Budget italien : la Commission européenne durcit le ton

, par Chloé Coniglio

Budget italien : la Commission européenne durcit le ton
Pierre Moscovici, Commissaire européen aux affaires économiques et financières. Photo : Flickr - © European Union 2017 - European Parliament - CC BY-NC-ND 2.0

Après avoir retoqué le budget italien le 23 octobre, la Commission européenne a multiplié les appels au dialogue, tandis que l’indocile gouvernement italien maintenait sa position. La menace de sanctions européennes s’alourdit de jour en jour, au point que la Commission vient de recommander l’ouverture d’une procédure de déficit excessif.

La crise européenne autour du budget italien n’en finit pas. Dernier épisode en date : l’amorce d’un mouvement de recul italien face aux menaces de sanctions de la Commission européenne. Pour comprendre le semblant de revirement italien, un retour en arrière s’impose.

Un budget « expansionniste »

La saga débute le 27 septembre, date à laquelle le tout jeune gouvernement italien a présenté son programme budgétaire. Formé le 1er juin, ce gouvernement est issu d’une coalition entre le Mouvement 5 étoiles (M5S), parti « antisystème », et la Ligue, incarnée par Matteo Salvini, dont le positionnement est classé à l’extrême droite de l’échiquier politique italien.

Dans une mise en scène triomphaliste, Luigi di Maio (M5S), vice-président du conseil des ministres italien, dévoilait un budget prévoyant un déficit public à hauteur de 2,4 % du produit intérieur brut (PIB) italien en 2019.

Cette médiatisation exceptionnelle était révélatrice de l’importance politique de ce budget. En Italie, la présentation de ce que le gouvernement a appelé le « budget du peuple » était l’occasion pour le gouvernement italien de tenir de nombreuses promesses de campagne, comme la mise en place d’un revenu de citoyenneté et l’assouplissement des conditions de départ à la retraite, mais aussi de s’attirer les grâces de l’opinion publique italienne.

Sur la scène européenne au contraire, ce projet budgétaire a suscité une vive inquiétude au sein de la Commission européenne comme sur les marchés financiers. Le projet a en effet douché les espoirs européens de voir présenté un budget envisageant un déficit à hauteur de 0,8% du PIB dès 2019, comme le précédent gouvernement de centre-gauche italien s’y était engagé.

La Commission européenne, par le biais de son commissaire aux affaires économiques et financières Pierre Moscovici, n’a pas manqué d’envoyer des signaux clairs de désapprobation face au budget présenté, évoquant un budget « expansionniste ».

La Commission européenne dispose en effet d’un droit de regard sur les budgets nationaux des Etats membres. Cela s’inscrit dans le cadre du semestre européen, cycle annuel de coordination des politiques économiques et budgétaires européennes, à l’occasion duquel les Etats membres reçoivent des orientations économiques. L’objectif de ce contrôle, renforcé en 2013, est de s’assurer du respect du pacte de stabilité et de croissance, lui-même élaboré pour garantir la santé des finances publiques des pays de l’Union européenne.

Un budget pour la première fois retoqué par la Commission

Face aux critiques, l’Italie a fait la sourde oreille et a officiellement présenté son budget le 15 octobre à la Commission. Comme l’avait laissé présager la position du commissaire aux affaires économiques et financières, la proposition budgétaire italienne a fait l’objet de nombreuses critiques. Selon Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission, le gouvernement italien « va ouvertement, consciemment à l’encontre des engagements pris ».

La Commission s’est alors trouvée confrontée à une situation inédite de conflit direct avec un Etat membre concernant son budget. Pour la première fois de l’histoire, la Commission européenne a finalement pris la décision de retoquer le budget italien, jugé non conforme aux engagements budgétaires européens. La Commission a ainsi appelé de ses vœux une profonde modification du budget italien, laissant à Rome jusqu’au 21 novembre pour l’amender afin de le rendre conforme aux attentes européennes.

Un long bras de fer entre Rome et Bruxelles

L’Italie a quant à elle refusé de plier face à la Commission, entamant un long bras de fer avec Bruxelles. Le 14 novembre, le gouvernement a présenté un projet en tout point identique au premier. Luigi di Maio a ainsi pu déclarer que « Le budget ne change pas, ni dans les bilans ni dans la prévision de croissance. Nous avons la conviction que ce budget est celui dont le pays a besoin pour redémarrer ».

Pour montrer patte blanche à la Commission, le gouvernement italien a cependant pris l’engagement de vendre une partie du patrimoine immobilier public si le pari d’une relance de la croissance n’était pas tenu.

La Commission ne s’est pas laissée amadouer par les promesses italiennes. Dans un rapport publié le 21 novembre, la Commission confirme sa position selon laquelle le budget italien viole ses engagements budgétaires issus des traités et règlements européens. Cette violation fonde selon cette dernière l’ouverture d’une procédure pour déficit excessif, laquelle peut aboutir à des sanctions financières non négligeables.

Le premier pas vers la prise de sanctions financières a donc été franchi par la Commission.

La menace de sanctions financières

Le risque n’est pas mince pour Rome : la procédure pour déficit excessif, fondé sur l’article 126 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) peut aboutir à des sanctions financières correspondant à 0,2% de son Produit Intérieur Brut, soit quelques 3,4 milliards d’euros dans le cas de l’Italie.

La portée symbolique de cette décision est forte. En ouvrant la voie à une procédure de sanctions, la Commission s’inscrit dans un rôle de censeur européen.

Toutefois, de telles sanctions ne pourront être mises en œuvre avant, a minima, le printemps 2019. De nombreux acteurs sont impliqués dans cette procédure et seront amenés à se prononcer au cours des mois à venir sur la nécessité de telles sanctions. Le Comité économique et financier (CEF) de l’Union européenne devrait en premier lieu rendre un avis sur le rapport de la Commission et se prononcer sur la nécessité d’ouvrir ou non la procédure. Ce n’est que dans un second temps que le Conseil pour les affaires économiques et financières (dit Conseil ECOFIN), qui ne se réunira pas avant le 22 janvier prochain, se prononcerait sur l’existence d’une violation des règles budgétaires européennes. Si le Conseil ECOFIN venait constater une telle violation, un plan correctif serait établi. Le gouvernement italien serait alors mis en demeure de prendre les mesures correctives nécessaires dans le délai imparti par le plan correctif. En cas de manquement au plan correctif, le Conseil ECOFIN pourrait décider d’appliquer les sévères sanctions financières.

La mise en œuvre de sanctions est d’autant plus hypothétique que la Commission européenne arrive en fin de mandat. Il paraît donc hautement improbable que de telles mesures soient mises en place avant les élections européennes prévues en mai 2019. En outre, la prise de sanctions financières par les institutions européennes à la veille des élections européennes n’aboutirait qu’à alimenter les critiques des partis eurosceptiques, qui y voient une atteinte à la souveraineté nationale des Etats membres. En somme, la mise en œuvre de sanctions s’avérera institutionnellement difficile et politiquement suicidaire.

Une Italie enfin réceptive aux demandes de Bruxelles

La Commission mise donc sur la reprise des négociations avec le gouvernement italien pour assurer une sortie de crise par le haut. En effet, celle-ci a renouvelé ses appels au dialogue avec l’Italie et Pierre Moscovici a assuré qu’« il est hors de question de prendre de mesures sans échanger, sans tenter jusqu’au bout de corriger les choses, sans tenter de rapprocher les points de vue ».

Pour la première fois depuis le début de la crise, l’Italie semble s’être montrée réceptive aux demandes de Bruxelles. Luigi di Maio a déclaré que « si, durant la négociation [avec l’Union européenne], le déficit doit diminuer un peu, pour nous, cela n’est pas important ». Giovanni Tria, ministre italien de l’économie, a pour sa part indiqué à la presse italienne « Nous pouvons encore éviter une procédure d’infraction ».

Le gouvernement italien semble finalement s’être accordé sur la réduction du déficit italien à 2,2% du PIB, contre 2,4% auparavant, d’après un communiqué du 27 novembre.

Si la Commission européenne a salué lundi le « changement de ton », elle attend toujours des efforts significatifs de la part du gouvernement italien. Les négociations s’annoncent néanmoins difficiles, tant contenter le projet de relance italienne et la rigueur budgétaire européenne relève de l’antinomie.

In fine, le gouvernement italien va sans doute céder, au moins en partie, aux desiderata de Bruxelles, vaincu par l’emballement des marchés financiers et la menace de récession qui plane sur l’Italie. Reste à savoir comment la coalition italienne encaissera ce probable revers politique.

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Vos commentaires
  • Le 7 décembre 2018 à 15:12, par KERMER Julien En réponse à : Budget italien : la Commission européenne durcit le ton

    Madame, Votre article est partial : les Italiens, par leur vote (ne vous en déplaise)ont voulu mettre fin à l’austérité imposée par l’UE et appliquée par le gouvernement de Messieurs Monti et Renzi. Salvini a prouvé qu’on pouvait freiner les débarquements en Italie et Di Maio applique une idée de B. Hamont : le revenu de citoyenneté !

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