Contre l’Europe à plusieurs vitesses

, par Emma Giraud

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Contre l'Europe à plusieurs vitesses
L’Europe à plusieurs vitesses fait débat - quels sont les arguments pour et contre ce scénario ? CC - European Council

Pour ou contre l’Europe à plusieurs vitesses ? Jean-Claude Juncker et Emmanuel Macron ont chacun une idée bien précise du chemin que l’Union européenne doit prendre pour renforcer son intégration. Nos rédacteurs aussi ! Voici l’opinion d’Emma, qui s’oppose à l’Europe à plusieurs vitesses et appelle à une Europe à la hauteur de nos ambitions.

Face à la lenteur voire l’inexistence de réponses coordonnées des Etats membres aux crises de la dernière décennie, l’intégration différenciée s’est progressivement imposée pour un certain nombre d’acteurs et d’observateurs comme l’option la plus raisonnable dans la perspective d’un futur européen. La prétendue complexification de la prise de décision au sein de l’UE au fil de son élargissement vient étayer cette approche. Surtout, cette voie nous paraît plus accessible dans le temps car en se limitant aux Etats volontaires, elle ouvre la perspective de conclure un accord en quelques années. Pourtant, alors qu’elle existe déjà depuis plusieurs décennies, elle ne semble pas avoir permis de répondre de manière efficace ni pertinente aux défis multiples récents, que ce soit au sein de la zone euro, de l’espace Schengen ou encore pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Une Union élargie et inclusive, certes plus complexe et longue à consolider, mais aussi plus démocratique, puissante et basée sur des règles claires pour tous, semble donc opportune dans le temps long.

Entre le club européen et la cour des grands, seule l’ambition fera la différence

Il ne faut pas se mentir : le leadership des « grands » pays fondateurs, notamment de la France et l’Allemagne, est incontournable sur la scène européenne. Ce sont d’ailleurs eux qui, régulièrement, appellent à relancer l’UE en tentant de mobiliser leurs partenaires autour de leurs propositions. En prenant de la hauteur, on ne peut toutefois que constater l’atténuation progressive mais certaine de leur aura confrontée à l’émergence de nouveaux prétendants mondiaux. Une tendance qui devrait s’accélérer dans les prochaines décennies – y compris dans le scénario d’une Europe à 27. [1] Or, la fusion – plus que l’agrégation – de l’influence des 27 propulserait potentiellement l’UE parmi ces prétendants.

Pour cela, il faudrait miser davantage sur la complémentarité des avantages comparatifs des Etats membres (industrie, agriculture, accès maritime, numérique, défense, etc.) qui ne sont pas toujours estimés à leur juste valeur, en fonction de l’ancienneté et de la taille de l’Etat membre. Ce serait également l’opportunité de déplacer la compétition latente entre pays européens vers la scène internationale, entre l’UE et ses concurrents mondiaux (Etats-Unis, Chine, Inde, etc.). Entretenir un entre soi européen potentiellement néfaste ou propulser l’Europe au rang des leaders mondiaux pour les prochaines décennies, il est temps de choisir.

Le temps des concessions et de la réciprocité

L’initiative de relance du projet européen qui aura un impact décisif pour l’avenir de l’UE et de ses membres sera celle qui réussira à convaincre le maximum de pays de la rejoindre. Tout en reconnaissant la complémentarité de la France et de l’Allemagne et leurs capacités à stimuler la construction européenne, la réalité proche – 27 pays, dont 13 d’entre eux (soit presque la moitié) sont intégrés depuis maintenant plus de 10 ans – impose de dépasser cette conception binaire en faveur d’une représentation plus équitable des intérêts en Europe.

En écho, les Etats membres plus récemment intégrés devront à leur tour accepter de faire des concessions en cohérence avec l’évolution de leur statut sur la scène européenne. Or, plusieurs d’entre eux se sont déjà montrés volontaires pour s’engager dans cette voie, en particulier au sujet de la révision de la directive sur les travailleurs détachés – y compris la Pologne, quoiqu’avec quelques réserves. [2] Reste donc à élargir ce dialogue dans les prochains mois et prochaines années, pour éventuellement déboucher sur un consensus ambitieux, garanti par un engagement réciproque des Etats, afin de donner une chance à l’Europe de convertir sa puissance en actes.

Les conditions et opportunités (non-exhaustives) d’une Europe élargie

Au-delà des arguments habituels et loin d’envisager une intégration par la force, les propositions détaillées ci-après pourraient être favorables à créer ou renforcer des points de convergence entre les Etats. Premièrement, il faudrait remédier à la sous-représentation à la tête des institutions européennes des 13 derniers pays entrés dans l’UE (élargissements de 2004, 2007 et 2013) pour légitimer leur statut et les inclure davantage dans le projet européen. Dans le système élargi actuel des institutions, seul Donald Tusk, président du Conseil européen, est issu d’un de ces pays (Pologne). [3]

Deuxièmement, les Etats membres doivent assumer leur statut et les responsabilités qui en découlent pour trouver des solutions politiques aux conflits et crises qui tiraillent aujourd’hui l’Union. En effet, les seules options institutionnelle et juridique ont montré leurs limites en termes de légitimité, de démocratie et d’efficacité. L’article 7 du Traité sur l’Union européenne ou encore les statuts de la Banque Centrale Européenne ne doivent plus être des prétextes pour repousser l’échéance d’une prise de position politique, collective et claire.

Dans une perspective de plus long-terme, il serait pertinent d’engager une révision en profondeur de la politique de cohésion et des programmes de fonds européens pour être en mesure de faire face aux défis futurs, de prendre en compte les nouveaux modes de gouvernance et surtout d’encourager en pratique la convergence économique et sociale des Etats membres par le haut. En parallèle, un défi majeur à relever réside dans la sensibilisation des citoyens partout en Europe à une histoire et à une culture européenne, non pas unique mais commune, dont l’émergence a été permise et l’existence est enrichie par les rencontres des spécificités nationales, régionales et locales. Une dimension largement négligée aujourd’hui, alors que l’affirmation et la légitimation d’une identité européenne partagée sont un des fondements d’un projet voulu commun.

Plus qu’une fin en soi, une Europe à « géométrie variable » peut éventuellement être envisagée comme un moyen de court/moyen-terme (dont la pertinence reste à prouver) en vue de s’adapter aux difficultés conjoncturelles. La tentation d’une intégration différenciée durable car plus accessible aurait pour effet d’engendrer la formation d’un « gruppetto », éternellement en quête de rattraper son retard croissant sur un peloton amoindri, ainsi que d’amplifier leur concurrence. Bien au contraire, une convergence des Etats membres doit être encouragée sur le long terme pour générer une puissance collective et crédible. Plutôt que d’imposer un modèle unique qui conduirait à une intégration par défaut voire à un échec, il est essentiel de rééquilibrer la représentation des intérêts et caractéristiques entre les Etats membres. Cette étape est indispensable en vue d’identifier les arguments et éléments de discussion qui aideront à convaincre et à trouver un consensus vers une Union digne de ce nom. Car à vouloir superposer les groupes, on disperse les forces. A trop casser le rythme, la lassitude finit par prendre le pas sur la détermination.

Notes

[1PwC. « The long view : how will the global economic order change by 2050 ?”, The World in 2050. February 2017. Commentaires en français : Théobald, Marie. « Quelles seront les grandes puissances économiques en 2050 ? », Le Figaro, 10 février 2017

[2Euractiv avec l’AFP. « La Pologne cède en partie sur les travailleurs détachés », 6 septembre 2017

[3Sans tenir compte de la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne

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