Élections italiennes : le vote de trop pour l’Europe ?

, par Emma Giraud

Élections italiennes : le vote de trop pour l'Europe ?

Le soulagement à l’annonce dimanche 4 mars au matin de l’approbation de l’accord de coalition entre la CDU-CSU et le SPD par la base de ce dernier aura été de courte durée. A la publication des premières tendances dans la nuit du 4 au 5 mars puis des résultats quasi définitifs des élections italiennes le lundi, la crainte a probablement dominé la surprise. Composante d’un cycle électoral européen sous tension depuis plusieurs mois maintenant, l’issue de ces élections vient en effet confirmer voire exacerber la tendance observée lors de scrutins européens précédents (notamment français, autrichien, tchèque et néerlandais, et allemand dans une moindre mesure), relative à la montée en puissance des forces populistes en Europe. Pour le moment, aucune majorité de gouvernement en vue à Rome…

L’essor des partis antisystème face à l’écroulement des partis « traditionnels »

Les sondages des dernières semaines - et les estimations non officielles des derniers jours - auront réussi à prévoir les tendances du vote, tout en sous-estimant l’ampleur de l’essor du Movimento 5 Stelle (M5S) et de la Lega notamment, ainsi que l’ampleur de l’échec de la coalition de centre-gauche et en particulier du Partito democratico (PD, moins de 20% des suffrages, ce qui constitue un score historiquement bas). Les raisons sont multiples : complexité du système électoral, mêlant proportionnelle (aux deux tiers) et majorité (le tiers restant), probable sous-déclaration des votes en faveur du M5S et de la Lega, entre autres.

Le M5S (environ 32% des votes, +6 points par rapport à 2013 [1]) a su mener une campagne médiatique efficace, s’affichant à la fois comme parti d’opposition voire « antisystème », en faisant de la lutte contre la corruption un de ses chevaux de bataille, et en parallèle comme un mouvement capable de s’institutionnaliser dans la perspective de gouverner - ce qui n’a pas manqué de créer des tensions en interne, une fraction du parti considérant que la raison d’être de ce dernier devait rester l’opposition. Cette institutionnalisation est notamment passée par la figure du candidat Premier Luigi di Maio, successeur de Beppe Grillo, qui a par exemple présenté publiquement son gouvernement hypothétique quelques jours avant le vote. En parallèle, la Lega (autour de 18% des votes, contre 4% en 2013) a pris la tête de la coalition de centre-droit (composée en outre de Forza Italia (FI), Fratelli d’Italia et Noi con l’Italia) après une concurrence à suspense avec FI (14% des votes, -8 points environ par rapport à 2013), en captant le nombre le plus important de suffrages. Le deal était clair au sein de la coalition : le parti obtenant le plus de voix présenterait le candidat Premier de celle-ci. Le discours radical déroulé par la Lega sur l’immigration et le slogan « Prima gli italiani » (les Italiens d’abord) auront probablement été une stratégie gagnante pour Salvini, désormais en position de probable candidat Premier à la tête de la coalition de centre-droit. A noter la relative faible performance des nouvelles formations +Europa d’Emma Bonino (moins de 3%) et Liberi e Uguali de Pietro Grasso (moins de 5%). Enfin, la participation avoisine les 73%, soit 2 points de moins qu’en 2013 quand le vote s’était déroulé sur deux jours - contre une journée en 2018. Le Nord et le Centre du pays se sont en moyenne plus mobilisés que le Sud.

Outre une méfiance et une fatigue généralisée vis-à-vis du système politique italien et de ses acteurs, qui a poussé des millions d’électeurs vers des formations nouvelles ou en essor, l’Europe aura été un sujet clivant à l’image de précédents scrutins européens, en particulier sur les thématiques économiques, monétaires et migratoires. La distribution des votes découle également de ressorts - complexes - nationaux.

Une Europe clivante superposée à des divisions nationales multidimensionnelles

Des partis comme la Lega et Fratelli d’Italia, le M5S aussi, mais de manière moins radicale, ont adopté un répertoire nettement anti-européen, promettant sécurité - économique et face aux migrations - et revendiquant une identité italienne forte, voire prioritaire. La diffusion d’un tel registre, faisant écho au sentiment d’abandon d’une bonne partie de la population italienne par l’Union européenne dans la gestion de la crise migratoire ces dernières années, n’a laissé aucune chance à une voix plus européenne, portée notamment par le centre-gauche, de s’affirmer au cœur des débats.

En parallèle, il est intéressant d’observer à l’échelle nationale que les régions du Sud, économiquement et socialement moins développées que le Nord du pays, ont largement contribué à faire du M5S le premier parti en Italie, alors que les régions centrales et septentrionales se sont plutôt exprimées en faveur de la coalition de centre-droit. L’influence du PD se limitant pour l’essentiel à une partie de la Toscane et de l’Emilie-Romagne. [2]

Au-delà de facteurs économiques et sociaux, y compris dans une perspective ville/zone rurale, le vote pour la coalition de centre-droit dans le nord du pays notamment s’explique en partie par les origines de la Lega. D’abord connu comme la Lega Nord, se revendiquant comme le porte-parole des revendications autonomistes des régions du Nord, le parti s’est ensuite popularisé comme la "Lega pour s’étendre dans le reste du pays. Pari plutôt réussi. La complexité des situations économiques, sociales et culturelles différentes qui constituent le territoire se retrouve ainsi dans la nouvelle configuration politique italienne, qui complique considérablement la formation d’un gouvernement.

Entre nouvelle configuration politique et déclarations post-résultats, la formation d’un gouvernement reste hypothétique

Le PD et FI sont probablement les deux principales victimes des élections italiennes 2018. Le Parti Démocrate, sanctionné après cinq ans de gouvernement, n’est pas parvenu à défendre son bilan ni son orientation européenne. Un PD mené de nouveau par un Matteo Renzi loin de faire l’unanimité dans son propre camp, et qui a d’ailleurs annoncé sa démission comme secrétaire général du parti (qui serait effective seulement après la formation d’un nouveau gouvernement) le 5 mars dans l’après-midi au vu de l’échec cuisant du PD - une deuxième démission (la première du poste de Premier Ministre) en moins d’un an et demi. Un recul similaire à celui de plusieurs autres partis de gauche/centre-gauche en Europe (à l’image du Parti socialiste en France voire même du SPD en Allemagne, qui n’aura été finalement qu’un « second choix » de coalition pour Angela Merkel après l’échec de l’option Jamaïque, entre autres exemples) qui ne parviennent plus à convaincre par de « simples » idéaux et valeurs face à la radicalisation du discours de la droite (centre et extrême), dans un contexte de difficultés économiques et de tensions sociales - auxquelles contribuent également certaines campagnes médiatiques.

Quant à Forza Italia, malgré un soutien de nouveau en hausse pour Silvio Berlusconi, la nouvelle dynamique aura perdu de son souffle au fil de la campagne, cédant peu à peu du terrain face à la Lega de Matteo Salvini qui a ainsi bénéficié d’un report de voix de FI vers son parti.

Quant à la formation du prochain gouvernement, le suspense reste entier alors qu’aucune force politique - ni même une coalition - n’a atteint les 40%-45% des suffrages. Le M5S, parti arrivé en tête, se considère en tant que tel légitime à former et diriger un gouvernement, de même que la Lega, désormais principal parti de la coalition de centre-droit qui a de fait un poids supérieur (autour de 37% des suffrages) à celui du M5S isolé. Une éventuelle alliance M5S-Lega est évoquée ; sur le papier, rien d’impossible même si la radicalité du discours des deux formations varie sur certains points. Mais pour le moment, Salvini se refuserait à négocier avec le M5S.

Une éventuelle entente entre ces deux partis réorienterait considérablement la position du pays pour les années à venir. En parallèle, le M5S envisageait un accord avec Liberi e Uguali, qui s’est révélé plus faible que prévu. Alors avec le PD et/ou FI ? Probablement pas, car le M5S a bâti une bonne partie de sa campagne sur la lutte contre le système existant en cherchant à se dissocier des partis traditionnels de « gouvernement ». De son côté, Matteo Renzi, après avoir annoncé sa démission, a affirmé que la place du PD pour la prochaine législature était dans l’opposition, relevant notamment les divergences existant entre des partis comme le PD et le M5S sur le plan des valeurs. Enfin, la coalition de centre-droit semble résister jusqu’à présent, même si sa cohérence a parfois été mise en doute au cours de la campagne, mais aura aussi besoin d’au moins un partenaire supplémentaire pour constituer une majorité gouvernementale.

Ces positions font écho aux premières déclarations des candidats et représentants des partis suite à la publication des résultats, et sont donc susceptibles d’évoluer au fil des heures et des jours à venir. Il est aussi possible qu’aucun accord de coalition n’émerge. Dans ce cas, le Président de la République italienne, Sergio Mattarella, pourrait considérer l’option d’un gouvernement « technocratique » de compromis, mais pourrait aussi choisir d’inviter les électeurs à retourner aux urnes… Affaire à suivre !

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Notes

[1ANSA, Elezioni 2018, scrutini, http://www.ansa.it/?refresh_ce. Moyenne des suffrages répertoriés pour le Sénat et la Chambre des députés du fait de leur proximité.

[2IlSole24Ore, « Chi ha vinto e chi ha perso : la mappa del voto nei collegi uninominali », 5 mars 2018

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