Un drapeau européen brandi en manifestation comme symbole de la résistance citoyenne. En Moldavie comme en Géorgie, l’image a fait le tour des journaux télévisés. Car les récents scrutins dans ces deux pays ont été fortement marqués par des tentatives d’ingérence de la part de la Russie, qui souhaite maintenir son influence dans les États à proximité… Et en éloigner les responsables politiques de l’Union européenne.
En l’espace d’une semaine, trois scrutins se tenaient dans les deux pays. Le 20 octobre 2024, les Moldaves étaient appelés aux urnes deux fois le même jour. Les citoyens ont participé à un référendum concernant l’intégration de leur pays à l’Union européenne, puis ont élu leur nouveau président. Moins d’une semaine plus tard, le 26 octobre, les Géorgiens votaient pour élire leurs députés au Parlement - et donc décider de la composition de leur nouveau gouvernement.
Un mode opératoire commun à peine dissimulé
Dans ces deux pays géographiquement proches de la Russie, deux camps - l’un plutôt pro-européen, l’autre pro-russe - s’affrontaient lors de ces élections. En Moldavie, le “oui” à l’intégration à l’Union européenne, porté par la présidente Maia Sandu, faisait face au “non”, porté par des opposants plutôt favorables à la Russie. En Géorgie, le gouvernement sortant, issu du parti pro-russe “Rêve géorgien”, affrontait une coalition pro-européenne.
Le Kremlin a ainsi investi les réseaux sociaux des deux pays, dans l’espoir d’y faire la promotion des partis anti-européens, et de rapprocher l’opinion publique de la Russie. En Moldavie par exemple, les autorités estiment que le Kremlin aurait dépensé l’équivalent de 92 millions d’euros depuis le début de l’année 2024 pour organiser des opérations de corruption des autorités, ou mener des campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux.
En Moldavie, un très juste “oui” à l’intégration à l’Union européenne
Le scrutin moldave du 20 octobre 2024 a bien failli basculer en faveur des partisans du Kremlin. Les Moldaves ont approuvé d’extrême justesse - avec seulement 50,54% des voix - la modification de la constitution en vue de l’adhésion de leur pays à l’Union européenne, alors que les sondages prédisaient une victoire bien plus nette du “oui”.
La présidente du pays, Maia Sandu, réélue quant à elle confortablement avec 55% des voix, a dénoncé une “attaque sans précédent” en provenance de Russie (1). Pro-européenne, la présidente moldave avait engagé le pays dans une série de réformes internes afin de remplir les conditions d’adhésion à l’Union européenne. Elle a également accueilli sur son territoire plusieurs dizaines de milliers d’Ukrainiens, réfugiés de la guerre, dont plus de 26 000 vivraient encore aujourd’hui en Géorgie.
“Des groupes criminels, agissant de concert avec des forces étrangères hostiles à nos intérêts nationaux, ont attaqué notre pays à coups de dizaines de millions d’euros, de mensonges et de propagande”, a-t-elle déclaré dans la nuit précédant les résultats. Le scrutin a en effet été marqué par de nombreuses irrégularités selon les observateurs indépendants sur place, dont des agents russes venus distribuer de l’argent aux électeurs devant les bureaux de vote.
Une étude du New Strategy Center (2) pointait ainsi des “interférences russes sans précédent”. Les Etats-Unis se sont ainsi engagés à “soutenir” le pays, tout comme l’Union européenne, qui, par la voix du Parlement européen, a appelé la Russie à “respecter l’indépendance de la Moldavie, cesser ses provocations et retirer ses forces militaires” (3).
En Géorgie, une victoire du parti pro-russe
Les élections législatives géorgiennes du 26 octobre - déterminantes pour la composition du gouvernement - ont en revanche davantage été en faveur de la Russie. Le parti “Rêve géorgien” est à nouveau sorti vainqueur des élections, avec 54% des voix, selon la commission électorale, qui a par ailleurs rapporté un taux de participation de 58%, en hausse par rapport aux deux scrutins précédents.
“À nouveau”, car la formation politique fondée par l’oligarque Bidzina Ivanichvili en 2011 est déjà au pouvoir depuis 2012. L’homme d’affaires russe était revenu en Géorgie dans les années 2000 pour s’engager en politique et fonder le parti “Rêve géorgien”. Depuis son ascension au pouvoir il y a douze ans, son gouvernement rapproche le pays de la Russie et a fait adopter plusieurs lois restreignant les libertés des citoyens, en menant une politique de plus en plus autoritaire.
Des observateurs électoraux indépendants sur place ont observé des “fraudes généralisées”. Le parti au pouvoir est notamment accusé d’avoir acheté des voix dans les bureaux de vote locaux, et d’avoir soumis les électeurs à des pressions, en les intimidant à l’entrée des bureaux de vote, pour influencer leur vote. Les observateurs de l’Union européenne ont eux aussi constaté des irrégularités lors du scrutin, et la Commission européenne a demandé une enquête sur le déroulement du vote.
Des textes de loi inspirés par le Kremlin
Depuis que le parti “Rêve géorgien” est au pouvoir, le gouvernement semble mettre en place les législations influencées par le Kremlin. Deux textes en particulier semblent inspirés de lois russes, dont celui sur “les agents de l’étranger”, adopté en mai dernier, qui permet au gouvernement en place de museler les citoyens et la société civile, en restreignant notamment les financements étrangers reçus par les organisations non gouvernementales (ONG). Ce texte se base sur une loi russe visant à réduire au silence les médias indépendants. En réaction, l’Union européenne a décidé de suspendre la procédure d’adhésion de la Géorgie.
Ces derniers mois, le parti s’est notamment fait remarquer en menant une campagne électorale mettant en garde contre une expansion de la guerre en Ukraine sur le territoire géorgien. Mais au-delà de l’objectif affiché de préserver la paix, le “Rêve géorgien” a promu la position et les valeurs de la Russie, et n’a pas suivi le mouvement de sanctions internationales après le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022.
Le gouvernement pro-russe, influencé de facto par Ivanichvili, Premier ministre entre 2012 et 2013, a également fait voter plusieurs lois conservatrices, proches de Moscou, dont celle sur “les valeurs familiales”, qui restreint largement les droits des personnes LGBTQI+, et marque un nouvel éloignement avec l’Europe de l’Ouest. Ce discours anti-occidental imprègne par ailleurs les propos de Bidzina Ivanichvili, qui qualifie l’Ouest dans son ensemble de “parti mondial de la guerre” (4).
L’actuel Premier ministre Irakli Kobakhidzé a promis que “l’intégration européenne” restait la “principale priorité” de Tbilissi (5). Mais la présidente du pays, Salomé Zourabichvili, opposée au gouvernement, affirme que la Géorgie a été victime des pressions exercées par Moscou, et ne reconnaît pas la légitimité du scrutin - bien que son rôle reste principalement honorifique. Les partis d’opposition au gouvernement ont quant à eux appelé à poursuivre les manifestations tous les jours depuis mardi 5 novembre.
L’Union européenne, principale cible des ingérences russes ?
Avec ces deux récentes tentatives d’ingérence, la Russie semble définitivement cibler ceux qui souhaitent se rapprocher de l’Union européenne. Mais ce n’est pas la première fois que le Kremlin tente de cibler l’UE, et elle le fait parfois plus directement. Le Kremlin tente par exemple de conserver une influence notable dans les institutions de l’UE, et notamment au Parlement européen.
Fin mai, le parquet fédéral belge annonçait une perquisition des bureaux du Parlement à Bruxelles et Strasbourg, et plus précisément ceux d’un assistant parlementaire du parti d’extrême-droite “Alternative für Deutschland” (AfD), Guillaume P. Selon le communiqué du parquet, ces perquisitions concernaient “des indices d’ingérence russe, selon lesquels des membres du Parlement européen auraient été approchés et payés pour promouvoir la propagande russe via le « site web d’information » Voice of Europe”.
Ce site internet tchèque, détenu par l’opposant prorusse de Volodymyr Zelensky, Viktor Medvedtchouk, également très proche de Vladimir Poutine, avait été fermé par les autorités tchèques. Mais sur le réseau X (ex-Twitter), le compte Voice of Europe est toujours actif. Selon les médias nationaux, d’autres personnalités du même parti, dont le porte-parole Petr Bystron par exemple, auraient accepté de l’argent de Voice of Europe pour influencer l’opinion publique européenne.
Outre les accusations de corruption qui planent autour du mandat de certains eurodéputés, le Kremlin met en place de vastes systèmes de désinformation, qui s’appuient aussi bien sur des “bots” - des faux comptes sur X - que des boucles Telegram, et qui déstabilisent l’opinion publique.

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