Récit d’un Français en Amérique, par une Américaine en France
En 1830 quand Alexis de Tocqueville avait 25 ans, le Roi Louis-Philippe a envoyé l’aristocrate français aux Etats-Unis pour étudier leur système carcéral. Il a passé un an à voyager en Amérique en poursuivant son intérêt pour le système politique de ce nouveau pays. Avec l’intention de contribuer à l’éducation politique de ses compatriotes, il a écrit deux grands tomes de De La Démocratie en Amérique, qui ont eu un succès immédiat et qui sont encore aujourd’hui étudiés.
Il y a deux siècles, les idées de liberté et d’égalité avaient été considérés complémentaires, et des penseurs comme Rousseau ont cru que tant qu’un Etat est géré par la volonté collective du peuple, il ne risquait pas de tomber dans la tyrannie. Tocqueville a étudié une démocratie américaine où ces idées étaient devenues une réalité politique. Il se demanda alors si un régime démocratique où le peuple est devenu son propre souverain pouvait, lui aussi, être perméable à l’inégalité. Il a constaté que dans le nouvel ordre politique de la France et des Etats-Unis, il y a une nouvelle menace à la liberté : le pouvoir incontrôlé de la bourgeoisie. Dans un système aristocratique, le roi avait la contre-puissance de la noblesse, alors
que dans ces nouvelles démocraties on ne pouvait avoir une contre-puissance à “la volonté du peuple”. Pour répondre à ce problème, Montesquieu disait que la séparation des institutions politiques permettait de prévenir l’abus de pouvoir ; mais Tocqueville n’était pas convaincu qu’une solution institutionnelle suffirait. La question que son livre traite est le problème de la politique dans un âge de démocratie : Comment faire le “gouvernement du peuple” sans risquer la “tyrannie de la majorité” ?
C’est peut-être la mission politique de notre époque que de construire un système juste qui réponde à cette question. La montée de l’extrême droite partout dans le monde et l’imminent deuxième mandat d’une administration Trump aux Etats-Unis nous ramène à la question de Tocqueville. Elles nous obligent à nous demander comment éviter que les choix du peuple faillissent à protéger notre démocratie.
Les effets politiques de l’incertitude
Quelques siècles après Tocqueville, en 2023, Kevin Casas, secrétaire général de l’Institute for International Democracy and Electoral Assistance (IDEA), dénonçait l’incertitude comme “kryptonite démocratique”.
Casas évoque ainsi les changements qui traversent notre époque et qui sont sources d’incertitudes : le réchauffement climatique, l’intelligence artificielle, et les métamorphoses sociétales. Casas explique que l’incertitude nous rend anxieux, ce qui nous pousse à réagir comme des enfants, à courir dans les bras d’une figure autoritaire et apte à nous rassurer. Selon lui, cette sensation d’anxiété est une des causes pour lesquelles l’adhésion à la démocratie se détériore rapidement chez les générations les plus jeunes.
Il est impossible d’éradiquer ces sources d’incertitude. Si on veut sauver les démocraties, dit Casas, il faut repenser les contrats sociaux qui ont été théorisés par les penseurs du siècle des Lumières. Ces contrats sociaux consistent en des droits et obligations qui lient les citoyens à leurs institutions politiques. Il s’agit en quelques sortes de l’ossature d’une démocratie. En 1941, Franklin D. Roosevelt a évoqué ces libertés et a déclaré que l’État doit aussi libérer ces peuples de la peur. Il estimait que le contrat social hérité des Lumières, qui était principalement axé sur l’équilibre des pouvoirs, devait être révisé pour répondre aux nouvelles crises de notre société. Pour Casas, cette révision doit se manifester en termes pratiques tels que la mise en place effective de services publics.
De la Démocratie...
Cette année j’ai voté pour la première fois à une élection présidentielle, envoyant mon bulletin par la poste depuis la France vers les Etats-Unis. Je n’étais pas la seule à être déçue et surprise quand j’ai vu que la majorité des citoyens de mon pays avaient choisi de vivre le deuxième mandat d’un apprenti autocrate.
Stagiaire pour les Jeunes Européens Strasbourg, j’ai appris à mieux connaître la société et la politique française et européenne tandis que mon propre pays a basculé vers l’inconnu. Tocqueville est venu aux Etats-Unis pour découvrir comment notre démocratie s’est développée dans le respect et la liberté, alors que son pays natal était enfermé dans la violente et éphémère Première République. Il a considéré que c’était le sort de la France, de l’Europe - et à terme du monde - que de cultiver les valeurs démocratiques.
En France, j’ai été exposé à la lutte pour une Europe fédérale, encore une autre nouvelle forme possible de démocratie. J’ai aussi vécu le contrat social français. J’ai vu ces personnes qui savent que si elles tombent malades, elles peuvent aller chez le médecin pour un prix abordable ; que leurs enfants peuvent poursuivre leurs études, et qu’en cas de chômage, dans tout le pays ils peuvent bénéficier d’une aide de l’Etat pendant qu’ils cherchent un nouvel emploi.
L’anxiété généralisée dans ce pays est moindre que ce à quoi je suis habituée. En prenant l’exemple de Tocqueville, nous devons comprendre les incertitudes et y répondre en renégociant en citoyens notre contrat social. Par le débat, par l’inspiration, par le compromis, par le renouveau de nos démocraties.
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