Concilier transition écologique et compétitivité du secteur agricole européen

, par Les Jeunes Européens Paris, Martin Samiez

Concilier transition écologique et compétitivité du secteur agricole européen
© Pixabay

La crise agricole que traverse actuellement l’ensemble du Vieux Continent traduit d’abord un sentiment d’injustice chez les agriculteurs européens ; celui de se voir imposer des normes, notamment environnementales, qui ne s’appliquent pas à leurs concurrents extra-européens, source d’un écart de compétitivité en leur défaveur. Le présent article se veut ainsi force de proposition pour résoudre ce conflit, en suggérant l’instauration d’un dispositif inspiré du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).

Le 1er février dernier, des milliers d’agriculteurs venus de toute l’Europe sont venu faire le « siège » du Parlement européen à Bruxelles. Cette scène invraisemblable constitue le point d’orgue des nombreux mouvements de protestations d’agriculteurs ayant eu lieu dans de nombreux Etats membres de l’Union.

Parmi leurs revendications principales, la dénonciation d’un excès de normes européennes, notamment environnementales, beaucoup trop contraignantes à leurs yeux, ainsi que la non-application intégrale de ces normes à leurs concurrents extracommunautaires qui génère de facto un déficit de compétitivité considérable en leur défaveur.

Si les mesures agroenvironnementales (MAE) dénoncées par les agriculteurs, telles que les interdictions de pesticides, paraissent, pour la plupart d’entre elles, essentielles à la bonne réalisation de la transition écologique à l’échelle européenne, la question de la pleine application de ces mesures aux producteurs extracommunautaires fait plutôt l’objet d’un consensus naturel ; en plus de désavantager les exploitations agricoles européennes et de distordre le jeu de la concurrence, cette asymétrie normative contribue à accroître les parts de marché des exploitations étrangères les plus polluantes, ce qui amoindrit les effets attendus des MAE. De surcroît, cette asymétrie normative constitue une prime à la dérégulation agricole, incitant au moins-disant agroécologique à l’échelle internationale. Ainsi, qu’iels soient libéraux, souverainistes ou écologistes, les députés européens semblent unanimes sur le fait de mettre fin à l’asymétrie d’application des normes agricoles de l’Union.

La solution de l’interdiction pure et simple des importations ne respectant pas les normes agricoles européennes doit être écartée

Souvent perçue comme relevant du « bon sens », une solution simple serait d’appliquer les MAE aux produits importés sous peine d’interdiction. En réalité, cette solution est une fausse bonne idée puisqu’elle impliquerait une réduction drastique de l’offre de produits agricoles et d’élevage au sein des marchés européens pouvant avoir de nombreux effets néfastes :

  • A court-terme, s’agissant des produits agricoles que l’on ne produit pas assez pour couvrir l’ensemble des besoins des consommateurs de l’Union, le risque est celui d’une pénurie et donc d’une hausse des prix de ces biens (inflation au sein de certains secteurs agricoles)
  • De plus, certaines industries européennes utilisent des biens agricoles étrangers comme facteurs de production. La réduction de la disponibilité de ces biens pourrait gravement compliquer leur activité et se traduire par une hausse de leur coût de production, qui serait plus ou moins répercutée sur le prix de leurs biens finaux (propagation de l’inflation à d’autres secteurs que celui de l’agriculture)
  • Réduction drastique de la diversité des produits
  • Incompatibilité manifeste avec tous les traités de libre-échange signés par l’Union, qui nécessiteraient donc tous d’être renégociés ou dénoncés
  • Surprotection du marché intérieur qui pourrait être néfaste au regard des incitations à la performance et à l’innovation des exploitations agricoles européennes (la concurrence internationale ayant au moins pour bénéfice d’empêcher les agriculteurs intracommunautaires de « se reposer sur leurs lauriers » et de les encourager à se réinventer en permanence), et pourrait in fine renouer avec les dérives de la PAC des années 60 (absence d’investissements privés pour moderniser les équipements agricoles, absence d’optimisation des coûts, surproduction déraisonnée…)

Ainsi, s’il n’est ni souhaitable ni réalisable d’interdire les importations de produits qui n’auraient pas pu être produits légalement sur le sol de l’Union, il est en revanche envisageable de les soumettre à un mécanisme de « taxation compensatrice » sur le modèle du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), entré en vigueur le 1er octobre 2023 et qui se destine à étendre la logique du marché des quotas d’émissions de carbone aux entreprises implantées hors de l’Union dans certains secteurs.

La création d’un mécanisme de compensation agroenvironnemental aux frontières (MCAEF)

Le principe

Une solution plus réaliste, plus efficace et comportant bien moins d’inconvénients serait d’instaurer un dispositif de taxation compensatrice lié au non-respect des normes agroenvironnementales européennes par les produits franchissant les frontières de l’Union.

Précisément, pour un produit importé et une entreprise extra-européenne donnés, chaque norme environnementale de l’Union non respectée induirait un montant de taxation égal au coût généré par le respect de cette norme, afin de combler exactement le déficit de compétitivité qu’elle induit. Par exemple, si l’utilisation d’un pesticide X, interdit par l’Union, permet de réduire le coût unitaire d’un produit de 2€, alors chaque bien produit à l’étranger grâce à l’aide de ce pesticide se verrait taxé d’un montant unitaire de 2€ lors du franchissement des frontières de l’Union.

Ainsi, plus les produits agricoles importés au sein de l’Union respecteront les normes fixées par celle-ci, et moins ces produits se verront taxés. Avec un tel système, les entreprises extracommunautaires qui respectent toutes les normes agroenvironnementales européennes verront leurs prix d’export inchangés.

Les avantages et inconvénients d’un tel dispositif

Un tel mécanisme de compensation agroenvironnemental aux frontières (MCAEF) de l’Union permettrait non seulement de rétablir la concurrence loyale et non-faussée au sein des marchés agricoles européens en plus d’éliminer la prime à la dérégulation agricole précitée. A l’inverse de l’interdiction pure et simple des importations vue précédemment, ce mécanisme ne réduirait pas l’offre de produits agricoles au sein de l’Union et donc ne poserait pas de problèmes de pénurie et de réduction de diversité. De plus, il permettrait de conserver les effets potentiellement bénéfiques de la concurrence internationale en ne compensant que les écarts de compétitivité directement liés à l’asymétrie de normes tout en conservant ceux qui sont liés à la performance des exploitations.

En revanche, ce mécanisme, bien qu’il ne s’apparente pas à du protectionnisme stricto sensu, pourrait être incompatible avec certaines dispositions des traités de libre-échange signés par l’Union qui devraient, dans ce cas, être renégociés. De surcroît, la taxation plus ou moins forte des importations concernées contribuerait mécaniquement à la hausse des prix de ces biens, et pourrait alors poser les problèmes d’inflation sectorielle ou généralisée développés ci-dessus et in fine venir dégrader le pouvoir d’achat réel des consommateurs. Toutefois, les recettes générées par cette taxation pourraient servir à financer des investissements dans les exploitations agricoles afin d’améliorer leur compétitivité-prix tout en les faisant transitionner vers l’agriculture verte ou encore à financer une politique de cohésion sociale à destination des ménages les plus précaires, premières victimes d’une hypothétique hausse des prix alimentaires. Dans tous les cas, les recettes du MCAEF viendraient abonder le budget de l’Union et en constitueraient dès lors une nouvelle ressource propre, renforçant ainsi l’autonomie fiscale de l’Union européenne vis-à-vis des Etats membres.

Finalement, la mise en place d’un tel mécanisme pourrait marquer un pas supplémentaire dans la « fin de l’Europe naïve » telle que souhaitée par l’actuelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Les opinions partagées dans cette tribune n’engagent que celles de leur auteur. Elles ne sauraient en aucun cas être rattachées aux opinions du journal ou des membres de son comité de rédaction.

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