Carton rouge aux Républicains pour leur tribune sur « l’Europe qui protège » dans le Figaro

, par Eric Drevon-Mollard

Carton rouge aux Républicains pour leur tribune sur « l'Europe qui protège » dans le Figaro
Laurent Wauquiez lors d’un colloque sur l’Europe en 2010. Fondapol - Fondation pour l’innovation politique
 CC BY-SA 2.0

Dans le Figaro du 5 juin 2018, Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau, Christian Jacob et Franck Proust [1] signent une tribune qui précise la position des Républicains concernant l’Union européenne. Si elle est moins caricaturale que certains propos de Laurent Wauquiez, elle remet néanmoins en cause, entre les lignes, l’approfondissement de la construction européenne. De la part d’un grand parti de gouvernement, qui a exercé le pouvoir pendant des décennies, c’est particulièrement grave.

Roumanie et Bulgarie, pourquoi tant de haine ?

Commençant en beauté, ils fustigent l’ « élargissement de Schengen à la Roumanie et à la Bulgarie, la création de nouvelles institutions et de quatre nouvelles taxes ». Concernant le premier point, rappelons que ces deux pays ont adhéré à l’Union Européenne depuis 2007. Il serait temps ! C’est une profonde injustice que de les exclure de l’espace Schengen, en particulier la Roumanie dont la société civile s’est énormément mobilisée contre la corruption depuis plusieurs années. La démocratie y est parfaitement mature. Enfin, l’économie de ces pays, fortement imbriquée dans l’UE, affiche de forts taux de croissance du PIB (en 2017, 3,6% en Bulgarie, et 5,7% en Roumanie), ce qui réduit d’année en année le risque qu’ils se vident de leurs habitants au profit d’autres états membres, et nécessite que les marchandises et les travailleurs puissent circuler facilement au sein de l’Union. Quant à l’élargissement en direction des pays des Balkans, c’est le meilleur moyen d’éviter que la guerre ne revienne dans cette région qui a déploré tant de morts dans les années 1990. Comme dans le reste de l’Union, les liens créés par le commerce et les échanges sont le meilleur antidote aux conflits entre les états.

L’UE a bon dos pour les impôts !

Le plus grave dans cette tribune se trouve dans l’opposition de leurs signataires à la création de nouvelles institutions européennes et à des taxes communes. Certes, le niveau des dépenses publiques dépasse toutes les bornes en France (57% du PIB), et atteint un niveau préoccupant dans l’Union à 28 (46,6% du PIB). Nous sommes donc en toute logique les champions en termes de prélèvements obligatoires : plus de 45% du PIB en 2017, contre 39% dans l’UE. Pourtant, ce n’est pas l’Europe qui en est responsable. Rappelons que son budget ne pèse qu’1% du PIB de l’Union ! Les Républicains, qui ont été au pouvoir en France au milieu des années 1990 et pendant la première décennie des années 2000, ont allègrement augmenté les impôts, reniant par veulerie leur promesse de les baisser et de s’attaquer à la dépense publique. Quand bien même le budget de l’Union serait doublé, vu la taille du secteur public en France et dans la plupart des autres pays de l’UE, il serait facile de créer des impôts communautaires sans augmenter la charge fiscale eu Europe ! Il suffirait qu’on daigne à baisser légèrement les dépenses publiques. Enfin, s’il existait des impôts communautaires, les États ne seraient plus obligés d’allouer des ressources propres pour le fonctionnement de l’Union : leurs budgets ne seraient plus impactés.

Schengen : une attaque injustifiée

Quelques paragraphes plus loin, les signataires s’attaquent à l’espace Schengen. S’ils ont raison de rappeler que l’Europe ne résistera pas à cinq années de pression migratoire hors de contrôle, la solution n’est pas de continuer à contrôler les frontières nationales en reniant Schengen comme on le fait à présent. Le moindre vol entre deux pays de l’Union est devenu un casse-tête à chaque descente d’avion, lorsqu’on doit perdre une heure à montrer son passeport avant de pouvoir quitter l’aéroport. Aidons plutôt l’Italie et la Grèce en renforçant les pouvoirs de Frontex ! Le nouveau pouvoir en Italie a la volonté de lutter plus efficacement contre l’immigration illégale, c’est l’occasion de s’appuyer sur lui, plutôt que de vouloir détricoter Schengen et la libre circulation des citoyens européens. Quant à vouloir s’attaquer à la libre circulation des terroristes, c’est une louable initiative, mais ce n’est pas le retour des frontières nationales qui nous en prémunira. Les États-Unis sont efficaces dans la lutte antiterroriste non pas en bouclant les frontières entre les états, mais grâce à une police fédérale efficace, le FBI, et à de nombreux organismes fédéraux d’espionnage et de contre-terrorisme, notamment la CIA et la NSA.

Le protectionnisme : ils s’inspirent de Trump !

Les auteurs du texte s’attaquent ensuite au libre-échange. Reprenant le slogan du Front National sur la préférence nationale, ils appellent de leurs vœux une préférence communautaire. L’objectif n’est plus d’inscrire l’Europe dans la mondialisation en contribuant à réduire les droits de douane, mais à la couper des chaînes de production mondiale par le protectionnisme. Rappelons en effet que ses effets ne se limitent pas à sanctionner nos concurrents. Nous nous sanctionnerions nous-mêmes !Par exemple, Donald Trump a taxé les importations d’acier et d’aluminium venant de la plupart des pays du monde. Le résultat sera que tout ce qui est fabriqué à base d’acier ou d’aluminium sera plus cher pour les consommateurs américains, qui perdront du pouvoir d’achat. Il en va de même des taxes chinoises, qui pénalisent avant tout les consommateurs chinois. Vouloir renoncer aux appels d’offres internationaux pour les marchés publics reviendrait à augmenter les impôts pour subventionner des entreprises européennes plus chères avec de moins bons services, dans certains cas. Le seul secteur où leur appel est légitime concerne l’utilisation des subsides (aide financière) du fonds de défense européen. En effet, la défense est un secteur particulier, où le secret et la maîtrise de l’ensemble de la chaîne de production sont les garants de notre indépendance militaire. Le complexe militaro-industriel américain est clairement la voie à suivre pour notre future armée européenne.

Statu quo agricole en Europe : continuons à polluer !

La tribune demande enfin de conserver les subventions aux agriculteurs afin d’assurer notre indépendance alimentaire. Ce que cela signifie : continuer à financer la surproduction, les pratiques agricoles nuisibles à l’environnement, et fausser le marché où, dans une situation de concurrence libre et non-faussée, les pays africains et sud-américains sont les plus compétitifs. Certes, ce serait une erreur de supprimer toute subvention aux agriculteurs. En effet, ils devraient assurer une fonction essentielle : entretenir les campagnes et les écosystèmes. Le budget de la PAC devrait être maintenu, mais réparti d’une manière différente : au lieu de le distribuer à proportion de la surface cultivée, il devrait servir à financer un revenu minimum agricole octroyé à chaque paysan pour qu’il vive dignement et entretienne les bocages, les prairies ou les alpages. Les législations interdisant l’usage des intrants agricoles seraient ainsi bien mieux acceptées, et ne mettraient pas en danger leur survie. Pour les consommateurs qui voudraient des produits bon marché de l’agro-industrie, autant qu’ils soient produits en Argentine ou au Brésil, ils ne seront pas moins contaminés, mais ils seront moins chers, et ils ne pollueront plus nos eaux potables. Donc, baissons les taxes sur les produits agricoles de ces pays. Et qu’on ne nous parle pas d’indépendance alimentaire ! Les pays d’Amérique du Sud ne mettront pas en place un embargo sur l’Europe !

Défendre la fierté d’être européen : une juste cause

Le seul point vraiment intéressant de cette tribune est leur appel à défendre notre culture. Ils écrivent croire à « une Europe incarnée, fière de son Histoire, de ses racines gréco-romaines et judéo-chrétiennes, comme de l’héritage de la Renaissance et des Lumières. […] L’identité européenne ne doit plus nous faire honte, mais nous rendre fiers ». Mais lutter contre l’intégrisme islamiste, comme ils l’affirment, ne doit pas être la raison d’être de l’Union européenne. On ne doit pas se définir des ennemis extérieurs ou intérieurs : c’est la manière la plus sûre de produire un nationalisme agressif. Pour assurer une cohésion et un sentiment d’appartenance entre les Européens, il faut promouvoir une fierté d’être européen, que les bannières étoilées s’affichent partout, comme aux États-Unis. Nous devons mettre en avant nos valeurs de liberté, notre respect des droits naturels de l’homme, du libre choix de chacun d’avoir le mode de vie qui lui convient. Notre attachement à la liberté d’expression, à l’égalité des droits entre les citoyens, quels que soient leur sexe, leur orientation sexuelle ou leur couleur de peau. Au respect du droit de propriété, à la liberté d’entreprendre. C’est la seule façon de construire une Europe fédérale aux fondations solides.

Notes

[1Respectivement président du parti Les Républicains (LR), président du groupe LR au Sénat, président du groupe LR à l’Assemblée Nationale et président de la délégation LR au Parlement européen.

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