Conseil de l’Union européenne : la Présidence tchèque expliquée par Hana Hubáčková

, par Cesare Ceccato, traduit par Paul Brachet

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Conseil de l'Union européenne : la Présidence tchèque expliquée par Hana Hubáčková
European Parliament, CC BY 2.0 <https://creativecommons.org/license...> , via Wikimedia Commons

Dans l’après-midi du vendredi 14 octobre, le Centre de Documentation Européenne (CDE) de l’Université de Milan, en collaboration avec le Département d’études internationales, juridiques et historico-politiques, a organisé une rencontre avec l’Ambassadrice de la République Tchèque en Italie et à Malte, Hana Hubáčková. L’Ambassadrice a profité de l’événement pour présenter la Présidence semestrielle tchèque du Conseil de l’Union européenne. Le partenaire transalpin du Taurillon, Eurobull, vous propose un résumé des échanges.

Qu’est-ce que la Présidence du Conseil de l’Union européenne ?

Créé en 1992 par le Traité de Maastricht, le Conseil de l’Union européenne (Conseil), dont le siège se trouve au Palais de l’Europe à Bruxelles (Belgique), est une institution cardinale de l’organisation supranationale aux douze étoiles. Composé des ministres des 27 Etats membres, réunis en fonction des sujets discutés, le Conseil détient avec le Parlement européen le pouvoir législatif de l’Union européenne (UE), il coordonne les actions des Etats membres, définit et met en œuvre la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union (PESC), adopte les mesures nécessaires à la coopération policière et judiciaire en matière pénale, et a le pouvoir de conclure des accords internationaux au nom de l’UE.

Une particularité qui distingue le Conseil des autres institutions est le fonctionnement original de sa Présidence ; celle-ci est exercée par chaque État membre sur une période de six mois, par un système de rotation semestrielle. Le 30 juin dernier s’est terminée la Présidence française de l’Union européenne (PFUE), et le lendemain a donc commencé, pour la première fois depuis 2009, la Présidence tchèque.

Hana Hubáčková, Ambassadrice tchèque auprès de l’Italie et de Malte, a présenté cette présidence par une session de questions / réponses organisée par le Centre de Documentation Européenne (CDE) de l’Université de Milan.

Une Présidence occupée ce semestre par la République tchèque

Introduite par la Professeure Alessandra Lang (responsable scientifique au CDE) avec la présence du professeur Frederico Gustavo Pizzeti (vice-président du comité de direction SPES, de la professeure Ilaria Viarengo (directrice du département d’étude internationale, juridique et historico-politique) et de la docteure en droit internationale Lenka Valkova (enseignant-chercheur en droit internationale et européen à l’Université de Milan), Hana Hubáčková a salué l’Italie pour son ardente participation et son engagement pour le programme Erasmus+, comme en témoigne le nombre élevé d’étudiants européens présents lors de la rencontre. Elle a également salué le courage de la Péninsule. En effet, elle a commencé sa mission d’Ambassadrice alors que l’Italie traversait les mois les plus difficiles de la pandémie. Elle s’est dite impressionnée par la solidarité et la cohésion du peuple italien notamment à un tel moment, une collaboration inspirante pour l’Europe qui a suivi son exemple, ce qui a permis, petit pas par petit pas, d’en arriver à la situation sanitaire stable que nous connaissons aujourd’hui.

Le programme de la Présidence tchèque s’articule autour de cinq axes prioritaires : la gestion des vagues migratoires et de la réponse européenne à la guerre en Ukraine, la sécurité énergétique de l’Europe, la réflexion sur une réelle capacité de défense et de sécurisation informatique à l’échelle européenne, la résilience stratégique de l’économie européenne et la consolidation des institutions démocratiques.

La guerre en Ukraine : un chamboulement, y compris pour les présidences du Conseil

L’Ambassadrice a fait remarquer que les premiers axes ne sont que le prolongement du travail initié par la PFUE, un travail qui n’a pu arriver à son terme sous la Présidence d’Emmanuel Macron en raison des chamboulements causés par l’invasion russe. L’agression russe de l’Ukraine a déclenché un changement radical en matière géopolitique et stratégique de la part du Conseil, contraint - comme les autres institutions européennes - de devoir étudier la meilleure méthode pour gérer l’afflux de réfugiés et affronter la crise énergétique dont le terme est, comme la guerre, inconnu et imprévisible.

La patrie de Hubáčková est dans la même situation que ses voisins polonais, hongrois, slovaque ou autrichien : ces pays sont en première ligne face à l’accueil des réfugiés ukrainiens, et face aux problématiques qui leur sont liées : barrière de la langue et problème d’intégration aux systèmes scolaires nationaux des enfants et adolescents venus d’Ukraine. Le gouvernement tchèque a donc été clair quant à la nécessité du soutien organisationnel et financier de l’UE, dans le respect des principes constitutifs de solidarité, d’efficacité et de flexibilité.

L’Ambassadrice a rappelé que ce soutien est sans doute l’une des questions les moins consensuelles de l’actuel débat européen, notamment du fait du contraste entre États membres en la matière. Et l’Italie en premier chef, confrontée la première à la vague migratoire venue d’Afrique du Nord de 2015. Elle s’est néanmoins dite confiante quant à la cohésion de l’Union, à l’image de celle dont avaient fait preuve les États membres lors de la pandémie. Elle la souhaite d’autant plus forte en ce qui concerne la question de la reconstruction de l’Ukraine une fois le conflit terminé. Partout sur le territoire ukrainien, des infrastructures ont été détruites et continuent à l’être, en particulier des infrastructures civiles et énergétiques. Aujourd’hui, les estimations sont de l’ordre de 750 milliards d’euros pour remettre sur pied le pays ; pour Hubáčková, l’unique réponse ne peut être qu’un “Plan Marshall” financé par l’ensemble de la communauté internationale, qui pourrait également inclure le FMI.

Les 4 autres axes du programme tchèque : énergie, défense, économie et démocratie

Sur la sécurité énergétique, l’agenda à suivre est simple en théorie, mais toujours plus compliqué à appliquer dans la pratique. La Présidence tchèque s’est fixée pour objectif la réduction drastique de la dépendance énergétique envers la Russie, l’Union ne pouvant se permettre d’être dépendante de pays, qui menace directement ou indirectement sa sécurité. En même temps, la transition écologique ne peut être revue à la baisse, et la décarbonation de nos modes de vie et la transition vers des énergies renouvelables - prévues notamment par les plans européens RePowerEU et Fit for 55 - doivent ainsi recevoir encore plus d’attention. La crise climatique est plus que jamais présente, et l’Europe doit savoir y répondre raisonnablement, en rendant l’économie soutenable et compétitive et en utilisant de manière appropriée tous les moyens qui sont à sa disposition.

En ce qui concerne la défense européenne, Hubáčková considère qu’il n’existe aucun dilemme sur la question. « D’abord les États nations », « l’Europe d’abord », ou « l’OTAN d’abord » ne sont que des slogans purement idéologiques éloignés des préoccupations actuelles, qui passent selon elle par la mise en place d’une boussole stratégique. La Présidence tchèque considère que cette dernière doit se développer dans les secteurs des menaces hybrides, des menaces qui se matérialisent à la fois dans l’espace physique et cyber, et qui se produisent à travers la désinformation et les attaques à la sécurité informatique. Sur le plan de la “sécurité physique”, les relations transatlantiques sont de haute importance, aujourd’hui plus que jamais. Et de Washington comme depuis Bruxelles, la réponse est sans équivoque. Le développement d’une coopération à long terme dans les sujets militaires et stratégiques est essentiel. Sur le plan cyber, outre la garantie des capacités actuellement nécessaires basées sur les technologies existantes, la Présidence tchèque souhaite porter l’attention sur la coopération et les investissements pour réduire la dépendance extérieure en matière technologique, en particulier en ce qui concerne les nouvelles technologies porteuses de possibles capacités de perturbation. Cela serait rendu possible par le renforcement des capacités industrielles européennes et par la sécurisation et la cyber-sécurisation de l’ensemble des institutions.

Concernant l’économie, la République tchèque considère que les points de fragilité les plus importants se situent du côté de la précarité des chaînes d’approvisionnement et de l’interruption des marchés des matières premières. Cette vulnérabilité, évidemment causée par les chocs économiques récents, doit être observée dans ses détails afin de permettre des protections plus efficaces. Le Présidence tchèque souhaite accélérer la conclusion d’accords commerciaux internationaux, et améliorer la coopération économique et commerciale avec les Etats-Unis dans le cadre du TTC (Conseil pour le commerce et la technologie). De plus, un approfondissement du marché intérieur en ce qui concerne les services et l’économie digitale est à l’ordre du jour. En ce sens, la Présidence tchèque vise un soutien plus accru à la science, à la recherche et à l’innovation, avec pour objectif l’augmentation de la compétitivité des entreprises européennes.

Enfin, sur la résilience de la démocratie, le fait n’est pas nouveau que l’Union place ses racines dans la démocratie et l’état de droit. Pourtant, les coups portés à ces concepts par certains États membres sont évidents. C’est pour cette raison que la Présidence tchèque considère prioritaire la mise en place d’une transparence sur le financement des partis politiques, la garantie de l’indépendance, du pluralisme et de la liberté de la presse, partout en Europe. H. Hubáčková l’assure : le soutien et le renforcement de la liberté, des droits humains et des valeurs, la sanction des comportements les menaçant, est ce qui différencie l’Union européenne de la Russie de Poutine, et constitue notre point fort.

Une Présidence sous le signe de l’électrochoc géopolitique

Le programme de la Présidence tchèque - qui tire son titre des cinq axes stratégiques - s’intitule : Europe as a Task : Rethink, Rebuild, Repower. Le programme propose d’explorer l’ensemble des points selon les thématiques des Conseils. En raison de son rôle d’Ambassadrice, Hana Hubáčková a évidemment un intérêt à suivre les priorités sectorielles du FAC, le Conseil des affaires étrangères. Ce dernier, outre l’approfondissement du partenariat transatlantique, s’est fixé dans ses objectifs le développement des relations bilatérales avec les pays des régions de l’indopacifique, du Sahel, de l’Europe orientale et caucasienne (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie, Moldavie et Ukraine) et des Balkans occidentaux, avec pour objectif, pour ces derniers, un futur élargissement de l’UE. Les pays qui aspirent au statut d’État membre ne doivent pas être laissés à eux-mêmes, au risque d’un décrochage : ils doivent donc être aidés par l’UE dans leur standardisation vis-à-vis des critères de Copenhague.

Le travail des ambassadeurs est important, considérant que des résultats visibles sont attendus à Bruxelles avant la fin de décembre. Ces travaux sont le résultat de plus de 2000 groupes de travail et de réunions entre diplomates de diverses cultures. La Présidence thèque a prévu 50 réunions de ministres, 320 événements politiques, 14 conseils ministériels informels, une réunion informelle des chefs d’État et de gouvernement à Prague, un sommet de la Communauté politique européenne, le tout suivi par une communication quotidienne disponible sur le site de la Présidence et sur l’ensemble des réseaux sociaux.

Mais l’attention de H. Hubáčková, comme celle de tout Européen et Européenne qui se respecte, ne se limite pas à son propre domaine de compétence. Outre les questions de migration, d’énergie et de défense, la question environnementale occupe le devant de la scène et des développements significatifs sont attendus. Une certaine curiosité se mêle alors à une confiance optimiste quant au Conseil relatif à cette question prévu ce mois d’octobre.

Jusqu’à présent, la République tchèque a exercé son rôle de présidence du Conseil de l’UE en mettant en avant la nécessité d’une Europe unie face aux crises, tentant de se débarrasser de l’étiquette d’un pacte de Visegrad nationaliste. En janvier commencera une nouvelle présidence, celle de la Suède, nouvellement gouvernée par un gouvernement composé des Démocrates de Suède, parti ultra-conservateur et eurosceptique. Pour le bien de l’Union, l’espoir est que la prochaine présidence nous surprenne tout autant.

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