Le Taurillon : Pouvez-vous expliquer les raisons de la crise budgétaire que connaît actuellement l’Union européenne ? A qui la faute ?
Eulalia Rubio : En fait il y a deux « crises budgétaires » à présent qui s’entremêlent ; la crise des factures impayées, qu’on a régulièrement depuis quelques années en fin d’année, et une crise concernant la demande de rallonges aux contributions nationales de certains pays (Royaume Uni et autres) au budget européen.
La première crise, la crise des factures impayées, est récurrente depuis quelques années. L’origine de la crise vient du fait que les États, sous pression au niveau national pour faire des économies, ont eu ces dernières années une tendance à réviser chaque année à la baisse la prévision de crédits de paiement que fait la Commission pour l’année suivante, c’est-à-dire la prévision de dépenses à effectuer. Le résultat est un écart grandissant entre le niveau de dépenses engagées par l’Union européenne, les dits « crédits d’engagement », et la capacité à payer ces dépenses, les dits « crédits de paiement », et donc une accumulation de factures impayées. On pourrait dire que la faute dans ce cas-là est surtout celle du Conseil par sa tendance à baisser les prévisions de paiements qui est à l’origine des factures impayées.
La deuxième crise, la crise des rallonges des contributions nationales, découle d’un exercice de révision des contributions nationales qui s’effectue tous les ans, mais qui cette année exceptionnellement a abouti à des demandes de rallonges très importantes pour certains pays (2,1 milliards d’euros pour le Royaume-Uni, plus de 600 millions pour les Pays-Bas). Il n’y a pas un « coupable » politique dans ce cas. C’est une révision du calcul du RNB de plusieurs par Eurostat et les instituts nationaux de statistiques, qui a entraîné les rallonges importantes et inattendues de cette année. Or, la solution à cette crise, qui passe notamment par l’approbation d’une modification au règlement « ressources propres » pour permette aux États d’échelonner le paiement de ces rallonges, est entravée par l’autre crise, car certains États, pays bénéficiaires du budget de l’Union européenne, refusent de donner leur approbation à cette modification du règlement tant que le problème des factures impayées ne sera pas réglé. Un cercle vicieux dont il est difficile de sortir.
Le Taurillon : Quels sont les risques pour les futurs budgets européens, y compris pour le budget 2015, actuellement en discussion ?
Eulalia Rubio : Le manque de résolution du problème des factures impayées met en risque l’approbation du budget 2015. Comme les années précédentes, le Parlement européen conditionne son approbation du nouveau budget à la résolution du problème des factures impayées. Dans les derniers jours, il y a eu une procédure de conciliation entre le Conseil et le Parlement concernant les budgets rectificatifs pour 2014, destinés à réduire le montant des factures impayées, et le projet de budget 2015, mais ils ne sont pas parvenus à s’entendre dans le délai imparti (17 novembre, minuit). Maintenant, comme le veut la procédure, la Commission européenne devra présenter un nouvel avant-projet de budget pour 2015.
Le Taurillon : Quel fut le plan initial proposé au Conseil et au Parlement européen par la Commission européenne pour sortir du cycle des impayés ? Quelles sont les pistes de financement ?
Eulalia Rubio : Le total de factures impayées s’élève à presque 30 milliards, dont 4,7 milliards de factures urgentes à payer cette année. La Commission a proposé de mobiliser la « marge pour imprévus » à hauteur de 4 milliards d’euros, mais le Conseil ne l’a pas accepté. De son côté, le Parlement réclame que les recettes exceptionnelles de 5 milliards d’euros, issues de paiement d’amendes (Google, etc.) que la Commission a reçu cette année soient utilisées entièrement pour régler les factures. Cependant, les États membres ont accepté seulement d’en utiliser 2 milliards à cet effet, souhaitant attribuer le reste à leurs budgets nationaux.
Le Taurillon : Et maintenant ? La Commission doit tenter de concilier les positions du Parlement européen et du Conseil. Quels sont les points de consensus qui semblent se dessiner ? Quelle issue possible pour mettre fin à ce bras de fer budgétaire ?
Eulalia Rubio : Maintenant il faut trouver un nouvel accord. Il faut espérer qu’ils vont y arriver. Depuis l’existence du cadre financier pluriannuel en 1988, il n’y a jamais eu besoin de prolonger le budget de l’année dernière pour non-approbation du budget annuel avant janvier. Comme les années précédentes, le résultat sera un compromis entre les deux factions, le Parlement sera forcé de baisser ses demandes et le Conseil devra faire un effort de son côté.
Le Taurillon : Est-ce que cette solution sera durable ? Faut-il s’attendre à des crises institutionnelles chroniques à propos du budget européen dans les années à venir ?
Eulalia Rubio : Non, la solution ne sera pas durable et, compte tenu de la situation des finances publiques nationales dans l’Union européenne, tout porte à croire qu’une nouvelle crise des factures impayées se reproduira à l’automne prochain. Le Parlement demande depuis longtemps une réflexion pour trouver une solution plus durable à ce dysfonctionnement structurel, et la nouvelle commissaire au budget, Kristalina Georgieva, a annoncé son intention de s’y atteler. La révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel 2014-2020, prévu en 2016, offrira une opportunité au Parlement européen et la Commission de mettre cette question sur la table des négociations.
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