Classements universitaires : révélateurs d’excellence ou générateurs d’Inégalités ?

, par Le Courrier d’Europe, Yasmine Yassin

Classements universitaires : révélateurs d'excellence ou générateurs d'Inégalités ?

L’étude de la partialité des systèmes de classements universitaires et leur exploitation pose la question de leur impact sur les étudiants. Il fut un temps où ces systèmes étaient créés pour aider les étudiants à comparer différents établissements et à prendre des décisions éclairées et réfléchies sur le choix de leur université. Une autre tendance semble néanmoins se dessiner aujourd’hui : souvent, les résultats des classements sont instrumentalisés à des fins plutôt commerciales par les universités elles-mêmes. Par conséquent, on peut désormais questionner leur fiabilité, parce qu’ils sont inconsciemment déformés pour correspondre à nos attentes préconçues sur l’université, mais surtout parce qu’ils sont une source d’inégalité.

Les classements universitaires à travers le monde : un état des lieux

Bien qu’ils soient censés fournir des informations précieuses aux étudiants et aux établissements, les classements universitaires engendrent souvent des inégalités en matière d’éducation par leur méthodologie et leur impact. Les systèmes de classements universitaires sont devenus un phénomène commun dans l’enseignement supérieur à l’échelle mondiale.

« Tout au long des années 70, les chercheurs en sciences sociales se sont de plus en plus intéressés aux méthodes et aux mérites du classement des établissements d’enseignement supérieurs, en se référant explicitement à l’ACE Rankings. Cette évolution s’est accompagnée d’une reconnaissance croissante, également dans les années 1970, du fait que les classements avaient leur place et leur raison d’être dans le système d’enseignement supérieur - une tendance qui s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui. »
(Stefan Wilbers et al., 2021)

Plusieurs systèmes de classements sont utilisés pour étudier la compétitivité des universités : Times Higher Education (THE), Quacquarelli Symonds (QS), Shanghai Ranking Consultancy, Academic Ranking of World Universities (ARWU) sont les plus connus. À l’échelle européenne, un nouveau système est utilisé, U-Multirank, lancé en mai 2014 avec le soutien financier jusqu’en 2015 de la Commission européenne. Il s’agit d’une alternative aux systèmes classiques susmentionnés permettant aux étudiants de créer leur propre liste d’universités en fonction de leurs intérêts. Selon le journaliste irlandais, Eanna Kelly, les étudiants peuvent l’utiliser pour comparer les facultés et les programmes à partir de 30 indicateurs dans cinq domaines : la recherche, l’enseignement et l’apprentissage, l’orientation internationale, le transfert de connaissances et l’engagement régional. Les activités sont notées de A (très bon) à E (faible).

Times Higher Education (THE) a lancé sa première édition en 2004 pour évaluer "les performances des universités sur la scène mondiale" afin de donner un aperçu "des différentes missions et réussites des établissements d’enseignement supérieur". Sa méthodologie repose principalement sur des indicateurs de performance similaires aux autres classements, en ajoutant les revenus de l’industrie. Elle semble mesurer des facteurs d’entrée tels que la taille des bibliothèques et des facteurs de sortie tels que le taux d’emploi des étudiants.

Le secteur des classements d’universités a fait l’objet de plusieurs critiques sur différents fronts. En effet, les facteurs d’entrées utilisés par la plupart des systèmes ont montré des failles récurrentes (Muller, 2018). Les classements actuels ont besoin de plus de responsabilité et d’équité. "Ils sont devenus omniprésents dans les contextes de service public (...) il y a également une critique croissante des classements créant des effets pervers" (Wallenburg et al., 2019).

Sur un niveau plus européen, European University Alliance (Circle U), le classement des universités du THE, a montré en 2023 que King’s College à Londres était classé 35e tandis que l’Université d’Aarhus au Danemark était 117e. Pourtant, l’Université danoise est classée 15e dans le classement QS Sustainability 2023, tandis que l’université londonienne est 112e. Il est donc difficile de déterminer la performance de ces deux universités. Dans le cadre d’un projet de l’Université d’Oslo sur “l’utilisation des systèmes de classements universitaires comme des experts", certains étudiants ont été interrogés sur leurs critères de sélection des universités. Les résultats de cette enquête ont été surprenants : la vie sociale, la qualité des cours, l’emplacement ou la durabilité comptaient davantage. Si pour ces étudiants la place qu’occupe leur université sur un classement de n’est qu’un plus, pourquoi "sommes-nous obsédés par les classements des universités - et on nous dit de l’être - et de nous méfier de notre propre jugement" (Muller, 2018).

Malgré les critiques, ces systèmes de classement semblent être traités comme des sources d’expertise pour de nombreuses raisons, telles que l’aide à la prise de décision. Dans leur ouvrage Expertise, Policy-making and Democracy, Cathrine Holst et al. définissent les experts comme ceux qui "ont plus de croyances en des propositions vraies et moins de croyances en des propositions fausses dans un domaine que la plupart des gens", ce qui signifie que les experts sont des spécialistes d’un "domaine". Les classements universitaires sont-ils des "spécialistes de domaine" ? Dans ce secteur, les "experts" qui se cachent derrière ces chiffres sont souvent des personnes idéologiquement biaisées, issues de milieux privilégiés.

Si les classements ont leurs mérites, ils présentent également des limites et des biais importants. Ils peuvent ne pas refléter fidèlement la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage, les diverses missions des universités ou leurs contributions aux communautés locales, et ils peuvent perpétuer les inégalités en matière d’accès à l’enseignement supérieur.

Les conséquences des classements universitaires sur les inégalités éducatives : une dure réalité

Il y a toujours eu une concurrence entre les universités prestigieuses qui se classent toujours parmi les 10 meilleures au monde et les autres qui essaient de prouver qu’elles offrent une éducation d’aussi bonne qualité que les écoles de l’Ivy League. La distribution inégale ou l’accès inégal aux opportunités éducatives, aux ressources financières et éducatives, aux enseignants qualifiés ou aux ressources numériques, entraîne une diminution de l’éducation, de la réussite scolaire ou des performances d’un étudiant ou d’une population (William K. Preble, Sharon Locke, 2018). Les conséquences des systèmes de classements universitaires sur la perpétuation de ces inégalités sont multiples. Dans un premier temps, ils influencent éventuellement la décision de chacun. "Depuis très longtemps, ces classements forment le cœur du processus décisionnel de n’importe quel étudiant. Bien qu’il y ait de nombreuses raisons à cela, la chose la plus importante que les classements indiquent est la réputation d’une institution et sa position dans le monde de l’enseignement supérieur au sens large", Sofia Shazal.

Au lycée, lorsque l’on est censé prendre une décision aussi déterminante que le choix d’une université, on est loin de se douter de la puissance des mesures et de la méthodologie des classements. Jusqu’à aujourd’hui, les décisions en matière d’éducation étaient toujours liées aux "chiffres", bien que la qualité de l’éducation reste un critère essentiel. Cette obsession des classements résulte de la crainte de ne pas trouver un emploi suffisamment intéressant et gratifiant après l’obtention du diplôme. La priorité devrait être de recevoir une éducation de qualité pour obtenir un diplôme permettant de réaliser nos aspirations professionnelles et d’accomplir efficacement les tâches attribuées. Si les classements des universités sont souvent utilisés pour mesurer l’excellence et la réputation académiques, peuvent-ils affecter le devenir des diplômés et leur employabilité ? Les classements peuvent également perpétuer les inégalités sociales et économiques de plusieurs manières : renforcement du prestige, accès aux opportunités et influence sur l’embauche et la promotion. Tout d’abord, les universités bien classées attirent davantage de ressources, notamment des fonds, des professeurs de haut niveau et des étudiants de milieux aisés. Cette concentration de ressources peut perpétuer le prestige et la réputation de ces établissements, rendant la concurrence difficile pour les universités moins bien classées ou moins « prestigieuses ». En conséquence, l’écart entre les universités dites « élitistes » et les autres peut se creuser, ce qui renforce les inégalités sociales et économiques. Deuxièmement, les étudiants issus de milieux défavorisés peuvent être moins susceptibles de fréquenter des universités de haut niveau en raison de contraintes financières ou d’un accès limité aux ressources nécessaires à l’admission. Ce manque d’accès à des institutions prestigieuses pourrait limiter leurs opportunités futures et leurs perspectives de carrière, perpétuant ainsi les disparités économiques. De plus, les employeurs et les entreprises privilégient souvent les diplômés des universités les plus prestigieuses lorsqu’ils prennent des décisions en matière d’embauche et de promotion. Cela désavantage les diplômés d’établissements moins prestigieux et limite leur progression de carrière et leur potentiel de revenus.

Dans le système d’enseignement supérieur français, les inégalités en matière d’éducation concernent souvent l’accès aux établissements tels que les grandes écoles, la stratification sociale et les disparités géographiques. Ces inégalités limitent la mobilité sociale et conduisent à un accès inégal aux carrières les plus demandées. D’autre part, la source la plus connue d’inégalité dans le système d’enseignement supérieur, notamment aux Etats-Unis, c’est le coût de l’éducation. Cela est à l’origine de l’endettement des étudiants, de l’inégalité d’accès aux établissements et des écarts de réussite. En France comme aux États-Unis, les inégalités en matière d’éducation peuvent avoir des conséquences considérables sur la mobilité sociale et économique des individus. Pour remédier à ces disparités, il est souvent nécessaire de mettre en place des politiques globales visant à améliorer l’accès à une éducation de qualité, à réduire les obstacles financiers et à promouvoir la diversité et l’inclusion dans les établissements d’enseignement supérieur. Bien que les systèmes de classements universitaires puissent être un outil utile et décisif pour aider les écoles de taille moyenne, leur méthodologie actuelle semble contre-productive. Il est essentiel de noter que la mission fondamentale d’une université est de “dispenser un enseignement au plus grand nombre d’étudiants possible sans en diluer la qualité”, déclare Krishnan Viswanath.

En conclusion, les systèmes de classements universitaires ne peuvent à eux seuls réduire directement les inégalités dans l’enseignement supérieur. Cependant, l’implication des décideurs politiques et des universités permettrait d’améliorer l’accessibilité financière, la qualité de l’enseignement supérieur et de s’assurer qu’ils sont alignés sur les objectifs d’équité et d’inclusion.

Lorsque l’on se demande si ces systèmes perpétuent les inégalités en matière d’éducation, il est important de noter que leur principal objectif est de fournir des données. Ils contribuent à l’émergence des inégalités en matière d’éducation parce que les médias leur ont donné beaucoup de publicité. L’industrie actuelle renforce et confirme constamment l’impossibilité de la mobilité sociale. L’amélioration des mécanismes de classement et des politiques d’inclusion serait la clé de la réduction des inégalités dans l’enseignement supérieur. Au niveau européen, U-Multirank paraît inactif depuis 2022, ce qui nous amène à nous interroger sur son efficacité et sa capacité à rivaliser avec les autres. L’introduction de nouvelles politiques dans le domaine de l’enseignement supérieur européen serait ainsi une nécessité.

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