De Bruxelles à Belfast : 50 ans d’engagement européen pour la paix en Irlande du Nord

, par Léna Olivier

De Bruxelles à Belfast : 50 ans d'engagement européen pour la paix en Irlande du Nord
Photo de Eric Jones (©wikicommons) Affiche anti-Brexit aux abords de la frontière entre l’Irlande du Nord et l’Irlande

L’Irlande du Nord a toujours été un territoire européen un peu à part, tiraillé entre l’appel de la réunification et la loyauté envers le Royaume-Uni. L’Union Européenne, à partir de 1974, y a été un acteur de paix. Mais le Brexit en 2017 a ravivé les tensions entre unionistes et républicains, plaçant l’Union européenne au cœur du conflit nord-irlandais.

Un territoire sous tension

Aux sources du conflit nord-irlandais se trouve la guerre d’indépendance (1919-1921), d’abord motivée par le désir d’émancipation de l’Irlande vis-à-vis des Britanniques. Après plus de deux ans de guerre, en décembre 1921, le traité anglo-irlandais dit Traité de Londres est signé entre les représentants du gouvernement britannique et les chefs de file irlandais. Si le texte prévoit la création d’un État libre d’Irlande, l’Irlande du Nord reste elle sous la souveraineté du Royaume-Uni.

Cette partition est le résultat d’un compromis pour apaiser les habitants des six comtés composant l’Irlande du Nord, majoritairement protestants et unionistes. Néanmois, elle exacerbe en réalité les divisions à la fois politiques et religieuses. Celles-ci finissent par éclater au grand jour à la fin des années 1960. Les catholiques d’Irlande du Nord, alors discriminés, lancent un mouvement pour les droits civiques qui dégénère rapidement en guérilla menée par l’organisation paramilitaire IRA (l’Armée républicaine irlandaise/Irish Republican Army) contre les forces britanniques et les institutions nord-irlandaises. En réponse, les groupes paramilitaires unionistes dont les Force volontaire d’Ulster (UVF/Ulster Volunteer Force) ripostent à ces attaques. Le gouvernement britannique fait intervenir l’armée, intervention qui dégénère notamment lors du tristement célèbre Bloody Sunday, le 30 janvier 1972. Alors qu’une marche pour les droits civiques est organisée à Derry, au nord-ouest de Belfast, les soldats britanniques du premier bataillon parachutiste ouvrent le feu sur la foule, tuant quatorze personnes non armées.

L’Union européenne au cœur du processus de paix nord-irlandais

Dès l’adhésion en 1973 du Royaume-Uni et de l’Irlande à la Communauté Économique Européenne (CEE), le conflit nord-irlandais commence à s’européaniser. La question nord-irlandaise est pour la première fois discutée au Parlement européen en 1980. En 1984, il commandite le rapport Haagerup pour approfondir sa connaissance du conflit politique. Après la signature de l’accord anglo-irlandais, destiné à renforcer la coopération entre l’Irlande et le Royaume-Uni, l’Union européenne profite de ce climat politique favorable pour lancer le programme INTERREG. Ce programme a pour but de favoriser la coopération transfrontalière par le biais de la société civile à travers des fonds structurels. Cependant, l’investissement local est faible et les deux versions successives du programme restent globalement un échec. Si les nationalistes perçoivent favorablement toute initiative de coopération, les unionistes y sont plus réticents. Ils craignent que la coopération avec la République d’Irlande soit un moyen caché de placer l’Irlande du Nord dans le giron de l’Irlande unie.

C’est après le cessez-le-feu de 1994 que l’Union européenne aura un réel impact dans la situation politique nord-irlandaise. La Commission lance en 1995 le programme PEACE I, un outil permettant d’appuyer les efforts politiques de réconciliation. Sur les recommandations d’un groupe de travail spécial,le Conseil européen d’Essen en 1994 approuve le programme . Officiellement lancé en juillet de l’année suivante, il dispose d’un budget conséquent de plus de 667 millions d’euros. Sur la forme, son approche est similaire à celle de son prédécesseur INTERREG : le but étant de favoriser l’engagement des acteurs locaux, tels que les associations ou les entreprises locales. Après PEACE I, d’autres suivront, toujours sur le même modèle.

Il est impossible de lister toutes les actions menées depuis 1995, tant elles sont nombreuses et diverses. Sans doute le projet le plus symbolique est la construction d’un pont à Derry/Londonderry appelé le PEACE Bridge sous l’égide sur programme PEACE III. Il permet désormais aux habitants de traverser la rivière Foyle, qui, durant les Troubles (autre appellation du conflit nord-irlandais), agissait comme une barrière naturelle, séparant catholiques et protestants.

Le « Peace Bridge » (« Pont de la paix ») à Derry en Irlande du Nord
Giorgio Galeotti (©wikicommons)

Le Brexit : semeur d’incertitudes

En 2017, le Brexit vient faire exploser le fragile équilibre trouvé depuis les accords de paix. Le Brexit met en effet à mal l’un des piliers de l’accord du Vendredi Saint ratifié en 1998 par Londres et Dublin : l’absence de frontière physique entre les deux Irlande. Désormais, l’idée de voir réapparaitre des postes frontières entre les deux pays inquiète et rappelle les Irlandais à de douloureux souvenirs. Rapidement, il apparaît que remettre une frontière physique entre les deux territoires est l’assurance de raviver le conflit entre unionistes et nationalistes.

Que faire alors ? Les négociations entre Bruxelles et le Royaume-Uni aboutissent en octobre 2019 au protocole nord-irlandais. Mais la solution trouvée est bancale et problématique. Avec le protocole, l’Irlande du Nord reste soumise aux règles de l’Union européenne en matière de marchandises et de douanes. Concrètement, les marchandises en provenance du Royaume-Uni sont contrôlées dans les ports nord-irlandais avant d’entrer dans le marché européen. Pour les unionistes, c’est une aberration à la fois politique et économique. Pour eux, l’Irlande du Nord se retrouve désormais coupée du reste du Royaume-Uni. Des émeutes éclatent alors au printemps 2021. Parties de la ville de Derry, elles s’étendent rapidement à l’ouest de Belfast et sont accentuées par la victoire historique aux élections législatives de 2022 du Sinn Fein, le parti nationaliste. Ces violences font plus de 50 blessés dans la police.

En 2023, est signé le « cadre de Windsor », de nature à rassurer les unionistes. Il vient modifier le protocole nord-irlandais de 2019 en allégeant les contrôles douaniers. Les marchandises arrivant du Royaume-Uni et à destination du marché nord-irlandais ne seront plus soumises aux mêmes contrôles. Seules celles destinées à la République d’Irlande continueront à être contrôlées comme auparavant.

Et maintenant …

Le Brexit est désormais bien installé et, bien que l’Irlande du Nord ait quitté l’Union européenne, elle continue malgré tout de bénéficier du soutien de celle-ci. Dans la lignée des précédents programmes PEACE, le programme PEACE PLUS, lancé en 2021, s’étendra jusqu’en 2027 avec un financement conjoint européen, britannique et irlandais à hauteur d’un milliard d’euros. Malgré le Brexit, l’Union Européenne reste un acteur clé en Irlande du Nord, continuant à bâtir des ponts pour un avenir de paix et de réconciliation. Mais pour combien de temps encore ?

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