Grégory Legroux : Quelles sont les personnes à l’origine de ce projet ?
Eric Nahon : Au départ cela vient de Nadia Vissers, une enseignante chercheuse de l’université d’Anvers. Elle souhaitait monter un groupe de travail sur l’enseignement du fact-checking. Il a été créé et lancé en 2016 à Paris, à l’IPJ d’ailleurs, de manière un peu fortuite. Deux chercheurs de l’université d’Anvers ont ensuite synthétisé l’ensemble de nos débats afin d’arriver aux trois arbres de décisions, à ces 3 flowcharts qui ont amené notre méthodologie. L’idée était vraiment de réussir à unifier nos méthodes d’enseignement de fact-checking et de les confronter dans le cadre des élections européennes. Travailler sur la vérification de la parole du politique, du militant, de l’économiste, du grand patron... et évaluer leurs assertions de manière uniforme.
Grégory Legroux : L’EUFACTCHECK représente 20 écoles de journalisme dans 15 pays européens. Y a-t-il des dossiers communs entre les pays ou bien chacun traite ses sujets, de son territoire ?
Eric Nahon : Dans un premier temps, chaque école s’occupe de son pays. Mais effectivement si un politicien allemand parle de la France, alors on vient nous demander des informations. On travaille également avec une base de données commune, pour éventuellement vérifier des informations et ne pas perdre de temps sur des éléments comme le salaire minimum en Pologne ou autre.
Grégory Legroux : Depuis la création des plateformes Eufactcheck.eu et EuCheck.fr, certains articles ont-ils eu une résonance médiatique plus importante que les autres ?
Eric Nahon : C’est difficile à évaluer car pour l’instant on est vraiment dedans. On a lancé un galop d’essai avec EuCheck France en décembre. Il y a des sujets qui ont un peu fait le buzz, notamment la traduction du fact-checking de Damien Rieu sur le pacte de Marrakech et les 480 millions de migrants qui traverseraient la Méditerranée. Il s’agit de l’article de plus consulté sur le site anglais Eufactcheck.
Grégory Legroux : Y a t-il des sujets (religieux, politiques...) plus sensibles ou plus difficiles à traiter dans certains pays ?
Eric Nahon : Forcément... mais cela n’est pas pris en compte car nous sommes sur des assertions. Nous sommes également tous issus d’universités ou d’écoles de journalismes reconnues et on a ce culte de l’indépendance. D’ailleurs, il était très clair pour toutes les écoles et tous les groupes partenaires qu’on ne serait financé ni par Google, ni par Facebook. On a demandé une subvention à la Commission européenne il y deux ans, quand le fact-checking n’était pas encore à l’ordre du jour. On s’est lancé avec peu de moyens. C’est une fondation totalement indépendante qui a aidé à la construction du site. Tout est trouvable sur la plateforme Eufactcheck.eu.
Grégory Legroux : Mais est-il si simple pour des étudiants Russes par exemple, de revenir sur des propos tenus par un membre du gouvernement ?
Eric Nahon : Un peu moins.. mais ils sont finalement assez libres. Tant qu’ils utilisent la méthode qu’on a développé tous ensemble, cela nous va. Pour l’instant il y a pas eu de souci. On fera un gros débriefing autour de cela lors du congrès mondial des écoles de journalismes, le WJEC, qu’on accueille à Paris la semaine du 8 juillet prochain.
Grégory Legroux : Concernant EuCheck France, quelles sont les thématiques les plus traitées par vos étudiants ?
Eric Nahon : Le principe de départ était : fact-checker l’information scientifique et économique dans le cadre des élections européennes. On a donc monté des groupes de travail sur le modèle des Hackathons, mais en plus long. Deux semaines intensives durant lesquelles les étudiants n’ont fait que cela. On a travaillé avec des étudiants scientifiques du master Ingénierie et Gestion de l’Environnement (IGE) des MINES et d’autres du master Affaires Publiques de Dauphines. Nous avons donc par exemple beaucoup de sujets autour du Glyphosate et des perturbateurs endocriniens. L’idée étant de travailler sur les conséquences scientifiques et l’information économique.
Grégory Legroux : Comment décidez-vous de traiter un sujet et combien de temps est-il nécessaire pour vérifier une information avant publication ?
Eric Nahon : Nous avons donné les thématiques puis les étudiants avaient un temps de recherche pour identifier les sujets et les assertions. Nous les validons par la suite avec notre comité pédagogique. Concernant la vérification, il faut un certains temps.. Je ne peux pas dire combien précisément. Il y a des informations qui se vérifient très vite et après, des personnes qui sont difficiles à joindre. Dans notre méthode, il faut au moins deux experts. Il faut donc savoir identifier les bons. De plus, si l’expert A dit 1 et que l’expert B dit 2, il faudra alors voir un troisième expert. L’idée était que chaque groupe vérifie quatre citations. Il y avait donc quatre fact-checkings et quatre derrières les faits à réaliser en deux semaines de travail, c’était la limite.
Grégory Legroux : Au regard de la nouvelle approche faite entre autres par CheckNews, choisir vous même les thématiques n’est-il pas une limite dans le traitement de l’information souhaité par le grand public ?
Eric Nahon : Sur le site Eufactcheck.eu, il est possible de suggérer un fact-checking. Nous, on est vraiment parti de recherches journalistiques. On s’est vraiment positionné sur l’enseignement du journalisme. Nous sommes tous journalistes ou ex-journalistes. On est vraiment sur la pratique d’enseignement du journalisme, même si je trouve que cette démarche est une très bonne chose.
Grégory Legroux : L’audience de vos articles reste confidentielle. Votre objectif prioritaire est-il finalement d’enseigner les mécaniques de fact-checking à vos étudiants ou véritablement d’apporter une aide au grand public ?
Eric Nahon : Oui l’audience est limitée et c’est assumé. Nous faisons de la recherche appliquée. Le but du jeu n’est pas de promouvoir le site mais la méthodologie. Quand on crée un site à partir de rien, arrive alors la question de savoir si on sponsorise les posts afin de leurs donner une plus grande audience, ou si on fait le tour des conférences et autres pour présenter la méthodologie. Nous avons choisi de présenter la méthodologie. En ce moment, on prépare un communiqué de presse pour expliquer tout ce qu’on fait à un maximum de rédactions et d’écoles.
Grégory Legroux : Plus globalement, les journalistes sont-ils légitimes pour traiter tous les sujets aussi techniques soient-ils ou ne devraient-ils pas s’en remettre parfois à de vrais professionnels du domaine abordé ?
Eric Nahon : C’est un sujet délicat. Le journaliste, par essence, n’est pas un expert. On peut être calé sur un sujet au bout d’un moment, mais si on prend l’exemple de l’AFP, tous les 5 ans on passe la main et on change de service... J’ai pratiqué très longtemps le journalisme musical. Je me suis toujours donné comme ligne de conduite lorsque je connaissais trop un artiste ou sa carrière, d’arrêter d’écrire sur lui pendant un an ou deux. Mon ambition est de faire de la presse pour le grand public et si je commence à utiliser des termes complexes, du jargon, cela ne va pas. On a besoin d’universitaires, on a besoin d’experts, mais un journaliste doit savoir saisir une pensée complexe et la restituer de manière simple mais sans être simpliste. Je dis souvent à mes étudiants qu’un journaliste doit aimer son public ou son audience. S’il aime son public, un journaliste va essayer de restituer le meilleur, de manière simple, mais sans les prendre pour des abrutis.
Grégory Legroux : À court terme, le fact-checking doit-il devenir un enseignement majeur dans les écoles de journalisme ?
Eric Nahon : Le fact-checking répond à un besoin de vérifier ce qui se dit sur les réseaux sociaux, dans les émissions politiques. Il s’agit d’une compétence classique que doit avoir tout étudiant en journalisme. À titre d’exemple, cela fait deux ans qu’on a monté un cours de fact-checking. On a expérimenté la méthodologie de l’EJTA et l’an prochain cet enseignement, qui était une option en Master 2, va devenir un cours pour tous les étudiants en première année de master. Donc oui, c’est une compétence à incorporer. De la même manière, dans les années 2000 le web était une option alors qu’aujourd’hui il s’agit d’une compétence transversale.
Grégory Legroux : Sur le long terme, le fact-checking peut-il être une solution viable pour contrer les fausses nouvelles et leur vitesse de propagation ou la vraie solution passera-t-elle par une éducation à l’information dès l’école ?
Eric Nahon : Les deux mon capitaine ! Aujourd’hui il faut plus que jamais vérifier les informations. Vérifier et expliquer quand un politique est approximatif, manipule un chiffre.. Mais il faut évidemment expliquer comment on se sert de l’information. Pendant des années, dans les familles, il y avait les journaux. On parlait ensemble de l’actualité. Quand la télévision est arrivée, il y avait la grande messe du 20h. Aujourd’hui, les jeunes découvrent l’information sans aucun guide. Il faut donc une éducation aux médias, nouveaux comme anciens. Il faudrait également des cours de sémiologie de l’image dans l’éducation aux médias. Savoir ce que veut dire une image, ce qu’est un plan de caméra, ce qu’il veut dire.
Grégory Legroux : Enfin, quel avenir pour vos deux plateformes web après les élections européennes de mai prochain ?
Eric Nahon : Le site EuCheck est arrêté et le groupe EuFactCheck va s’arrêter fin mai, après les élections européennes. Pour nous l’enjeu n’est pas de poursuivre ce site mais de continuer à enseigner le fact-checking de cette manière. C’est deux sites sont une façon de nous montrer à nous-mêmes que ce qu’on a fait en théorie, fonctionne. Aujourd’hui, on assure la promotion de ce site pour expliquer que la méthode marche. Je peux vous dire qu’elle marche non seulement dans l’enseignement du journalisme mais qu’elle est également prise en compte par les élèves non journalistes ! En effet, si on suit ces arbres de décisions pas à pas, n’importe qui peut fact- checker une information. C’est aussi ici tout l’enjeu.
Suivre les commentaires : |