Cherchant à balayer les innombrables vicissitudes européennes, le rapport Verhofstadt est l’une des seules bouffées d’air frais face à la morosité et au cynisme ambiant. Ce projet développe en particulier 11 propositions plus ou moins ambitieuses pour un renouveau de l’équilibre institutionnel européen (entre la Commission, le Parlement et le Conseil).
Ce dépoussiérage pourrait bien être fédéraliste, même si l’avenir de ces propositions est grandement incertain et de nombreuses propositions seront très vite passées au vitriol et oubliées dans les couloirs du temps. Axées sur les institutions existantes, ces propositions défendent également une réforme institutionnelle de la gouvernance de la zone euro.
Vers une transformation de la commission en véritable gouvernement européen
Le rapport invite à une redéfinition de la Commission européenne comme véritable gouvernement européen, seul organe détenant le pouvoir exécutif. Cette proposition est déterminante pour donner une orientation fédérale à l’Union. Mais avant toute chose, elle permet de renforcer la démocratie européenne, qui passe par « la méthode de l’Union », et son corollaire, si souvent oublié en Europe, la responsabilité. D’une part en voulant réduire le nombre de commissaires à un nombre inférieur à celui des pays membres, Guy Verhofstadt souhaite renforcer la prise en compte de l’intérêt de l’Union et la création d’un véritable espace public européen. Cette modification, déjà prévue dans le traité de Lisbonne, permettra d’en finir avec les logiques nationales dans la formation de la commission. Ainsi, elle permettra de garantir la prise en charge de l’intérêt général de l’Union et l’efficacité de l’exécutif, donnant alors une véritable orientation politique à cet organe. D’autre part, avec la confirmation du Spitzenkandidaten (système dans lequel les partis européens désignent leur candidat pour devenir président de la Commission en cas de victoire aux élections européennes), le rapport promeut l’aspect gouvernemental de la Commission, dans son lien avec le Parlement. Il y a une progression de la transparence et de la démocratie dans le choix du président de la Commission et une affirmation d’un espace politique européen qui se retrouve également dans l’évolution du Parlement européen.
L’évolution du Parlement européen vers le modèle du Bundestag
Le maintien du système précédent est amplifié par la réforme envisagée des élections au Parlement européen. Suivant le modèle allemand de la double voix, un citoyen européen serait ainsi amené à voter en même temps pour des représentants élus au niveau régional ou national mais aussi pour une liste au niveau de l’ensemble de l’Union dont la tête de liste serait le candidat à la présidence de la Commission à l’image des autres démocraties parlementaires. Cette proposition que l’on retrouve régulièrement dans les positions fédéralistes serait un formidable accélérateur pour la construction d’un véritable espace public et politique européen. Cela permettrait de donner à la fois des partis forts au niveau européen, des visages politiques européens mais aussi de véritables projets politiques commun.
Cela renforcerait avant tout le rôle du Parlement et par extension la démocratie dans l’Union, un aspect si souvent attaqué par les eurosceptiques. Mais cela remet aussi au cœur du projet européen le citoyen sans lequel rien ne peut aboutir. Par l’aspect fédéraliste du projet, c’est la souveraineté et la démocratie européenne qui sortiraient victorieuses d’une telle réforme. Le Parlement serait appelé à devenir l’institution centrale comme dans toutes les démocraties représentatives. Le cave se rebiffe enfin !
La pénible réforme du Conseil européen et du Conseil
Il s’agit là, d’une déception attendue du rapport. Prudence et hésitation sont les maître-mots de cette partie. Le Conseil européen dans ce rapport n’est pas appelé à disparaître et le Conseil demeure quasiment inchangé. Il s’agit seulement d’une réforme minimaliste de ces institutions, consistant à un regroupement dans un nouveau conseil : le Conseil des Etats. Il n’est pas question de Sénat à l’Américaine ou d’assemblée de la forme du Bundesrat en Allemagne. L’organe ainsi rénové, renommé et confirmé comme co-législateur reste sensiblement le même : complexe et peu lisible avec une multitude de formations spécialisées. Même s’il perdrait une grande partie de son pouvoir exécutif, il porterait toujours les traces de l’Europe intergouvernementale actuelle. Prudence, puisque c’est à ces institutions que les tontons flingueurs sont les plus attachés, car elles protègent les Etats d’un fédéralisme européen.
La formulation du mode de désignation des représentants dans cette instance est aussi surprenante. En proposant une fausse alternative complexe, avec une origine des représentants en provenance des gouvernements et/ou des parlements nationaux, le rapport élude une orientation plus fédérale et promeut davantage une augmentation cosmétique de la démocratie.
La nécessaire incorporation de la gouvernance de la zone euro au schéma institutionnel de l’Union
Le rapport propose d’incorporer la gestion de la zone Euro dans le système institutionnel de l’Union. Il s’agit ici d’une réforme essentielle et attendue par tous les démocrates, qui permettra de renforcer la place du citoyen dans la définition de la politique de la zone Euro en donnant compétence au Parlement européen. Mais, cette proposition qui s’accompagne de la création d’un ministre européen des Finances, ne reste pas pour le moins surprenante et contradictoire dans sa rédaction avec l’esprit du rapport. Il est affirmé que le Parlement statuera sur les questions monétaires dans une formation ne comprenant pas les députés représentant les Etats n’ayant pas l’Euro. Cela est en contradiction avec le cœur du projet Verhofstadt de mettre fin à l’Europe à géométrie variable par un système développé de membres associés. Cette proposition entérine une certaine institutionnalisation d’une Europe à la carte ou tout du moins à deux vitesses, difficilement conciliable avec le fédéralisme. Toutefois, elle permet de renforcer la démocratie et en ménageant les Etats n’ayant pas l’Euro, elle donne une chance à la proposition de survivre aux débats.
Le plan proposé dans ce rapport est une ouverture vers une fédéralisation prudente et à peine voilée de l’Union européenne. Au centre du projet institutionnel, on retrouve la réforme de l’articulation Commission / Parlement avec la modification des élections européennes. C’est la première pierre de l’édifice fédéral européen. Il faut espérer qu’elle ne sera pas éparpillée par petits bouts, façon puzzle puisque c’est par la fédéralisation que la démocratie progressera.
Si l’esprit est évidement fédéral, Verhofstadt est un politicien d’expérience et habile. Il n’ose pas tout et c’est même à ça qu’on le reconnait. Le programme n’est pas utopique, il ménage les sensibilités nationales et est avant tout pragmatique et progressif. En limitant sa réforme institutionnelle majeure au Parlement et à la Commission, l’ancien Premier Ministre belge cherche à aboutir à un résultat concret. Il sait qu’il n’est pas encore venu le temps de toucher au grisbi mais il ouvre la voie à l’Europe fédérale.
1. Le 11 novembre 2016 à 19:30, par Lucy En réponse à : Des institutions fédéralisées pour plus de démocratie
Je suis une Eurofédéraliste convaincue, sans affiliation politique, simple citoyenne. Et je trouve la montée des nationalismes actuelle extrêmement inquiétante. Peut-être M. Verhofstadt a-t-il raison d’y aller avec prudence. Peut-être faut-il se remettre à pratiquer la politique des petits pas, aussi frustrant que cela puisse être.
Il me semble qu’il ne parle pas de l’idée d’une armée européenne de défense et d’une diplomatie qui lui serait associée. Je pense que ce sujet est pourtant extrêmement pressant. J’aimerais que nos chefs d’Etats persistent dans leurs discussions et trouvent un terrain d’entente. J’avoue que je ne comprends pas trop ce qui les empêche de se mettre d’accord. Nous devons absolument pouvoir nous défendre : c’est bien quelque chose que nous avons tous en commun. Et comme on dit, « l’Union (européenne) fait la force ». Alors pourquoi tant d’hésitations ? Si notre armée européenne existait, nous serions plus efficaces car mieux coordonnés, et nous ferions des économies. De plus, elle serait peut-être suffisamment dissuasive pour que nous n’ayions pas à nous en servir. Et nous serions bien moins exposés qu’aujourd’hui.
Je m’aperçois que j’écris ça alors que nous sommes le 11 novembre, un siècle après la Première guerre mondiale et un an (à 2 jours près) après les Attentats du 13 novembre 2015. Nous devrions parler de paix et de prospérité, et malheureusement, je pense qu’il nous faut parler de défense, de lutte contre le terrorisme et de montée des nationalismes.
2. Le 13 novembre 2016 à 14:43, par Frankie Pérussault En réponse à : Des institutions fédéralisées pour plus de démocratie
Moi non plus, « je ne comprends pas trop ce qui les empêche de se mettre d’accord »
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