Élections de 1994 : une Europe réunifiée et renouvelée obscurcie par un scrutin en demie-teinte

, par Suzie Holt

Élections de 1994 : une Europe réunifiée et renouvelée obscurcie par un scrutin en demie-teinte
Couverture médiatique le soir des élections européennes de 1994 au Parlement européen à Bruxelles ©Parlement Européen

En juin 1994, les citoyens de l’Union européenne ont élu leurs députés européens pour la 4ème fois de l’histoire. Si aucun pays n’a été intégré aux communautés européennes depuis le dernier scrutin de 1989, la réunification allemande a entraîné l’intégration des Allemands de l’Est à l’ensemble des électeurs européens. Malgré cette réunification, l’Union européenne instaurée par le traité de Maastricht de 1993 ne récolte pas l’enthousiasme citoyen qu’elle espérait.

Nuit du 9 novembre 1989. À Berlin, le mur s’ouvre, les Allemands de l’Est se ruent à l’Ouest. Tous ensemble, citoyens des deux côtés de l’Allemagne, ils entreprennent de détruire la frontière qui les a séparés pendant près de 30 ans. Cet événement marque le début de l’espoir d’une réunification allemande.

Réunification allemande, (ré)unification de l’Europe

La Communauté européenne montre un certain optimisme quant à cette potentielle réunification. En effet, dès le 23 novembre, le Parlement européen est la première institution européenne à évoquer cette possibilité. En janvier 1990, alors que la réunification n’est pas encore effective, Jacques Delors, à l’époque président de la Commission européenne affirme dans un discours devant le parlement européen que l’ancienne République démocratique allemande (RDA) a sa place parmi les communautés européennes si elle le souhaite. Le Conseil européen de Dublin du 28 avril 1990 fixe les modalités d’intégration des Länder (états fédérés allemands) de la RDA dans ses conclusions : “L’intégration sera effective dès que la réunification aura été juridiquement établie, sous réserves des dispositions transitoires nécessaires. Elle se fera sans révision des traités.” Aucun traité d’élargissement n’est donc prévu, comme si cette intégration était naturelle pour les communautés européennes.

Une question se pose cependant : comment les habitants de l’ancienne RDA vont-ils être représentés au sein du Parlement européen ? Une commission spéciale est chargée de réfléchir à cette question, complétée par le rapport du député britannique Alan John Donnelly du groupe Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen (S&D). Dans celui-ci, il propose que la RDA puisse envoyer “18 observateurs démocratiquement élus au Parlement européen jusqu’aux élections de 1994”. Cette mesure a été instaurée en février-mars 1991, soit quelques mois après l’entrée en vigueur de la réunification allemande le 3 octobre 1990. Les observateurs se greffent aux travaux du Parlement européen et de ses commissions puis rejoignent la délégation allemande, sans droit de vote jusqu’aux élections de 1994. Cette démarche est perçue comme une véritable réconciliation entre l’Europe et l’Allemagne de l’Est : “c’était le premier pas qui a mené à surmonter la division du continent européen” a déclaré Constanze Krehl, ancienne observatrice de RDA au Parlement européen puis députée européenne. Mais cette intégration n’est pas le seul changement majeur qui précède les élections européennes de 1994.

De la Communauté à l’Union

Depuis les dernières élections de 1989, la Communauté européenne a connu un bouleversement institutionnel : la signature du traité sur l’Union européenne (TUE), traité de Maastricht, entré en vigueur le 1er novembre 1993. C’est ce traité qui est à l’origine de l’Union européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui sur le plan structurel. Il permet de rassembler trois champs d’action aussi appelés “piliers” : la communauté européenne qui dispose de compétences supranationales, la coopération en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC), la coopération en matière de justice et d’affaires intérieures (JAI), ces deux derniers étant basés sur la coopération intergouvernementale. Il reconnaît également une citoyenneté européenne qui donne de nouveaux droits aux citoyens des pays membres de l’Union.

Les élections des députés européens sont donc un enjeu crucial dans ce contexte dans le sens où elles déterminent la représentation des groupes politiques qui auront un impact sur la vie des citoyens de l’Union européenne. C’est d’ailleurs ce que Pierre Blaise et Évelyne Lentzen soulignent dans le courrier hebdomadaire du CRISP (centre de recherche et d’information socio-politiques), basé en Belgique. Ils écrivent : “L’élection européenne de juin 1994 permet à cet égard de mesurer l’audience et la représentation des grands courants politiques transnationaux.”. L’élection de 1994 a donc, à l’image de toute autre élection démocratique, un véritable enjeu de représentation d’autant plus dans cette période de changement institutionnel, doublé de l’intégration de nouveaux citoyens européens : les Allemands de l’Est.

Une participation toujours en baisse

En juin 1994, ce sont les citoyens de 12 pays européens qui se rendent aux urnes pour élire les 567 députés qui les représenteront au sein du Parlement européen. L’Autriche, la Finlande et la Suède rejoignant l’Union européenne au 1er janvier 1995, des élections partielles sont organisées au sein de ces 3 pays en 1995 portant le nombre de députés européens à 626. L’intégration de la RDA avec la réunification allemande d’octobre 1990 a conduit à revoir le nombre de représentants pour chaque pays, à la hausse pour 8 d’entre eux. Entre autres, l’Allemagne passe à 99, la France, le Royaume-Uni et l’Italie à 87 chacun.

La participation électorale s’est révélée décevante pour ce scrutin, toujours en baisse depuis les premières élections au suffrage universel en 1979. En effet, tous pays confondus, environ 56,5% des électeurs ont exprimé leur vote en juin 1994, soit deux points de pourcentage de moins que lors de l’élection de 1989 (58,4% de participation électorale). Les baisses les plus importantes depuis 1989 ont été enregistrées au Portugal, aux Pays-Bas ainsi qu’en Allemagne. Cependant, le taux de participation, comparé à celui de la dernière élection, a augmenté dans 3 pays : l’Espagne, le Danemark et la France où il repasse au-dessus de la barre des 50% (il était de 48,7% en 1989). Malgré une Europe réunifiée et renouvelée, les électeurs se mobilisent de moins en moins au fil des années, et cette tendance va se renforcer avec les élections suivantes.

Du point de vue des résultats et après les élections en Autriche, Finlande et Suède, c’est le groupe du Parti socialiste européen (PSE) qui remporte la majorité avec 34,19% des sièges, suivi de très près par le parti populaire européen (PPE) avec 32,11%. Les Verts, qui étaient entrés au Parlement avec l’élection de 1989 perdent 3 sièges passant de 30 à 27. En Allemagne, le SPD et la CDU sont au coude à coude avec environ 32% des suffrages chacun et les Verts (die Grüne) sécurisent 12 sièges. En France c’est l’union UDF-RPR menée par Dominique Baudis qui obtient la majorité des voix (25,58%), suivie de loin par Michel Rocard et le PS avec 14,49% des voix. Le Front national de Jean-Marie le Pen maintient sa place en récoltant 10,52% des suffrages. Ce dernier chiffre soulève notamment la question de l’euroscepticisme, qui menace le nouvel équilibre établi par Maastricht. Malgré des innovations constitutionnelles importantes et une réunification européenne qui a marqué l’histoire, les citoyens ne semblent pas tous unanimes quant au futur de l’Europe.

Article en collaboration avec le podcast Europe et sentiment à l’occasion de l’épisode dédié aux élections de 1994. Vous pouvez aussi consulter notre article précédent sur les élections européennes de 1989.

  • Financé par l’Union européenne. Les points de vue et avis exprimés n’engagent toutefois que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Union européenne ou de l’Agence exécutive européenne pour l’éducation et la culture (EACEA). Ni l’Union européenne ni l’EACEA ne sauraient en être tenues pour responsables.
Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom