Six ans ont passé depuis la faillite de Lehman Brothers, qui a déclenché la crise financière mondiale. Pourtant, la zone euro est la seule région du monde où la croissance reste molle. En effet, les données publiées cet été indiquent que les perspectives économiques restent sombres : au deuxième trimestre, la croissance moyenne de la zone euro était nulle, tout comme celle de la France. Pire encore pour l’Italie et l’Allemagne (oui oui, l’Allemagne !) avec des taux de croissance négatifs. Le chômage ne faiblit pas. Au contraire, il reste très élevé, particulièrement dans le sud de l’Union européenne. Et le spectre de la déflation se fait de plus en plus menaçant.
Étant donné que la solution (l’austérité) choisie pour résoudre le problème (une récession longue et profonde) ne semble pas fonctionner, il serait raisonnable ne serait-ce que d’envisager différentes approches. Draghi a pris soin de ne pas attaquer ouvertement la façon dont la crise a été gérée jusqu’à présent. Néanmoins, lorsqu’on lit entre les lignes pour décrypter le jargon, le message est clair : la composante structurelle du taux de chômage a été surestimée et, vu l’intensité de la crise, la politique de l’offre doit être associée à un incitant fiscal. Certes, le président de la BCE a réaffirmé la nécessité de respecter les paramètres fixés par le tristement célèbre Pacte de stabilité et de croissance. Cependant, les pays disposant d’un champ d’action plus large devraient agir. Ce commentaire était clairement dirigé à l’Allemagne qui rendra cette année son premier budget équilibré depuis sa réunification, malgré un ralentissement de l’économie et un taux d’investissement à son niveau le plus bas depuis des dizaines d’années. Si l’on considère que Mario Draghi a modéré ses propos — ces problèmes n’entrent pas dans le cadre de son mandat —, l’attaque envers l’austérité était plutôt explicite.
Le discours de Draghi est assez proche de celui que le FMI, une institution pas franchement « gauchiste », tient depuis maintenant 18 mois : nous avons gravement sous-estimé les effets récessionnistes des mesures d’austérité des gouvernements. Le FMI a ainsi suggéré de mener des politiques plus propices à la croissance. La Commission européenne semble également prête à ce changement de mentalité : le nouveau président de la Commission, le chrétien-démocrate Jean-Claude Juncker, même s’il a déclaré que l’« assainissement budgétaire » est inévitable, a promis un plan d’investissement de 300 milliards d’euros pour relancer l’économie de la zone euro. Le discours de Mario Draghi et son engagement à mener des politiques monétaires non conventionnelles afin de stimuler la demande prouve que la BCE, ou du moins la majorité des membres de son Comité exécutif, se demande si les programmes d’austérité ne sont pas allés trop loin.
Dès lors, si les trois institutions qui composent l’impopulaire Troïka semblent avoir changé d’avis, les gouvernements européens auront-ils finalement une plus grande marge de manœuvre pour dépenser et aider à relancer l’économie ?
Difficile de faire des prédictions dans de telles affaires, mais il est peu probable que la fin de l’austérité soit au coin de la porte si le changement d’approche à Washington, Bruxelles et Francfort n’est pas suivi à Berlin. Malheureusement, Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances allemand, a rapidement réagi. Quelques jours après ce discours à Jackson Hole, ce dernier a déclaré que les propos de Draghi avaient été « surinterprétés » et que les gouvernements ne peuvent pas sortir de la crise en augmentant leurs dépenses. Le magazine Der Spiegel signale qu’Angela Merkel a même appelé le président de la BCE pour lui demander des explications sur son discours. Alors, les pays de l’« Euroland », la Commission européenne et la BCE parviendront-ils à persuader l’Allemagne qu’il est nécessaire de rendre les règles budgétaires plus flexibles ? Jusqu’à présent, la réponse semble évidemment négative. Il suffit de regarder la situation en France et en Italie pour s’en rendre compte.
Ces deux pays sont les deux plus grands de la zone euro, après l’Allemagne, en terme de population et de PIB. Fait important, leurs gouvernements sont dirigés (en théorie) par des partis sociaux-démocrates. Beaucoup de personnes s’attendaient à ce que le couple Hollande-Renzi contrebalance la chancelière allemande et obtienne des politiques plus équilibrées. Au lieu de cela, le président français vient de remanier son gouvernement et d’écarter le ministre de l’Economie, Arnaud Montebourg, qui a décrit l’austérité comme une obsession allemande, responsable de la prolongation de la récession et de l’augmentation des risques de déflation. De son côté, le premier ministre italien appelait à un assouplissement des règles fiscales de la zone euro tout en se concentrant sur des réformes structurelles, particulièrement sur marché du travail, comme le préconisaient Merkel et Schäuble. Souhaitables ou non, sur le court terme ces réformes seront loin de suffire pour réduire le taux de chômage colossal.
Pour l’essentiel, tant que les lignes directrices de la gestion de la zone euro resteront floues et tant qu’une meilleure coordination des politiques macroéconomiques nationales n’est pas mise en place (ce que Draghi a demandé à plusieurs reprises ces derniers mois), le vide de pouvoir sera naturellement rempli par l’Allemagne, grâce à sa taille et son rôle de première puissance économique du continent. Par conséquent, il sera pratiquement impossible de mener des politiques qui vont au-delà de l’« obsession de la dette publique ».
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