Comment mener la transition écologique en Europe : rencontre avec Philippe Lamberts

, par Gabrielle Bernoville

Comment mener la transition écologique en Europe : rencontre avec Philippe Lamberts
Philippe Lamberts lors de la conférence du 21 novembre 2018 à Sciences Po Toulouse. Crédits : Gabrielle Bernoville, novembre 2018.

Répondant à l’invitation de plusieurs associations étudiantes toulousaines, Philippe Lamberts, co-président du groupe les Vert/ALE au Parlement européen, s’est rendu mercredi 21 novembre 2018 dans la ville rose. Rendu célèbre à Bruxelles pour ses prises de position à propos de l’imposition d’un plafond sur les revenus de la finance, de la défense des causes environnementales et sociales (lutte contre la pêche électrique, la corruption), l’eurodéputé a confié aux étudiants sa vision de la politique environnementale européenne.

Comment changer le système et pas le climat ?

Dans l’hémicycle européen comme sur les réseaux sociaux, impossible de rater les prises de parole de l’eurodéputé belge (ingénieur civil en mathématiques appliquées de formation) qui lui vaillent d’être selon Le Monde d’être « l’homme le plus détesté de la City ». De son interpellation à Emmanuel Macron, auquel il tend une corde en réaction aux propos du président français sur les « premiers de cordées », à ses engagements en faveur de la transparence et de la régulation financière, Philippe Lamberts est avant tout un militant de la transition écologique, sociale et inclusive : c’est à dire une transition tant énergique que basée sur la transformation du modèle de développement et le respect de l’équité sociale et environnementale [1]. Notre invité confie enfin « ne pas trop accorder d’importance aux étiquettes politiques ».

Militant, son désir « de faire autrement » l’amène en effet à rejoindre au début des années 1990 le parti vert belge Ecolo, pour lequel il exercera différents postes en Belgique avant d’être élu aux élections européennes de 2009 au sein de l’alliance Verts / Alliance Libre Européenne. Homme politique, il succède à Daniel Cohn-Bendit à la tête du parti en 2014 avec Ska Keller, représentante du Parti Pirate. Le groupe compte actuellement 52 eurodéputés issus de 18 pays européens différents notamment d’Allemagne (13 eurodéputés).

A l’occasion de la conférence « Comment changer le système et le climat », Philippe Lamberts était entouré d’une représentante du mouvement Alternatiba, Pauline Boyer et de Laure Teulières, universitaire spécialisée dans les domaines de l’écologie politique et de l’histoire contemporaine. Les étudiants leur ont ainsi posé l’épineuse question du pouvoir des institutions européennes dans la transition écologique, énergétique et dans la transformation des comportements quotidien.

« On ne peut pas vouloir la transition écologique et solidaire et la mondialisation »

L’eurodéputé belge est catégorique : on ne peut penser le dérèglement climatique sans reconsidérer le système capitaliste financier dans lequel nous évoluons. Toute transition écologique et inclusive est impossible sans changement de système de production et de consommation. Cette conception, le rappelle-t-il, divise les écologistes et les penseurs de la transition. Deux types d’écologie politique s’opposent selon Philippe Lamberts : une écologie dite d’accompagnement (vision que l’eurodéputé attribue à Daniel Cohn-Bendit), et une écologie politique de la transformation (sa vision).

Pour les tenants d’une écologie de la transformation, l’enjeu premier est de trouver des outils et moyens de sortie dans un système jugé « mortifère ». Dans cette entreprise, deux dynamiques peuvent être envisagées : tout d’abord un mouvement descendant des institutions politique (nationales ou européennes) vers les citoyens (également appelé « top-down »). Autrement il existerait un mouvement ascendant, « bottom up », qui émergerait de la société civile, œuvrant à inscrire de nouveaux enjeux et combats au calendrier politique national et européen. L’équilibre entre ces mouvements descendants/institutionnels et ascendants/citoyens est un sujet essentiel de la transition écologique. Si les échecs et insuffisances des accords environnementaux tel que celui de Paris en 2017, ont été rappelés par le panel d’intervenants, seule l’intelligence collective permettra, selon Philippe Lamberts, de rendre le changement socialement acceptable. Penser l’urgence écologique, demande ainsi le courage de remettre en question l’intégralité de notre économie basée sur des interdépendances multiples et des industries globalisées, l’exploitation massive des ressources, ou encore la taylorisation poussée des industries.

Ainsi, le combat écologique se doit d’être appliqué autant au remplacement de pratiques destructrices de l’environnement qu’à la transformation des mentalités. En cela, il est nécessaire d’investir toutes les strates et arènes sociétales et de concilier les dynamiques institutionnelles et les impulsions locales.

« On sera toujours dans le combat »

Extinction massive des espèces animales, destruction de leur habitats naturels, recul des législations les protégeant, dérèglement climatique , désertification, montée des eaux, hausse des température, pollution urbaine et ses impacts sur la santé publique… Face à ce constat alarmant, chacun peut se demander s’il n’est pas déjà trop tard ?

L ’eurodéputé confie qu’on le lui demande souvent. Pour certains historiens, l’impact humain sur l’environnement et les écosystèmes naturels aurait fait basculer nos sociétés dans une nouvelle aire géologique : l’anthropocène ou l’« ère de l’homme » [2]. Ce concept a été créé par le météorologique et chimiste Paul Crutzen à la fin du XXe siècle pour désigner ces changements nombreux et qui se caractérisent par des dynamiques propres et nouvelles : mondialisation, lutte accrue pour l’appropriation des ressources, mouvements de population liés au dérèglement climatique et destruction des habitats.

S’il rejoint les inquiétudes de Laure Boyer concernant les effets dévastateurs d’une monté de 1,5°C des températures mondiales envisagée par les scientifiques, et l’insuffisance des actions publiques et politiques, Philippe Lamberts dit craindre encore davantage le caractère « autoréalisateur » de cette vision apocalyptique du futur. Le dérèglement climatique, aujourd’hui omniprésent dans les médias souffre paradoxalement d’une méconnaissance globale. L’idée d’« écologie punitive » [3] atteste pour Laure Teulières de la mauvaise réception et d’une difficulté à appréhender ce problème.

De la contre-culture des années 1970 (où les réflexions écologiques irriguaient les comportements de la jeunesse américaine et européenne), au bureau britannique anti-gaspillage pour soutenir l’effort guerrier durant de la Seconde Guerre mondiale [4], et aux pratiques enfin de phytorémédiation, l’histoire recèle pourtant d’exemples et de savoir-faire exploitables pour combattre le dérèglement climatique. Aussi selon le député européen, le défi actuel réside dans la mise en commun des initiatives, dans le décloisonnement des connaissances. Agir pour une transition écologique et solidaire est une « lutte sans trêve », un combat où toute arène de décision politique doit être investie.

L’enjeu de l’arène européenne en matière environnementale

La ténacité des lobbys, leur capacité d’actions néfastes dans les processus législatifs européens, Philippe Lamberts les évoque sans sourciller. Son combat contre l’interdiction de la pêche à impulsion électrique en Europe rencontre actuellement de vive résistance des lobbys néerlandais. Ces derniers, fit des impacts directs sur la faune et la flore marine engendrés par cette pratique encore méconnue, militent pour sa légalisation (accord de dérogation en 2006, proposition de règlement de la Commission européenne du 2 mars 2018) y trouvant des avantages financiers apparemment non négligeables.

L’étonnante position de la Commission sur cette pratique, vivement dénoncée par les scientifiques et les ONG, et malgré l’adoption au Parlement d’un amendement du groupe les Verts/ALE allant dans l’autre sens, révèle pour le député la nécessité de ré-investir les institutions communautaires. « Si les dégoutés partent, il ne restera plus que les dégoutants », conclut-t-il.

Pour autant, c’est bien parce que les entreprises et groupes de pression (re)connaissent la portée des actions européennes qu’ils s’emparent et investissent autant les institutions européennes. En cette année électorale, il est ainsi plus que jamais nécessaire selon Philippe Lambert de voter et de donner à la transition écologique et solidaire une chance de s’incarner dans la législation européenne. C’est par le législateur européen, notamment le Parlement, que les prisonniers de l’anthropocène ou encore les perdants du dérèglement climatique [5], pourront maintenir un mode de vie digne. L’Union Européenne, se doit d’accélérer la prise de conscience et de compléter et accompagner les initiatives locales et régionales. Cet objectif peut être réalisable au travers de ses politiques structurelles, de ses programmes de cohésion, de son outil législatif contraignant ou encore via ses compétences exclusives en matière commerciale (qui peuvent lui permettre d’inclure des standards environnementaux dans les accords de libre échange). Une transition écologique, solidaire et inclusive corrélant les revendications citoyennes et les actions supranationales reste l’unique chance pour Philippe Lamberts de « lever tous les obstacles » et de réformer « un modèle mortifère sans sortie ».

Et après ?

Dans 10 jours la vingt-quatrième édition de la Conférence des Parties, la « COP 24 » s’ouvrira à Katowice en Pologne et se prolongera jusqu’au 14 décembre 2018. Malgré un contexte géopolitique complexe et peu favorable, cette rencontre constituera une opportunité supplémentaire pour les acteurs de la transition écologique et solidaire de tenter d’influencer sur les agendas politiques des Etats participants. De la première édition tenue à Berlin en 1995, à l’édition de la COP 21 à Paris qui a permis la signature des accords de Paris sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, les Conférences des Parties restent des forums de discussion et des arènes de coopération non négligeables pour l’ensemble des acteurs (politiques et société civile). En septembre dernier, suite au rapport de l’eurodéputé Mark Demesmaeker (Europe des Conservateurs et des Réformistes), le Parlement européen demandait la mise en place d’un marché unique des plastiques recyclés et une lutte active contre les déchets marins. A la lueur de ces prises de position encourageantes, il convient d’espérer que cet événement puisse appuyer le combat de Philippe Lamberts pour une transition écologique, solidaire et inclusive dans l’ensemble de l’Union européenne.

[1] AUBERT Marie-Hélène, « Une politique de développement durable pour demain » in L’Économie politique 2012/2 (n° 54), pages 12 à 25.

[2] CRUTZEN Paul, « La géologie de l’humanité : l’Anthropocène », in Ecologie & politique 2007/1 (N°34), pages 141 à 148.

[3] BOND Olivier, Pour en finir avec l’écologie punitive, Editions Grasset, Mai 2018.

[4] IRVING Henry, “Paper salvage in Britain during the Second World War”, Historical Research vol. 89 n°244, Mai 2016.

[5] VINCE Gaia, Adventures in the Anthropocene : A Journey to the Heart of the Planet We Made, Editions Reprint, 2014.

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