvent imposer ces règles sans perdre ces industriels comme fournisseurs.

Cette idée existe également outre-atlantique. David Vogel, professeur émérite à l’Université de Californie/Berkeley, la nomme “l’effet Californie”. L’État le plus peuplé des États-Unis est aussi celui qui adopte les critères de protection de l’environnement ou du consommateur les plus contraignants. D’autres États font adopter des lois similaires quelques mois ou années après.

Attention danger

Une autre théorie existe également, et c’est tout le contraire de “l’effet Californie” ou de “l’effet Bruxelles” : “l’effet Delaware”. Cette fois-ci, l’État de l’actuel président américain Joe Biden, pousse à la concurrence et au nivellement par le bas. Plus de 300 des 500 plus grosses entreprises américaines sont étonnement basées dans ce petit État de moins d’un million d’habitants. Il y a plus d’entreprises qui y opèrent que d’habitants ! Cela ne vous rappelle rien ? Le Liechtenstein ! Cette petite principauté n’est certes pas membre de l’Union européenne, mais fait partie de l’Espace économique européen. Depuis Vaduz aussi, on dénombre plus de sociétés que de citoyens.

La moins-disance fiscale/commerciale/sociale est une pratique consistant, pour un État, à adopter une législation fiscale/commerciale/sociale plus avantageuse que celle d’États concurrents. Certains membres essaient de taxer le plus faiblement possible, les entreprises, pour qu’elles s’y installent. Nous connaissons tous l’exemple irlandais. La solution serait donc un impôt européen harmonisé sur les personnes morales. Cela n’entraverait pas la liberté d’établissement, et en même temps, permettrait de lutter contre “l’effet Delaware” au sein de l’Union, ou plutôt : “l’effet irlandais” ?

La Commission européenne a validé en mai dernier le BEFIT (Entreprises en Europe : cadre pour l’imposition des revenus), un projet d’harmonisation de la fiscalité des entreprises. De plus, des négociations sont en cours au sein de l’OCDE du G7 ou du G20. La secrétaire au trésor américain propose un taux mondial minimum de 15%. Mais l’Europe manque d’ambition.

La législation européenne est également concurrencée en externe. La Chine en est un exemple, et l’Union européenne devrait réagir comme elle l’a fait en 2013 pour les panneaux photovoltaïques, en imposant de nouvelles taxes. La production de ces panneaux solaires est soumise à des règles et normes sociales ou environnementales bien inférieures à celles européennes. Les industriels chinoises ne jouent pas à égalité avec leurs homologues occidentaux. Certes, ces taxes nuisent au commerce international, et elles pénalisent aussi les entreprises européennes, mais elles sont nécessaires pour l’environnement et la société.

L’Union européenne devrait ainsi utiliser ce pouvoir d’influence qu’elle a sur le monde, tant sur les questions environnementales, que de droits humains ou de protection du consommateur, en profitant de l’importance de son marché. Afin d’éviter de souffrir de l’effet Delaware, les États membres devraient donc mutualiser leur législation et leur taxation.

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