L’essoufflement programmé du multilatéralisme en matière de défense
Le multilatéralisme est une forme institutionnelle de coopération entre trois Etats ou plus qui s’accordent sur une conduite donnée en vue d’accomplir ensemble des objectifs déterminés. Pourtant, à l’aune des questions militaires, régulièrement invitées au centre des relations internationales, le multilatéralisme en matière de défense peine à être efficace car l’obtention d’intérêts convergents est souvent délicate. La fraction du bénéfice collectif reçue diminue à mesure que la taille du groupe augmente [1] car les groupes plus nombreux sont moins susceptibles de manifester une interaction stratégique qu’en petits groupes. Plus le nombre de membres devient élevé, plus les compromis sont nécessaires pour aboutir à une position commune. Cela conduit souvent à des négociations étendues avec des résultats minimes.
L’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et l’Union européenne (UE) n’échappent pas à ces logiques ; avec respectivement 29 et 28 Etats membres, leur lenteur institutionnelle et la diversité des priorités de leurs membres freinent la formulation d’une réaction rapide face aux crises internationales. La multitude de réponses étatiques qui ont fleuri à l’orée du conflit ukrainien en 2014 ont mis en exergue les difficultés rencontrées par l’Union. L’asymétrie qui règne entre les Etats membres des Balkans et ceux de l’Ouest pour prendre au sérieux la menace russe est une belle image des contrastes stratégiques actuels. Le sommet de l’OTAN de Juillet 2018, marqué par les déclarations ardentes du président américain sur les budgets de dépense, est également une illustration judicieuse de ces divergences. Alors que l’Europe est de longue date lovée dans sa position de dépendance militaire vis-à-vis des Etats-Unis, ces derniers, désormais tourné vers l’Asie, réclament des Etats européens qu’ils augmentent leur implication économique dans le secteur de la défense. Les aspérités stratégiques qui existent dans les enceintes trop élargies ainsi que la nécessité de formuler des réponses efficaces et rapides aux défis géopolitiques expliquent certainement qu’un nouvel élan pour des collaborations plus étroites aient le vent en poupe.
La respiration offerte par un cadre plus étroit de coopération dans le domaine militaire
Dans le contexte d’un enthousiasme réduit pour les coopérations multilatérales, les Etats n’ont cependant pas cessé de collaborer entre eux dans le domaine militaire. Simplement ils privilégient une approche plus pragmatique grâce à des structures collaboratives plus resserrées ; celles-ci offrent aux Etats qui le désirent un engagement à la carte en matière de défense. Généralement constituées d’un groupe restreint de participants, elles sont régies par l’intergouvernementalité, flexibles et sur le fond, vouées à des questions opérationnelles, industrielles ou capacitaires.
Depuis 2008, le contexte économique en Europe a mené à une baisse générale des budgets de défense tant pour des raisons financières que d’opinion publique. Il en découle que pour plusieurs raisons, des relations plus restreintes en matière industrielle ont trouvé un terreau propice à leur développement. Les coalitions à grande échelle restent freinées par la réticence stratégique des Etats à partager leurs connaissances dans certains secteurs sensibles tels que les constructions navales, la furtivité, ou les technologies balistiques. Aussi, la possibilité de réaliser des économies d’échelle via la mise en commun des moyens et la suppression des doublons capacitaires a trouvé grâce auprès de ses potentiels participants. La Commission européenne en a fait l’axe de bataille de sa communication concomitamment à la création de la coopération structurée permanente en 2017. Il s’agit d’insister sur les bénéfices économiques et techniques apportés par une harmonie au sein de l’UE des matériels militaires, tels que pour les forces aériennes, les engins de combat au sol etc. Les mêmes éléments de langage ont été repris plus récemment par le Parlement européen en juillet 2018 lors de l’approbation à la création du Fonds européen de défense.
Au niveau bilatéral, l’on peut citer le partenariat franco-allemand annoncé le 13 juillet 2017 pour l’élaboration d’un nouvel avion de chasse destiné à remplacer ceux des flottes françaises et allemandes, avec l’objectif supposé de pourvoir à terme l’ensemble des flottes aériennes européennes. A une échelle plus élargie, la France a lancé en juin 2018, l’initiative européenne d’intervention. Elle regroupe neuf membres participants, ne dépend ni de l’OTAN ni de l’UE et vise à former une force commune d’intervention rapide. Egalement, les pays nordiques (Danemark, Suède, Finlande, Islande, Norvège et Suède) ont formé en 2009 une structure collaborative, la Nordic Defence Cooperation (NORDEFCO) afin d’identifier des projets pour améliorer l’interopérabilité stratégique de ces Etats. Au-delà de ces avancées, la CSP, par sa nature, apparaît comme une structure susceptible d’être dans le futur, la pierre angulaire de toute relation en matière militaire entre les Etats membres.
La sculpture d’un nouveau modèle de coopération militaire : la CSP
Sans être une réelle surprise, la colonne vertébrale de la CSP est animée par une certaine flexibilité où préside un système largement intergouvernemental. L’intégrer repose sur le volontariat de ses participants et aucun critère de nature militaire n’en conditionne l’accès. Jusque-là, 17 projets susceptibles être profitables aux Etats membres ont été identifiés, parmi lesquels, notamment, la facilitation de la mobilité militaire, l’amélioration de la surveillance maritime, l’instauration d’un commandement médical européen. Pour chacun d’entre eux, les Etats membres à la CSP peuvent adopter le statut de participant, d’observateur ou décider de n’en faire pas partie.
Comme le montre ce graphique issu de POLITICO, en l’état des choses, tous les Etats participants à la CSP ont intégré un projet de coopération. L’Italie en tête, sera impliquée dans 16 projets, sept pour l’Allemagne, quatre pour la France. En comptabilisant ces données sans prendre en compte le statut d’observateur, il existe un total de 121 participations (104 avec le statut de « Participant » et 17 de « Lead ») à travers les 25 Etats intégrés à la CSP sur les 17 projets présentés. Cela aboutit à une moyenne de 7.11 participants par initiatives identifiées. Cette statistique pourra être rehaussée si certains gouvernements abandonnent leur statut d’observateur pour prendre activement part à un projet.
Aux 17 premiers projets identifiés en mars 2018, de nouveaux seront présentés à la fin de cette même année selon l’European Union Institute for Security Studies (EUISS). La CSP servira donc de plate-forme tournante à la coopération multilatérale en matière militaire au sein de l’Union européenne. Elle amènera un cadre de travail plus pragmatique puisque le nombre réduit de membres permettra d’aboutir, par le biais de positions communes moins consensuelles, à des avancées plus efficaces dans des délais plus courts.
La CSP répond donc dans la forme à la nécessité fondamentale d’automatiser les discussions, et idéalement des évolutions en matière de défense. Sans commune mesure avec les coopérations renforcées existantes dans d’autres domaines, cette nouvelle initiative offre une approche inédite, sous la forme d’avant-gardes multiples, chacune étant chargée de progresser dans son champ d’action. Les suggestions qui seront régulièrement formulées par l’Examen annuel coordonné en matière de défense (CARD) offriront un cadre mélioratif permanent ; la CSP serait donc grâce à la constance de ces propositions d’innovation, capable de se réinventer sans cesse. Si les projets proposés apparaissent aujourd’hui modestes, très précis, techniques et peu risqués sur le plan politique, tout augure que dans le futur, des initiatives plus ambitieuses sortiront du magma de la confiance engrangée jusqu’alors. La nouvelle toile posée par la CSP sur le chevalet des relations multilatérales en matière militaire apparaît donc en mesure d’offrir une palette de couleurs susceptibles d’adapter le modèle actuel aux caractéristiques propres des questions de défense.
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