Désindustrialisation en Europe : l’urgence d’agir

, par Thomas Alvarez

Désindustrialisation en Europe : l'urgence d'agir
©Unsplash

Autrefois considérée comme l’épicentre de la révolution industrielle, l’Europe connaît depuis plusieurs années un phénomène de désindustrialisation massif, dans un contexte de concurrence internationale accrue. Mais qu’en est-il vraiment de la réalité de cette situation ? Comment l’Europe en est-elle arrivée là ? Quelles sont les solutions pour y remédier ? Décryptage.

La désindustrialisation en Europe : quelques chiffres

Le phénomène de désindustrialisation de l’Europe n’est ni un sentiment ni un fantasme : c’est une réalité. Pour mémoire, la désindustrialisation correspond à la réduction progressive de la part de l’industrie dans la richesse produite par un État ou une région. Ce phénomène s’accompagne généralement d’une importante perte d’emplois dans les secteurs industriels. Ainsi, d’après l’Institut syndical européen, qui se base sur les données d’Eurostat, le nombre de personnes employées dans l’industrie manufacturière a diminué de 853 000 sur le Vieux Continent, entre 2019 et 2023, soit une baisse de 2,6 % des effectifs. Plus largement, la part de l’industrie manufacturière dans l’économie européenne tend à décroître. Elle est passée de 18 % du produit intérieur brut (PIB) du continent en 2000 à seulement 15 % en 2021.

Ces chiffres globaux dissimulent des disparités entre les États membres. En effet, l’industrie européenne est surtout concentrée dans le nord du Vieux Continent, notamment en Allemagne (19 % du PIB en 2021), en Autriche (17 %), en Finlande (15 %) et dans le nord de l’Italie, ainsi que dans les pays d’Europe de l’Est, dont près de 20 % de la richesse produite est liée à l’industrie. Dans le sud du continent, ainsi qu’en France (9 % du PIB en 2021), la part de l’industrie manufacturière dans l’économie a chuté autour de 10 % en moyenne.

Dans les dernières années, la perte des emplois industriels dans les États européens s’est accélérée, avec là encore quelques disparités. Entre 2019 et 2023, la Pologne a perdu 8,4 % de ses effectifs industriels, contre 11,3 % en République tchèque, 8,8 % en Roumanie ou encore 9,4 % en Slovaquie. Sur la même période, la France a perdu 1,7 % de ses emplois dans l’industrie manufacturière, contre 2,3 % en Portugal et 1,6 % en Allemagne. La différence entre les États européens occidentaux et orientaux est particulièrement marquée.

Les principales causes de la désindustrialisation en Europe

Les causes du phénomène de désindustrialisation sont nombreuses : délocalisation des activités, automatisation des tâches industrielles, externalisation de fonctions périphériques à l’industrie (ressources humaines, recherche et développement, marketing, logistique, etc.). De plus, les innovations technologiques ont entraîné des gains de productivité importants, qui se sont accompagnés d’une baisse des prix. La part de l’industrie dans la consommation s’est réduite, facilitant l’émergence d’une économie post-industrielle axée sur les services à haute valeur ajoutée. L’ouverture du Vieux Continent à la mondialisation concurrentielle a d’ailleurs accentué le phénomène, avec la migration des industries vers les pays en voie de développement et les nouvelles puissances économiques, où le coût du travail est plus faible.

Plus récemment, la flambée des prix de l’énergie a fragilisé les industries européennes, avec un doublement de la facture énergétique en 2022 par rapport aux années précédentes. Contrairement aux chocs pétroliers, les chocs gaziers et électriques se diffusent lentement dans l’économie réelle, notamment parce que les contrats énergétiques sont, pour la plupart, basés sur des prix fixés sur plusieurs mois ou des tarifs régulés par les États. Ainsi, les secteurs les plus sensibles aux variations des prix de l’énergie ont été les plus affectés. Par exemple, l’industrie du papier a connu une baisse de 6 % de sa production dans la zone euro en 2022. Dans le même temps, la production des métaux de base a baissé de 7 % et celle de l’industrie chimique de 14 %.

De plus, l’Union européenne se retrouve dépassée par les États concurrents qui pratiquent des subventions publiques massives sur les secteurs innovants. On peut citer par exemple l’Inflation Reduction Act américain, qui subventionne les fabricants de batteries et de véhicules électriques, ou encore les aides publiques chinoises à la fabrication et à l’exportation de panneaux photovoltaïques et autres énergies renouvelables. Ces pratiques nationales affaiblissent la position concurrentielle de l’industrie européenne sur des secteurs d’avenir en forte croissance.

La désindustrialisation en Europe : des solutions

La question de la concurrence est essentielle dans un contexte de mondialisation des échanges commerciaux. Mais comment l’Europe peut-elle être compétitive face à ses concurrents si elle se concentre sur sa concurrence interne ?

La politique européenne de concurrence est une politique sectorielle fédérale, puisque c’est la Commission européenne qui est l’autorité compétente pour réprimer les distorsions à la concurrence affectant le commerce intra-communautaire. Par ailleurs, l’article 3 du Traité sur l’Union européenne évoque une « économie sociale de marché hautement compétitive ». Mais cette politique communautaire de concurrence ne doit en aucun cas entraver les initiatives nationales et collectives d’aide au développement de certaines filières économiques, en particulier les filières industrielles. Ententes entre entreprises issues de divers États membres, subventions publiques pour les secteurs innovants, programmes d’investissement pour relancer certains secteurs d’activité. La politique concurrentielle intra-communautaire doit rester ouverte afin de permettre une relance globale de l’économie industrielle européenne. C’est en ce sens que la Commission a adopté le Règlement général d’exemption par catégorie (RGEC) en 2014, afin d’identifier les secteurs économiques susceptibles de recevoir des aides publiques pour favoriser leur croissance économique. Cette initiative va dans le sens d’un meilleur positionnement concurrentiel du continent vis-à-vis de la Chine et des États-Unis, en se concentrant sur sa concurrence externe plutôt que celle interne.

Mais ce premier mouvement est loin d’être suffisant. Au-delà des régimes d’exception, l’UE devrait se doter d’une véritable stratégie industrielle communautaire, en adéquation avec les compétences des États membres. La Commission européenne devrait se pencher sur un plan global d’orientation des aides publiques vers des filières innovantes, d’incitation à la mise en place de groupements d’entreprises européennes et de simplification des normes qui pèsent sur les entreprises du continent. En parallèle, elle pourrait initier la réflexion sur des zones industrielles régionales, étendues sur plusieurs États membres, en favorisant l’implantation d’une « Sillicon Valley » à l’européenne. Mais là encore, des subventions publiques et des regroupements d’entreprises seraient nécessaires, soutenus par la Commission européenne. L’exemple de la réussite d’Airbus devrait d’ailleurs nous inspirer en ce sens.

Un exemple d’industrie européenne à rendre plus compétitive est le secteur automobile. Comme le rappelle Zach Meyers, chercheur au Centre of European Reform : « l’UE est aujourd’hui un important exportateur de véhicules à moteur, exportant environ la moitié de sa production totale et générant un excédent commercial annuel de 79,5 milliards d’euros. L’industrie automobile est également un employeur majeur en Europe. L’UE a déjà perdu son avance dans les panneaux solaires à cause des énormes subventions de la Chine, et ne veut pas perdre une autre industrie verte », celle des véhicules électriques. L’Europe dispose de toutes les cartes en main pour se doter d’une politique industrielle collective, en s’appuyant sur son précieux savoir-faire acquis au fil de sa longue histoire.

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