Élection du président de la Commission européenne

Une tentative de faire le point sur la question

, par Roger Vancampenhout

Élection du président de la Commission européenne

Le traité de Lisbonne (art. 17, par. 7 TUE) dispose que : En tenant compte des élections au Parlement européen et après avoir procédé aux consultations appropriées, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de Président de la Commission. Ce candidat est élu par le Parlement européen (. . .). Bien que cette disposition du traité fasse deux fois référence aux termes « élections » ou « élu », le président de la Commission n’est élu, ni indirectement, ni a fortiori directement, par les citoyens européens.

Le fait que les « partis politiques européens » présentent des candidat(e)s à la présidence de la Commission serait de nature à « personnaliser » et donc à « politiser », voire à « démocratiser » cette élection. Encore faut-il savoir de quoi l’on parle exactement et, le cas échéant, peser les avantages et les inconvénients d’une telle innovation.

Première observation

Une telle innovation est tout à fait possible sans modification du traité (TL -TUE). Il en eût été autrement, si le projet de l’eurodéputé Andrew DUFF de création de listes transnationales présentées par les « partis politiques européens » avait abouti. Cette réforme a toutefois été bloquée en session plénière du PE et ne devrait donc pas être adoptée avant les élections européennes de 2014.

Deuxième observation

Il faut bien s’entendre sur ce que sont les « partis politiques européens ». Au stade actuel, les « partis politiques européens » sont des regroupements (de type confédéral) de partis nationaux qui ont décidé de se regrouper au niveau européen. Ces structures (dans lesquelles chaque parti garde sa pleine autonomie) sont « doublées » au sein du Parlement européen par des « groupes politiques » dans lesquels se retrouvent les députés élus sur les listes nationales des partis « frères » ou « apparentés ».

Ainsi existent : -* le groupe du PPE (Parti populaire européen), qui regroupe les parlementaires des partis nationaux démocrates-chrétiens et/ou du centre-droit et apparentés et est présidé par Joseph Daul. La plupart de ces partis se sont constitués en « parti politique européen » sous l’appellation identique PPE (sous la présidence actuelle de Wilfried Martens) ;

  • le groupe ASDE ou S&D (Alliance progressiste des socialistes & démocrates du Parlement européen –ex- Alliance des démocrates et progressistes pour l’Europe), qui regroupe les parlementaires des partis socialistes, sociaux-démocrates [1] et apparentés (dont ceux du Parti démocrate italien – PD) et est présidé par Hannes Swoboda. La plupart de ces partis se sont constitués en « parti politique européen », à savoir le PSE (Parti socialiste européen) (sous la présidence actuelle de Sergueï Stanichev [2] ;
  • le groupe ALDE (Alliance des libéraux et démocrates européens) qui regroupe les parlementaires des partis libéraux, du centre et apparentés et est présidé par Guy Verhofstadt. La plupart de ces partis se sont constitués en « parti politique européen » sous l’appellation identique ADLE (sous la présidence actuelle de Graham Watson) ;
  • le groupe Verts-ALE (Verts-Alliance libre européenne), qui regroupe les parlementaires des partis écologistes, verts, régionalistes et apparentés et est co-présidé par Daniel Cohn-Bendit et Rebecca Harms. La plupart de ces partis se sont constitués en « parti politique européen », à savoir le Parti Vert Européen (sous la coprésidence actuelle de Monica Frassoni et Reinhard Buetikofer).

Nous nous bornerons à l’énumération des partis politiques et groupes politiques susmentionnés, parce qu’ils sont les principaux partis/groupes considérés comme « pro-européens » et donc susceptibles de présenter des candidat(e)s à la présidence de la Commission. Rien n’empêche donc ces partis politiques « européens »/groupes politiques du PE de présenter leurs candidats respectifs et de prendre l’engagement de défendre leur candidat(e) devant le Conseil européen, si ce/cette candidat(e) provient du « parti politique européen » / « groupe politique » majoritaire ou encore de défendre le/la candidat(e) provenant d’une éventuelle coalition majoritaire à l’issue des élections de 2014.

Troisième observation

L’on constate que la composition tant des « partis politiques européens » que des « groupes parlementaires » du PE peut être « mouvante », en fonction tant des évolutions et des aléas des politiques nationales que des alliances et regroupements qui suivent les élections du PE. Cependant, le « coeur » (« core ») de ces partis et groupes montre une stabilité suffisante pour justifier leur appui aux candidatures éventuelles à la présidence de la Commission. Les partis politiques nationaux « affiliés » à un « parti politique européen » et/ou représentés dans un « groupe politique » correspondant du PE prendraient l’engagement d’« annoncer » cette candidature dans le cadre de leurs campagnes électorales respectives.

D’ores et déjà, le PSE a annoncé la tenue d’élections primaires en janvier 2014 pour désigner son candidat à la présidence de la Commission : on parle d’ores et déjà de Martin Schulz. Quant au PPE, une dépêche récente de l’Agence Europe indique que le/la candidat(e) serait officiellement présentée en mars 2014, lors du Congrès du PPE les 6 et 7 mars à Dublin, ce qui n’exclut pas que des noms puissent être avancés bien avant. Dans l’intervalle, nous attendons l’annonce des candidatures des autres partis « pro-européens ».

Quatrième observation

En cas de présentation, par chaque grand « parti politique »/groupe parlementaire, d’un(e) candidat(e) à la présidence de la Commission, il se pourrait que l’un-e ou l’autre candidat(e) s’efface au profit d’un(e) autre dans le cadre d’une coalition majoritaire issue des élections (voir Deuxième observation). Tel est en effet le jeu démocratique normal également aux plans nationaux.

Cinquième observation

La « politisation » de la Commission, ou plus exactement de son président, a d’ores et déjà déclenché des controverses.

Controverse n°1 : le débat oppose des interprétations apparemment contradictoires sur la manière dont la Commission « promeut l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin » (art. 17, premier paragraphe du traité de Lisbonne (TL-TUE). Ce débat –nourri par certains « puristes » de l’« impartialité » de la Commission – qui serait placée « au-dessus de tous les intérêts particuliers » - est sans fondement, dans la mesure où une inflexion de ses politiques vers le centre-droit ou vers le centre-gauche n’est pas déterminante. Rappelons que les propositions législatives de la Commission sont, pour la plupart d’entre elles, soumises à la procédure législative ordinaire (ex-procédure de « co-décision ») entre le Conseil de ministres et le Parlement : c’est une majorité parlementaire et la pluralité des positions reflétée par le Conseil qui détermineront le contenu de la décision finale sur la proposition initiale de la Commission.

Pour prendre un exemple qui est encore dans bien des mémoires, la proposition initiale de la Commission en matière de libéralisation des services, dite « proposition de directive Bolkestein », était une proposition à bien des égards « ultralibérale », qui appliquait sans nuance le principe du « pays d’origine », selon lequel un prestataire fournissant des services dans un autre pays européen que le sien était soumis uniquement à la loi de son pays d’origine, avec toutes les conséquences possibles en matière de « dumping social », alors que la Commission de l’époque était largement composée de membres appartenant à des partis de centre-gauche ! C’est le Parlement européen de l’époque qui a profondément transformé la proposition initiale pour la faire adopter. Les mêmes « brouillages » s’observent d’ailleurs dans les jeux politiques nationaux.

Controverse n°2 : celle-ci est nourrie, entre autres, par le président du Conseil européen en personne, Herman Van Rompuy, pour qui (sauf erreur de ma part), l’ « élection » du président de la Commission est une « fausse bonne idée », dans la mesure où elle risquerait de susciter des déceptions et des frustrations, si les politiques et les actions du/de la candidat(e) élu(e) ne répondent pas aux attentes des électeurs et des électrices de son bord.

L’on voit que comme souvent dans les arcanes de l’UE, il suffit que l’un(e) ait une (bonne) idée pour que l’autre y soit contraire. Il n’empêche qu’une telle « élection », à condition qu’elle soit bien gérée par les partis politiques nationaux concernés, ajouterait une dimension « transnationale » aux élections européennes : les candidat-e-s désigné-e-s auraient l’occasion de participer à divers débats nationaux et stimuler ainsi l’intérêt des électrices et des électeurs. [3]

Sixième observation

Il faut enfin mentionner l’idée de certains (dont Michel Barnier) d’une fusion des présidences de la Commission et du Conseil européen. . . (également d’ores et déjà possible sous le traité de Lisbonne). Mais l’on voit mal, à ce stade, le Conseil européen se mettre d’accord sur la réalisation d’une telle idée en vue des prochaines échéances électorales et autres de 2014 : élections européennes en mai, suivies de l’ « élection » du président de la Commission en juillet, et désignation du nouveau président du Conseil européen fin 2014.

Septième observation

Qu’en pensent les citoyen(ne)s ? Selon l’Agence Europe [4] , un récent sondage Eurobaromètre fait apparaître qu’une majorité d’Européens (55 %) irait voter aux élections européennes de mai 2014, si les familles politiques en lice présentaient des candidat(e)s à la présidence de la Commission. 70 % des sondés seraient même favorables à une élection directe du Président de la Commission !

Conclusion : l’ « élection » du Président de la Commission selon les procédures décrites ci-dessus - et sans modification du Traité de Lisbonne - serait une bonne chose pour réduire dans une certaine mesure le « déficit démocratique » de l’UE.

Certes, les citoyennes et les citoyens de l’Union sont sans doute davantage préoccupés par l’issue ou la sortie de l’interminable crise financière, économique et sociale qui frappe tant des leurs que par la procédure et les modalités de l’élection du président de la Commission. Il n’en reste pas moins que la personnalisation de cette élection – dans la mesure où les partis politiques nationaux « pro-européens » annonceraient les noms de ces candidats « transnationaux » durant les campagnes électorales respectives des pays de l’Union – sensibiliserait davantage les citoyennes et citoyens, les inciterait sans doute à voter en plus grand nombre et contribuerait, dans un premier temps, à les voir se réapproprier les enjeux politiques de l’Union européenne.

À la condition que les candidat-e-s proposé-e-s par les partis politiques nationaux et européens annoncent une couleur transnationale et surtout leur engagement à « démocratiser » le processus de décision européen - sans changer les traités à ce stade. Concrètement, cela veut dire, en particulier, s’agissant de la zone euro : rendre les chefs d’Etat et de gouvernement et la Commission, comme tous « exécutifs » qui se respectent et respectent leurs électrices et électeurs, comptables de leurs décisions devant le Parlement européen, qui associerait à cette procédure les représentants des parlements nationaux. Le débat est lancé et va sans nul doute s’intensifier dans les prochaines semaines et les prochains mois . . . . .

PS : Dans une « Carte Blanche » publiée par le journal Le Soir du 4 septembre dernier, Daniel Cohn-Bendit et Félix Marquardtpublient un appel sous le titre « Jeunes (et moins jeunes) d’Europe : unissons-nous » ! Un extrait : « L’Europe ne sera pas transformée par les élections de 2014. L’Europe changera lorsque nous parviendrons à faire élire dans nos élections nationales respectives des hommes et des femmes politiques qui se sentent assez Européens pour accepter de transférer une partie de leur pouvoir aux seules institutions réellement européennes, dans l’esprit comme dans le fonctionnement, à savoir la Commission et le Parlement. Jeunes (et moins jeunes) d’Europe, nous devons faire savoir à nos femmes et à nos hommes politiques nationaux que nous ne croyons plus en leurs vieilles recettes, en leurs discours éculés et en leur vision du monde étroitement nationale (. . . ). Le premier pas est de voter lors des élections de 2014 non pas en tant que Français, Allemands ou Grecs mais en tant qu’Européens. En avant l’Europe ! Maintenant. Ensemble ».

Article publié initialement dans Fédéchoses n° 162

Notes

[1A noter qu’il faut se garder des confusions (plus ou moins entretenues aux niveaux nationaux) entre dénominations similaires. Ainsi a été créé en son temps au Portugal un « parti social-démocrate » qui est en réalité un parti de centre-droit (J.M.D. Barroso en est un illustre membre…)

[2Celui-ci a récemment pris la relève de Poul Nyrup Rasmussen.)

[3Ce point de vue est – d’une manière un peu surprenante - également développé par Sylvie Goulard, dans son dernier livre, Europe : amour ou chambre à part ?, éd. Flammarion.

[4L’AE se réfère à un Eurobaromètre publié vendredi 6 septembre par le Parlement européen.

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