Dix choses à savoir sur l’indépendantisme catalan

, par Théo Boucart

Dix choses à savoir sur l'indépendantisme catalan
Manifestations à Barcelone le 11 septembre 2012, date à laquelle l’indépendance est devenue « inéluctable ». Photo : Claudi Cervelló sur Flickr, licence CC BY-NC-SA 2.0.

GRAND ANGLE. Vendredi 11 septembre, les Catalans fêtent la Diada, leur fête nationale, symbole de leur fierté et de leur identité propre. A cette occasion, Le Taurillon se penche sur l’indépendantisme en Catalogne, une dynamique politique, sociale et culturelle très complexe qui ne saurait se résumer à la tentative avortée de créer une république catalane fin 2017. Voici dix points pour tenter de comprendre l’indépendantisme catalan.

1. L’opposition fondamentale : « Nation catalane » contre « Etat espagnol »

Le principal argument utilisé par les Indépendantistes fait référence à l’antériorité d’une nation et d’un État catalans par rapport à l’union avec l’Espagne. Ainsi, de nombreux leaders catalans arguent du fait que le territoire actuel de la Catalogne formait au milieu du Moyen-Âge le comté de Barcelone, sous suzeraineté capétienne, alors que le reste de la péninsule ibérique était sous domination musulmane. Une preuve irréfutable selon eux de la différence historique et culturelle catalane.

De la même manière, les institutions politiques catalanes sont nées durant la période de la Couronne d’Aragon, dès le XIVème siècle. La Généralité (Generalitat) de Catalogne (la réunion entre les différents corps des Corts, les états généraux) a été fondée dès 1359, soit des siècles avant le rattachement de l’Aragon à l’Espagne. Aujourd’hui encore, les Présidents de la Generalitat moderne font très souvent référence à l’antériorité de la nation et de l’État catalans. Quim Torra se considère d’ailleurs comme son 131ème Président, soulignant le caractère « téléologique » (mais artificiel ?) de l’histoire politique catalane et en faisant abstraction de l’incorporation à l’Espagne, un pays que les Indépendantistes préfèrent nommer « État espagnol », comme pour mieux pointer son caractère artificiel et anti-national.

2. L’indépendance catalane, une revendication tardive

Il serait pour autant erroné de penser que la Catalogne « moderne » (la Communauté autonome refondée en 1979 et dont le Statut a été modifié en 2006) a toujours été indépendantiste. Quand bien même les premiers mouvements indépendantistes aient été fondés dès les années 1920, avec L’Estat Català, les premiers gouvernements autonomes des années 1980, sous le « règne » de Jordi Pujol (1980-2003), se sont bien gardés de proclamer haut et fort leur désire de sécession et ont tenu à se distancier le plus possible de l’activisme violent de l’organisation Terra Lliure, auto-dissoute au début des années 1990.

Ce n’est qu’en 1991 que l’objectif explicite de l’indépendance catalane est apparu dans les statuts d’un parti politique, en l’occurrence la Gauche Républicaine Catalane (ERC). Le parti présidé par Oriol Junqueras (toujours en prison à l’heure actuelle) a ensuite fait pression sur les autres formations politiques régionales. La coalition gouvernementale Convergence et Union (CiU, aujourd’hui disparue) ne s’est officiellement prononcée pour l’indépendance qu’en 2011. La thématique de l’indépendance s’est imposée lors des campagnes électorales l’année suivante, après une manifestation mémorable tenue le 11 septembre 2012. Il est donc important de différencier l’indépendantisme du nationalisme catalan.

3. L’indépendantisme transcende, mais ne fait pas disparaître, les clivages partisans

Preuve d’une réalité politique particulière, la Catalogne compte de nombreux partis politiques, plus que dans le reste de l’Espagne. De « Plateforme pour la Catalogne » (qui a fusionné avec Vox en 2019) à l’extrême-droite, à « Candidature d’Unité Populaire » (CUP) à l’autre extrémité de l’échiquier, en passant, de la droite à la gauche, par le Parti Populaire Catalan (PPC), Ciutadans, Ensemble pour la Catalogne (Junts per Catalunya, la coalition de centre-droit de Carles Puigdemont et de Quim Torra, devenu parti politique en 2020), le Parti des Socialistes de Catalogne (PSC), Gauche Républicaine de Catalogne et Catalunya en Comú–Podem, la vie politique régionale est riche de ses clivages partisans.

Pourtant, s’il ne les fait pas disparaître, l’objectif d’indépendance transcende largement les clivages politiques, en particulier ces dernières années. En vue du référendum de 2017, certains partis politiques ont formé des coalitions pour mieux porter la voix du camp des indépendantistes. Convergence démocratique de Catalogne [1] (le parti de Puigdemont) et l’ERC s’étaient ainsi regroupés dans la coalition Ensemble pour le Oui (Junts pel Si), malgré leurs différences idéologiques. De la même manière, la coalition Gauche républicaine de Catalogne - Catalunya Sí compte actuellement dans ses rangs les Démocrates de Catalogne, d’obédience démocrate chrétienne.

4. Tous les Catalans ne sont pas indépendantistes

L’indépendantisme comme objectif partagé ne signifie pas pour autant que l’ensemble des partis sur l’échiquier catalan soit favorable à celle-ci. En réalité, il existe un débat assez houleux au sein même des élites politiques catalanes. Pour schématiser, les deux principales coalitions politiques actuelles, Ensemble pour la Catalogne (Junts per Catalunya) et la Gauche républicaine de Catalogne - Catalunya Sí, se prononcent clairement pour l’indépendance. Ciutadans et le PPC se positionnent clairement contre, alors que le PSC, dominants dans les années 2000, est partisan d’une fédéralisation de l’Espagne, en donnant plus de pouvoirs à l’ensemble des communautés autonomes.

A l’heure actuelle, Ciutadans, vainqueur des élections générales en décembre 2017, est le principal parti contre l’indépendance, une position longtemps tenue par le PPC. Lors de ces élections, il est arrivé en tête avec plus de 25% des voix, même si les formations indépendantistes ont remporté plus de suffrages en combinant leurs résultats. Il est à noter que les partis pro-indépendance sortent régulièrement gagnants des différents scrutins régionaux depuis le début des années 2010. Les élections de 2020 donneront de nouvelles indications sur les rapports de force, après une années 2019 marquée par la montée en puissance de l’ERC

5. Des indépendantistes très pro-européens

A l’heure actuelle, très peu de militants indépendantistes catalans envisagent la création d’une république catalane en dehors de l’Union européenne. En 1986, année de l’adhésion de l’Espagne à la Communauté européenne, Jordi Pujol a prononcé en Sorbonne une conférence intitulée « la vocation européenne de la Catalogne », dans lequel il a affirmé que « la racine la plus profonde de la différence catalane d’avec l’Espagne, de sa vision différente de l’Europe, c’est précisément qu’à l’inverse du reste de l’Espagne, elle n’a pas de vision différente de l’Europe. La Catalogne, c’est l’Europe ». La même année, la Catalogne a ouvert une représentation permanente à Bruxelles.

Les leaders indépendantistes ont souvent mené des offensives de charme auprès des Institutions européennes pour prôner leur cause. En 2017, à l’issue de la déclaration d’indépendance de la Catalogne et de la riposte de Madrid, Carles Puigdemont avait exhorté l’Europe « de réagir ». Une réaction qui s’est avérée bien décevante pour de nombreux observateurs, notamment de la part du Parlement européen, où siège désormais un Puigdemont en exil.

6. Catalogne et « Pays catalans », deux réalités différentes

La Catalogne en tant qu’entité politique est le centre de la réalité catalane, les militants indépendantistes l’ont bien compris en investissant largement la scène politique de Barcelone et des autres provinces et comarques de la région. Pourtant, il existe une différence entre la Catalogne et les « pays catalans », les territoires de langue et de culture catalanes. La Communauté de Valence, l’archipel des Baléares, la frange orientale catalophone de l’Aragon, la Principauté d’Andorre, la Catalogne du Nord (le Roussillon) et la petite enclave sarde d’Alghero / l’Alguer font ainsi partie de ces « pays catalans », bien utiles aux Indépendantistes lorsqu’ils revendiquent la vitalité de leur langue, notamment sur la scène européenne.

Pourtant, la sensibilisation à l’indépendance connaît des fortunes diverses. Les partis catalans, notamment l’ERC, ont essayé d’implanter des antennes locales dans ces régions. Dans sa déclaration idéologique de 2003, ce parti affirme ses visées « pancatalanistes » et considère que l’ensemble des pays catalanophones font partie de la « nation catalane ». Toutefois, de nombreux militants régionalistes de la Communauté de Valence et des Îles Baléares ne souhaitent pas voir leur région intégrée à un espace politique dominé par la Catalogne. A noter cependant que certains journaux, comme El Punt – Avui, utilisent des cartes des pays catalans pour ainsi créer des représentations mentales chez les lecteurs.

7. Monténégro, Québec, Écosse… une multitude de modèles internationaux

Dans son combat contre le gouvernement central de Madrid, les Indépendantistes catalans ont tenté de s’allier aux nationalistes du Pays Basque et de Galice, en signant notamment une déclaration commune en faveur d’une « confédéralisation » de l’Espagne. Pourtant, les principales sources d’inspiration de l’indépendantisme catalan se situent hors d’Espagne, voire d’Europe.

En fonction des périodes, plusieurs régions ont servi de modèle. En Europe, la sécession pacifique du Monténégro en 2006 après une consultation populaire a souvent été cité en exemple, de même que hors d’Europe, le nationalisme québécois, (le Québec a organisé deux référendums d’autodétermination, en 1980 et 1995, à chaque fois remportés par les Unionistes). Ces dernières années pourtant, c’est l’Ecosse qui attire toute l’attention. De nombreux drapeaux écossais ont été agités lors des grandes manifestations indépendantistes à Barcelone, aux côtés de drapeaux catalans (estelada). En 2014, le Scottish National Party a perdu un référendum sur l’indépendance de la nation britannique. Toutefois, ces consultations ont été organisées avec l’aval de la Serbie, du Canada et du Royaume-Uni. L’Espagne refuse obstinément de négocier une telle issue, ce qui fait dire à certains que seule une déclaration unilatérale de la part du Parlement fonctionnerait, ce qui n’a toutefois pas été le cas en 2017, quand Mariano Rajoy a suspendu les pouvoirs de la Generalitat avec l’article 155 de la Constitution espagnole.

8. La langue catalane, facteur de cristallisation des tensions

Si l’indépendantisme catalan se veut moins « ethnique » que le basque, il n’en demeure pas moins que la langue catalane est un pivot central de l’identité. La révision du Statut d’autonomie de la Generalitat en 2006 a mis au même plan les langues castillane et catalane, affirmant que la compréhension de la langue de Ramon Llull était désormais un « devoir » dans l’administration publique. Les gouvernements nationalistes ont mis en place des politiques linguistiques en faveur du catalan, et sa maîtrise parmi les jeunes générations est plus importante. Lors d’une enquête menée au début des années 2000, il s’est avéré que près de 97% de la population de Catalogne âgée de 15 ans et plus comprenait le catalan (mais que seul 62% pouvait l’écrire).

Pourtant, de nombreuses associations et partis politiques se sont engagés contre cette politique favorisant selon eux beaucoup trop la langue régionale. L’une des associations les plus connues, « Hablamos Español », a été fondée en 2017 dans toute l’Espagne. Le parti Ciutadans est né quant à lui d’une plateforme citoyenne, Ciutadans de Catalunya, créée en 2005 pour dénoncer la politique linguistique du gouvernement régional.

9. Depuis les années 2010, une radicalisation croissante des pro- et anti-indépendance

La montée du sentiment indépendantiste à la fin des années 2000 et au début des années 2010 a provoqué une radicalisation des positions entre deux camps antagonistes. Cette confrontation a commencé en 2010 lorsque le Tribunal constitutionnel espagnol a annulé, à la requête du PPC, une partie des dispositions du Statut d’autonomie de 2006, pourtant soumis à un référendum et ratifié par le Roi d’Espagne. Un fossé entre sympathisants et détracteurs de l’autodétermination qui n’a fait que se renforcer à partir de 2012, date à laquelle la perspective de l’indépendance est devenue « inéluctable » selon les dires d’Artur Mas, Président de la Generalitat de l’époque, et surtout en 2014 et 2017, années de consultations populaires.

Finalement, les principales victimes de la radicalisation croissante des pro- et anti-indépendance sont peut-être bien la démocratie et le débat public pluraliste. Le refus obstiné de Madrid d’avaliser l’organisation d’une consultation populaire, pourtant essentielle dans le processus d’autodétermination du peuple catalan (qu’il soit en faveur ou non de l’indépendance), nuit à la vie démocratique, de même que l’acharnement de nombreux militants pro-indépendance qui n’hésite pas tenter de faire taire, surtout sur les réseaux sociaux, toute voix critique. Il y a quelques mois, nous avions alerté sur l’état irrespirable de la liberté de la presse en Catalogne.

10. Le rôle fondamental de la « société civile » catalane

Comme l’a souligné un grand spécialiste français de la Catalogne, Cyril Trépier, l’indépendantisme catalan n’est pas qu’une affaire de « politique partisane ». Le rôle de la société civile catalane est en effet essentiel pour comprendre les dynamiques. L’Assemblée nationale de Catalogne (ANC) et Òmnium Cultural sont par exemple deux associations dont l’influence politique est considérable. L’ANC est en effet depuis 2012 l’un des organisateurs des grandes manifestations du 11 septembre. Le tissu associatif promouvant l’indépendance est très dense et très divers dans toute la Catalogne.

Durant des dernières décennies, les partis indépendantistes catalans ont également porté une attention toute particulière à l’immigration, surtout extra-européenne. Les personnes venant d’Amérique latine ou encore du Maghreb, particulièrement présente en Catalogne, sont en effet des publics qui intéressent de plus en plus ces partis.

[1] : Convergence démocratique de Catalogne a été remplacé par le Parti démocrate européen catalan (PDeCAT), lui-même membre d’Ensemble pour la Catalogne.

Vos commentaires
  • Le 11 septembre 2020 à 22:29, par Mariona Geli Anglada En réponse à : Dix choses à savoir sur l’indépendantisme catalan

    Je ne comprenne pas ce que vous disez sur la faute de liberté de presse en Catalogne. Il y a en a. Évidement dans les reseaux sociales on dit souvent de betises où on critique, de touts les cotés. Et vous ne disez rien où presque à propos de nos politiciens en prison et beaucoup des procès contre des manifestants etc..Le problème : 40 annés de dictadure franchiste, on a rien netoyé. Les morts du franchisme encore en fossés comunes.

  • Le 11 septembre 2020 à 22:46, par Joan-Eudald Seguí Ylla En réponse à : Dix choses à savoir sur l’indépendantisme catalan

    L’article est faible du point de vue historique, économique et comme analyse des faits les plus récents. Ne pas avertir que la Catalogne voit disparaître le 40% de les impôts payées. Et que le régime vient de faire des inversions pharaoniques et inutiles en œuvres radiales tout à l’entour de Madrid... pendant la Catalogne reste abandonné. Et chaque fois plus de catalans ont embrassé le projet d’indépendance !

  • Le 13 septembre 2020 à 11:09, par Théo Boucart En réponse à : Dix choses à savoir sur l’indépendantisme catalan

    Bonjour, merci pour votre commentaire. Le fait que les réseaux sociaux soient un espace de libre expression n’est aucunement une excuse pour que les extrémistes des deux camps déversent leur haine à coups d’arguments ad hominem et de harcèlement à l’encontre des journalistes. De plus, veuillez garder à l’esprit que cet article se veut synthétique et ne peut pas aborder l’ensemble des facettes d’un problème aussi complexe que l’indépendantisme en Catalogne.

  • Le 13 septembre 2020 à 11:12, par Théo Boucart En réponse à : Dix choses à savoir sur l’indépendantisme catalan

    Bonjour, merci pour votre message. Vous comprendrez bien que cet article se veut synthétique et ne peut pas, par conséquent, aborder en profondeur l’ensemble des facettes d’un problème aussi complexe que l’indépendantisme en Catalogne.

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