Élections législatives en Pologne : les conservateurs gardent la main

, par Basile Desvignes

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Élections législatives en Pologne : les conservateurs gardent la main
Source : Zgromadzenie Narodowe 2016.04.15. Zgromadzenie Narodowe z okazji 1050-lecia Chrztu Polski w Poznaniu. Fot. Michał Józefaciuk / Kancelaria Senatu

Le 13 octobre dernier se sont déroulées les élections législatives polonaises. À l’issue d’une participation record depuis le retour de la démocratie en Pologne en 1989, à hauteur de 60%, le parti conservateur Droit et Justice (PiS) est parvenu à conserver sa majorité absolue à la Diète. Le parti a néanmoins perdu sa majorité absolue au Sénat (moins 13 sièges) (1).

Une victoire incontestable du PiS ?

Le président du PiS Jaroslaw Kaczynski a de quoi se réjouir des résultats obtenus. En recueillant 43,6% des suffrages, les partis rassemblés dans Droit et Justice sont parvenus à obtenir le score le plus important jamais obtenu par un rassemblements de partis depuis le retour de la démocratie en Pologne. Le PiS bénéficie aujourd’hui d’une majorité confortable de 235 sièges sur les 460 de la Diète qui devrait lui permettre de gouverner seul pour un second mandat de quatre ans. Même si le PiS perd de peu sa majorité absolue au Sénat, elle réalise un véritable tour de force : c’est la première fois depuis 2015 qu’un parti est reconduit en Pologne sans devoir former de coalition.

La victoire du PiS doit pourtant être relativisée : l’alliance possède seule la majorité absolue à la Diète en grande partie grâce au système électoral polonais, sans que la majorité des votants ne soutienne le parti Chose que confirme Jaroslaw Gowin, vice premier ministre et membre du PiS : « Plus de la moitié des Polonais [58% si l’on cumule les résultats de l’opposition] ont voté contre nous. C’est un message que nous devons analyser. » (2).

Face au PiS, l’opposition est fortement divisée entre les centristes et la gauche qui ont rompu leur Union Sacrée des européennes (3). Cette tentative s’est soldé par un échec, la Coalition européenne n’ayant atteint que 38,5% des suffrages (moins -10 points par rapport au dernier scrutin européenne) contre 45,4% pour le PiS] le parti paysan et l’extrême-droite. La Coalition civique, alliance centriste au pouvoir avant 2015, même si elle demeure la première force d’opposition est battue et perd 32 de ses 166 siège, et donc une part de son influence au parlement polonais. Mais le parti paysan polonais est le plus grand perdant. Il atteint à peine le seuil des 8% et perd près de la moitié de ses députés (28 sur 58). Au contraire, le scrutin voit le retour au Parlement de la coalition de gauche qui obtient 49 sièges et devient la troisième force à la Diète et du groupe d’extrême-droite qui remporte 11 députés alors qu’il était exclu de l’hémicycle depuis 2007.

Bien qu’elle ait obtenu un score cumulé de 58%, l’opposition n’est pas parvenue à s’imposer. Les conservateurs arrivent largement en tête avec 16 points d’avance sur la Coalition centriste.

Le Pis : un bilan social convaincant

La victoire du PiS se justifie d’un bon bilan, notamment pour la situation économique du pays, un des thèmes les plus importants de la campagne. L’économie polonaise est excellente : le pays a enregistré une croissance de 4% en 2018 après un premier bon en 2017. Profitant de la croissance, le gouvernement a déjà distribué 25 milliards de zlotys annuels de prestations sociales (5,8 milliards d’euros) durant le dernier mandat. En remportant les élections, Jaroslaw Kaczynski a promis de poursuivre l’augmentation du salaire minimum entamé durant le dernier mandat en le portant à 4 000 zlotys brut d’ici 2023 (916 euros, contre 480 euros actuellement) et de rattraper en 10 ans le niveau de vie de l’Europe de l’ouest (4).

Devant ces succès et ces propositions, l’opposition et notamment les libéraux de Coalition civique peinent à incarner une alternative, le PiS appliquant un programme pro-business semblable à celui mené par Coalition civique sous le précédent gouvernement. Coalition civique n’a plus de proposition économique crédible. L’alliance de coalition se concentre au contraire sur des propositions économiques et sociétales impopulaires chez une grande partie de la population, en orientant par exemple sa campagne pour la défense des droits LGBT, menacés par des manifestations d’extrême-droite et le PiS qui accuse la communauté LGBT d’être une « menace pour la famille traditionnelle » (5).

Au contraire le projet sociétal du PiS est très appréciée. Le gouvernement a instauré en 2019 le programme 500+, qui offre aux parents 500 zlotys par mois pour leur deuxième quel que soit leurs revenus (6). Après 6 mois de fonctionnement le nombre de nouveaux nés est effectivement plus élevé, signe que la réforme a été largement approuvée. L’opposition n’arrive pas non plus à dépasser le clivage urbain-rural encore très important en Pologne. L’électorat agriculteur été très réceptif au projet de « Pologne du bon vieux temps » (un des slogans officiels du PiS pendant la campagne) du PiS, qui promet des aides financières et une hausse du prix du lait, loin des préoccupations écologiques du centre ou de la gauche.

Un système électoral favorisant les grands partis

D’autres variables sont à prendre en compte pour expliquer la victoire du PiS.

Le système électoral polonais encourage les grands partis : chaque parti est soumis à un seuil électoral de 5% sous lequel il n’obtient aucun élu. Cela explique par exemple que le parti paysan ait perdu la moitié de ses élus alors que son score aux élections n’a baissé que 5,4 points. Les partis ont donc intérêt à se rassembler en formant des coalitions afin de dépasser le seuil des 5%. Ils sont alors soumis à un seuil de 8% plus élevé et donc plus contraignant.

Lors des élections législatives de 2019, tous les grands partis étaient en fait des coalitions qui auraient dû être soumises au seuil électoral de 8%. Pourtant, seul Coalition civique a été soumise à ce seuil en se déclarant officiellement comme étant une coalition. Les autres coalitions sont en fait des coalitions officieuses et sont donc soumises au seuil de base de 5%. Le score de Coalition civique a pu être altéré par ce phénomène.

Menace sur la démocratie ?

Un autre enjeu crucial des élections concernait la révision de la Constitution polonaise, vers une version plus autoritaire. Grâce à son succès aux élections, le PiS est en mesure de poursuivre son programme de démocratie illibérale pour un second mandat.

Craignant cette éventualité, Plateforme Civique avait appelé durant la campagne à un « acte de rénovation de la démocratie », considérant que l’élection était cruciale pour l’avenir de la démocratie. Au contraire, le leader du PiS a affirmé vouloir « faire Budapest à Varsovie » en installant un État fort et centralisé en Pologne et en s’inspirant du modèle hongrois de Viktor Orbán. Le gouvernement a déjà engagé plusieurs réformes allant dans ce sens avec la révision constitutionnelle de 2016 qui augmentait l’emprise de l’État sur la Cour suprême, le Conseil supérieur de la magistrature et les tribunaux, institutions chargées de renouveler le personnel de l’institution judiciaire. La réforme avait provoqué des réactions au niveau de l’UE européenne et la Commission Juncker avait déclenché la procédure de l’article 7 du traité de l’Union européenne contre la Pologne, sans succès (7).

La question demeure de savoir si le PiS va poursuivre sa réforme constitutionnelle quitte à raidir sa posture d’opposition entre les valeurs chrétiennes et la conception libérale des principes européens vu l’outil d’une « élite mondialisée » et de la « technocratie bruxelloise ».

Au cours de la campagne, l’opposition a également fait part de son inquiétude quant à la situation des médias publics. Depuis la réforme des médias de 2016, ils sont de plus en plus utilisés comme un véritable outil de propagande du gouvernement chargé de promouvoir sa politique. Il devient difficile pour la population de s’informer véritablement grâce aux médias publics, même si la liberté de la presse est encore garantie (8).

Malgré ces attaques répétées contre les principes de l’état de droit et la séparation des pouvoirs, le conflit avec la Commission européenne, l’isolement sur la scène européenne, les purges dans la fonction publique, la mainmise du PiS sur la société, le pays ne s’est jamais aussi bien porté sur le plan économique et social. Le PiS a su rendre aux Polonais leur dignité avec un programme alliant un système de récompense par le plan 500+ — et non plus d’assistance — et la promotion des « valeurs polonaises » dont les citoyens peuvent désormais être fiers (9).

Un horizon politique compliqué

Les formations de centre, de gauche, du parti paysan et d’extrême-droite ont désormais toutes des sièges à la Diète. Cette plus forte diversité au Parlement est une bonne nouvelle pour la démocratie. La diversité de la société polonaise y est mieux représentée et les différents partis auront l’occasion pendant cinq ans de construire une alternative au PiS tout en bénéficiant d’une tribune.

Néanmoins, l’opposition demeure faible et n’a pas appris de son effondrement lors des élections européennes. La gauche est dans une position difficile entre critique du sociétal et approbation du social ; plateforme civique entre adhésion au programme économique et condamnation du projet sociétal.

Les deux coalitions se sont contentées de dénoncer les décisions du PiS sans incarner d’alternative. Or il ne suffit pas de montrer les méfaits de la majorité pour grandir en la déstabilisant. Un aggiornamento sera nécessaire au sein des deux coalitions si elles veulent renouer avec leur électorat. Et au contraire, l’extrême-droite ne cesse de progresser en s’appuyant sur un programme réactionnaire, mettant en avant les divisions de la société polonaise et sa perception très négative de la mondialisation et de l’Union européenne.

Il est aujourd’hui très compliqué d’essayer de prévoir comment va évoluer la vie politique polonaise, si le PiS va poursuivre ses réformes et si l’opposition va se reconstituer. Le prochain rendez-vous aux urnes sera pour l’élection du président polonais en mai 2020.

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