Un discours anticipé
Ce fut un discours sans grande surprise. Il est vrai que chacun qui s’informe sur les actualités de la législation européenne était au courant, ce 13 septembre, du contenu des propos d’Ursula von der Leyen. Les réalisations économiques de l’Union européenne (UE) furent le noyau de son discours. Tout en essayant de rassurer les acteurs économiques, grands comme plus petits, la présidente de la Commission a esquissé un bilan positif de la réindustrialisation sur le territoire de l’Union européenne. Sans omettre d’y ajouter la touche écologique. Statistiques, chiffres ou annonces sur l’économie de l’UE étaient toujours accompagnés d’une dimension climatique, terrain sur lequel l’Union européenne se veut être un leader mondial. Ursula von der Leyen a souhaité que les partenariats économiques se multiplient avec les organisations internationales commerciales ou des Etats, avec dans le viseur, la politique économique agressive de la Chine. Elle a également mentionné l’importance du numérique dans l’avenir de l’Union européenne en souhaitant l’implantation de davantage de start-up sur le territoire européen. Sur le volet politique, un sujet important du discours de la présidente a été l’immigration. Le paquet législatif, actuellement en négociations entre les Etats-membres, veut revoir en profondeur la politique d’asile et d’immigration de l’Union, notamment en répartissant les responsabilités de manière équitable entre Etats membres. Ursula von der Leyen veut “finir le travail”. L’Ukraine s’est évidemment invitée aux débats avec la question du soutien de l’UE au pays en guerre ainsi que la perspective de son intégration future dans l’Union européenne, de même que la Géorgie, les Balkans occidentaux et la Moldavie. Pour finir, il faut citer une courte mention de la volonté de la Commission d’amorcer une nouvelle approche politique avec le continent africain.
Les prémices d’une Union géopolitique européenne selon von der Leyen
En guise d’introduction, Ursula von der Leyen avait cité les grandes avancées de son mandat et parmi elles, “la naissance d’une Union géopolitique”. Mais dans le contenu du discours, cette “Union géopolitique” a largement été reléguée au second rang derrière l’Union économico-écologique. De quelle Union géopolitique parle-t-elle ? Une définition en trois axes : le soutien à l’Ukraine contre la Russie, l’opposition à la Chine et la construction de partenariats. Voilà donc les trois piliers de ce que les responsables politiques européens qualifient “d’Union géopolitique”. Mais en y regardant de plus près, ils semblent bien fragiles. En premier lieu, le soutien à l’Ukraine. Celui-ci s’est essentiellement traduit par des transferts de sommes d’argent qui masquent mal une intervention très limitée de la part des autorités de l’Union. De fait, l’architecture juridique permettant à l’UE de réellement intervenir en tant que force politique dans le monde est relativement limitée. Le gel des avoirs russes étaient, en somme, le maximum qu’elles pouvaient faire. Le reste, l’acheminement d’armes par exemple, demeure à la seule portée des États-membres. D’autant que l’UE n’a pas su fédérer de manière unanime les Etats membres dans sa condamnation de l’agression russe. Certains, fortement liés à la Russie, comme la Hongrie, étaient bien moins enthousiastes à l’idée de jeter l’opprobre sur le voisin russe. Que dire par ailleurs de certains Etats candidats à l’adhésion comme la Serbie, toujours fortement enchaînée au grand frère slave. La faute à l’absence d’une réelle communion géopolitique et la présence toujours omniprésente des intérêts fondamentaux des Etats membres.
En deuxième lieu, l’opposition à la Chine se traduit essentiellement sur le terrain économique, par des réponses régulières aux offensives chinoises. Toutefois, la Chine reste sur le terrain économique la plus entrepreneuse et l’UE arrive souvent avec un temps de retard. L’opposition ressemble davantage au combat d’un corps succombant lentement à une maladie. Par ailleurs, faut-il rappeler que certains Etats membres de l’UE ouvrent eux-même leurs portes à la puissance économique de la Chine. La Grèce a notamment permis le rachat du port du Pirée à un groupe chinois. En outre, certains Etats candidats à l’adhésion européenne se sont également pris dans les filets de l’Empire du milieu. C’est le cas dans les Balkans occidentaux. En 2014, le Monténégro avait signé un contrat pour la construction d’une autoroute largement financée par la Chine qui a donné un prêt de plus d’un milliard que le petit Etat ne peut plus rembourser aujourd’hui. Acculé, il a dû se résigner à appeler à l’aide l’organisation à laquelle il souhaite adhérer, l’Union européenne. Une opposition qui peut donc sembler dangereuse en l’absence d’une réelle union politique des Etats membres sur le sujet. Car certains ne sont pas si réticents à laisser la Chine pénétrer leur marché ou racheter leurs infrastructures. Par opportunisme, comme c’est le cas de l’Allemagne dont la Chine est le premier partenaire commercial. Par manque de choix également comme le montre l’exemple du Pirée. Par calcul diplomatique enfin, avec l’exemple de la Hongrie fortement impliquée dans les “nouvelles routes de la soie”.
En troisième et dernier lieu, la construction de partenariats. Si la géopolitique est également une affaire d’économie, la politique ne devrait pas en être absente. Or, les quelques partenariats réellement effectués par l’UE concernent essentiellement des accords de libre-échange, comme le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) avec le Canada. Un accord toujours en suspens faute d’adoption complète. Ursula von der Leyen a en revanche fait une liste d’États ou d’organisations avec lesquelles elle souhaite nouer lesdits partenariats : le MERCOSUR, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les pays d’Asie et l’Afrique. L’Afrique justement. Un sujet abondamment traité dans l’actualité brûlante en raison de multiples coups d’Etat et autres rebondissements des trois dernières années. Or, en décembre 2022, peu avant la présidence française de l’UE, Emmanuel Macron avait mis en avant l’importance de construire un partenariat stratégique avec l’Afrique, l’Union africaine en particulier. Une idée que Ursula von der Leyen reprend donc pour le compte de la Commission européenne, avec pour principale motivation la maîtrise des flux migratoires en passant par l’aide au développement des Etats africains et des accords de surveillance des routes migratoires avec les pays “frontaliers” de l’UE, le Maghreb principalement.
Quelques succès
En cette fin de mandat, quelles réussites peut-on mettre au compteur des autorités politiques européennes en matière de géopolitique ? L’Ukraine s’avère assurément une avancée majeure. Les aides communes de l’Union et celles bilatérales entre les Etats membres et l’Ukraine culminent à quelque 124,07 milliards de dollars en septembre 2023. Cette contribution place l’Union largement devant les Etats-Unis, qui alignent 70 milliards de dollars sur la table. Mais contrairement aux Etats-Unis, ces aides sont principalement dirigées vers la reconstruction du pays ou servent à appuyer la perspective d’adhésion de l’Ukraine à l’UE. L’aide militaire représente à peine 6 milliards d’euros contre 40 milliards pour ce qui concerne l’aide américaine. L’Union appuie donc davantage les perspectives de paix et laisse les Etats membres le libre soin de livrer armes et munitions au pays agressé. Elle parie sur une présence active lors de l’après-guerre, dans l’objectif d’intégrer pleinement l’Ukraine à la communauté européenne et faire en sorte que le pays lui soit redevable de sa santé retrouvée. Conséquence majeure de la guerre en Ukraine, la crise du gaz peut compter parmi les réussites politiques de ce mandat. Utilisant cette énergie vitale pour beaucoup de pays européens, Vladimir Poutine voulait asphyxier les Etats dépendants des importations de gaz russe afin de les désolidariser du soutien européen à l’Ukraine. Mais les Etats membres n’ont pas cédé, certains ont même revu en profondeur leur modèle énergétique, comme l’Allemagne. En outre, la diligence de Bruxelles à fournir les États-membres en gaz par le biais d’achats groupés a permis à certains d’échapper à la pénurie. Non sans susciter quelques réticences de la part de certains pays qui demeurent méfiants quant à l’ingérence de Bruxelles dans leurs affaires nationales, le cas de la Pologne ou des Pays-Bas par exemple.
Quid de la défense européenne ?
Un sujet demeure malheureusement exclu de l’Union géopolitique européenne : la défense. Il fallut en fait que Manfred Weber, chef du groupe PPE (Parti Populaire Européen, droite) plaida après le discours de Mme von der Leyen pour un retour de la défense commune européenne, proposée en 1957, dès 2030, pour entendre parler défense dans l’hémicycle. Seul député a en avoir fait mention durant les débats. Ce pauvre intérêt est pour le moins décevant lorsque l’on parle d’un ensemble géopolitique. Si naissance d’une Union géopolitique il y a, elle ne prend pas en compte la question d’une éventuelle puissance militaire. Un paradoxe lorsque l’on sait que l’Union européenne est la “puissance” qui assure le plus d’opérations extérieures dans le monde et alloue de plus en plus de fonds à la création d’embryons d’armée commune aux vingt-sept Etats souverains la composant. Les outils législatifs et financiers sont disponibles mais le sujet continue de constituer un fil rouge au-delà duquel les Etats membres ne veulent pas passer. En outre, le grand frère américain reste la meilleure garantie de sécurité pour un grand nombre d’Etats membres, particulièrement dans le contexte actuel de reprise des conflits ouverts. Toutefois, les collaborations en la matière se sont multipliées depuis les dernières années. Citons par exemple le système de missiles franco-italiens MAMBA, le char nouvelle génération MGCS ou le SCAF. D’autres collaborations sont en cours, entre la France et l’Espagne en matière de système anti-aérien par exemple. Si celles-ci restent largement dans une logique bilatérale et concurrentielle, elles traduisent néanmoins la volonté de certains Etats membres de mettre en place une réelle coopération en matière de défense pour l’Union européenne. Mais les autorités de Bruxelles ne s’en sont que peu emparées pour le moment, laissant donc ce chapitre inachevé. La faute au partage des compétences entre Etats membres et institutions communes. Par ailleurs, la défense reste un symbole proprement régalien pour les Etats membres qui se refusent donc à céder cette souveraineté à des institutions parfois fortement contestées. Enfin, la présence et l’importance de l’OTAN dans l’architecture sécuritaire européenne empêche la classe politique de réfléchir sous un autre angle que celui imposé par l’Alliance atlantique. Mais cette alliance plus européenne qu’atlantique mériterait d’être repensée afin de laisser une plus grande marge de manœuvre à l’Union européenne afin d’assurer elle-même sa propre défense.
Une Union géopolitique toujours délaissée
En somme, le discours très axé sur les réussites économiques ne veut pas dessiner les plans d’une réelle future Union géopolitique européenne. La qualifier d’une union en gestation est certes le signe d’une certaine ambition mais manque cruellement d’une plus grande volonté politique et de la compréhension des États membres sur le constat suivant : l’Europe n’est plus la puissance qu’elle fut. Ce beau projet qu’est l’Union européenne mérite d’être approfondi sur plusieurs aspects et ne se résume pas, aujourd’hui, à un simple marché libre. Face à ce monde en perpétuel mouvement, l’UE est une réelle chance pour ses Etats membres. Des moyens augmentés et mutualisés, une force commune, un poids plus important sur la scène internationale. Si l’Union européenne veut “répondre à l’appel de l’Histoire” comme la réclamé Ursula von der Leyen, ses composantes doivent penser en européen, imaginer ce que serait l’Union européenne du futur, celle qui assurera une existence à tous ses Etats membres et un poids géopolitique non négligeable, loin du pessimisme du déclassement.
Suivre les commentaires : |