Un scrutin de liste à représentation proportionnelle
Les élections législatives qui se sont tenues en République tchèque ont permis l’élection de 200 nouveaux membres de la chambre basse du Parlement tchèque, la Chambre des députés. Les électeurs ont choisi parmi les différentes listes, mais pouvaient également indiquer leur préférence pour certains candidats en en choisissant quatre au maximum sur une même liste. À l’issue du scrutin, les voix ont été partagées de manière proportionnelle entre les différentes listes et candidats dans les 14 circonscriptions que compte le pays selon le système de quotas dit d’Impériali. Ce système permet, en divisant le nombre total de votes par le nombre de sièges à pouvoir, plus 2, d’établir le quota nécessaire à l’obtention d’un siège à la chambre. Les sièges n’ayant pas pu être distribués lors de cette première phase de répartition le seront lors de la seconde où ceux-ci seront distribués en fonction du nombre de votes pour les listes et les candidats individuels. D’après le communiqué de la Chambre des Députés sur la méthode de répartition des voix, cette dernière phase devait permettre aux régions lésées par la première phase de répartition d’être en tête en termes de sièges obtenus lors de la seconde. Cette méthode devait donc permettre de laisser une place plus importante aux petits partis, tout en renforçant les partis ayant obtenu les meilleurs scores ce qui renforce les majorités.
La Chambre des députés a un rôle central dans la démocratie tchèque et notamment dans la désignation du Président du gouvernement. Le gouvernement tchèque, organe suprême du pouvoir exécutif, est responsable devant l’assemblée. Son président est nommé par le Président de la République. Mais il doit ensuite obtenir la confiance de la Chambre des députés. Le candidat choisi par le Président de la République est généralement issu du parti ou de la coalition ayant remporté les élections législatives afin d’éviter le blocage politique. Ces élections sont donc primordiales pour tous les partis car elles déterminent le rôle plus ou moins important qu’ils pourront jouer dans la désignation du futur Président de gouvernement ou dans l’opposition à sa désignation.
Nous nous intéresserons ici au parti qui selon les premiers résultats, pourrait faire jouer un rôle dans la désignation du gouvernement, le SPD. Celui-ci tenait le 3 octobre dernier une “foire tchèque“ durant laquelle des producteurs et des produits tchèques étaient mis en avant tandis que les têtes d’affiche du parti profitaient de la petite scène érigée en face du Forum Kárlin à Prague pour rappeler au public les principaux axes de leur programme. Un programme qui était par ailleurs distribué sous forme de petit journal lors de cet évènement et dans lequel nous allons ici nous plonger.
Svoboda a Přímá Demokracie, un jeune parti
Le SPD est le plus jeune des partis en lice pour ces élections. Il est en effet créé en 2015 à l’initiative de Tomio Okamura. Ce dernier entre en politique en 2012 lors d’élections sénatoriales qu’il remporte dans sa circonscription de Zlín en tant que candidat indépendant. Fervent défenseur de la démocratie directe, il décide en 2013 de fonder le parti Úsvit Přimé Demokracie (Aube de la démocratie directe), lequel rentrera à la Chambre des députés avec 14 sièges à la suite des élections d’octobre 2013. En 2015 le parti se scinde et Tomio Okamura est à l’initiative de la création d’un nouveau parti, Svoboda a Přímá Demokracie (Liberté et démocratie directe) qui verra le jour le 2 juin 2015. La démocratie directe est une nouvelle fois au cœur du nouveau projet politique de Mr. Okamura, lequel ne tardera pas à décoller dans les urnes, obtenant 22 sièges lors des élections législatives de 2017. C’est dans ce contexte de résultats en constante amélioration que Tomio Okamura, tête de liste du SPD s’est présenté aux élections législatives des derniers jours.
Opposition ferme à l’Union européenne
L’un des principaux points du programme du SPD est son opposition à l’Union européenne et sa volonté affichée, dès la première page du journal du parti, de quitter celle-ci en organisant un référendum. Les cadres du parti rejettent de nombreuses causes portées par les institutions européennes. Okamura qualifie lui-même les combats contre le sexisme, pour la protection des minorités ou encore pour l’écologie, de “pseudo-problèmes“. L’autre argument au cœur du rejet de l’UE par le SPD est la perte de souveraineté que celle-ci aurait engendré pour la République tchèque notamment sur les questions alimentaire et énergétique. C’est d’ailleurs au nom de la sauvegarde de cette même souveraineté que le parti s’oppose à l’adoption de l’euro, une question qui n’est de toute façon pas réellement à l’ordre du jour en Tchéquie. Le SPD entretient de proches relations avec d’autres partis de même tendance politique en Europe, avec lesquels ils forment le parti Identité et Démocratie (ID) au Parlement européen. À la page 13 du journal on peut en effet voir une photo sur laquelle posent Geert Wilders, Tomio Okamura, Matteo Salvini et Marine Le Pen tous membres d’ID, annonçant la publication prochaine d’une lettre signée par “16 grands partis politiques patriotiques“ dénonçant l’orientation de l’Union européenne. Le SPD rêve d’une “communauté d’États souverains coopérants [qui ne] piétinera pas leur propre souveraineté“. Il reconnait cependant en filigrane l’un des principaux bénéfices apportés par l’Union européenne à savoir la libre circulation des biens, des personnes et des services que le parti souhaite conserver tout en se libérant des “diktats de l’Union européenne“, un slogan rabâché tout au long du journal et qui est affiché sur de nombreux panneaux publicitaires à Prague. Bien que très appuyée dans son programme, la vision souverainiste de l’Europe défendue par le SPD n’est malheureusement pas si originale que cela à l’échelle de l’Union.
Demande de retour à la liberté
Tout comme le COVID-19 a été au cœur de nos vies depuis un peu moins de 2 ans, celui-ci est au cœur du programme du SPD. Comme le nom du parti le suggère, la question de la liberté est centrale dans l’idéologie de celui-ci. Or le COVID permet justement au SPD de développer ce thème. Sans surprise celui-ci s’oppose à toute sorte de restrictions des libertés des citoyens liées au COVID, se vantant de s’être opposé aux différentes lois sur la pandémie. Dans sa défense de la liberté dans le cadre de l’épidémie, le SPD insiste beaucoup sur la liberté des enfants, en réclamant notamment un retour à “une vie normale“ pour ceux-ci. Deux analyses peuvent émaner de ces allusions répétées à l’enfance, lesquelles ne sont pas forcément contradictoires. D’abord une volonté de jouer sur la corde émotionnelle en faisant appel au sentiment primitif pour tout parent de protéger et de souhaiter le meilleur à ses enfants, ce qui passe pour le SPD par l’abolition des restrictions, et dans un deuxième temps de souligner l’importance pour le parti de l’institution familiale dans sa conception de la société tchèque comme nous le verrons plus tard. Sur la question de la vaccination, le parti prône le libre arbitre des citoyens, rejetant les plans de vaccination massive du gouvernement qui ne serviraient que les industries pharmaceutiques, dénonçant par ailleurs la corruption que la lutte contre le COVID aurait engrangé dans le pays. Il est très souvent question de slogans dans le journal du SPD. Sur la question du COVID le slogan est le suivant : “Combattre le virus, pas les gens“.
La famille et la patrie comme centres névralgiques du programme
La question de la famille est donc très récurrente dans le programme du SPD et est abordée sous différents angles. Dans la section du journal dédiée aux priorités électorales, la première d’entre elles est le soutien à la famille et aux valeurs traditionnelles. La notion de famille avec enfant est mise en parallèle avec celle de gens honnêtes, bienveillants et travailleurs lesquels mériteraient toute l’attention de l’État notamment dans l’obtention d’un travail, d’un logement et d’une éducation abordable. La section du journal consacrée à la présentation des candidats insiste d’ailleurs sur la situation familiale des candidats et sur certains aspects de leur vie privée notamment leur relation à leurs enfants pour démontrer que ceux-ci s’inscrivent bien dans ce cadre de la famille traditionnelle défendu par le SPD. Or à ces gens honnêtes et bienveillants sont opposés tout au long du programme les “inadaptables“ que semblent être les étrangers, les minorités ethniques, sexuelles ou religieuses ou encore les migrants, qui ne seraient pas compatible avec la conception traditionnelle de la famille et de la société tchèque du SPD. Le parti rejetant bien évidemment la discrimination positive dont ces communautés font parfois l’objet.
De cette démarcation faite entre les “bons“ et les “mauvais“ citoyens émane un autre point du programme du SPD, à savoir son opposition à l’immigration d’un côté et à l’islam de l’autre. Le SPD n’ayant pas honte d’opérer le rapprochement entre les deux thèmes par ce slogan : “Non à l’immigration illégale et à l’islamisation de la République tchèque“. En contrebas de ce slogan se trouve une photo du lion tchèque éclairé par le drapeau national avec ces mots : “Notre patrie doit être un foyer sûr pour nos familles. Notre pays doit redevenir nôtre“. Un choix de mots sonnant comme un appel à l’électorat à défendre leur patrie face aux supposés fléaux que seraient l’immigration ou l’islam. Or cette défense de la nation semble être liée à la proposition de loi pour le moins inquiétante du député Radek Koten intitulée “Ma maison, mon château“. Proposition visant à légaliser le port d’armes à feu et l’autodéfense en République tchèque. L’imaginaire convoqué par ces différents slogans et propositions est celui de la peur de l’autre, et de la nécessité de se protéger de celui-ci, de défendre ce qu’il y aurait de plus cher à l’individu, sa famille et sa patrie. Tous ces éléments tendant à une division dangereuse de la société tchèque et à une augmentation de la violence au sein de celle-ci ainsi qu’à un repli du pays sur lui-même.
Une présentation bien calculée des candidats
Le journal du SPD est également l’occasion de présenter les différents candidats du parti pour l’élection. Cette présentation se fait en quelques lignes dans lesquelles le candidat est présenté sur le plan professionnel et personnel. L’aspect professionnel de celle-ci permet au SPD d’afficher la diversité des profils de ses candidats, une diversité soulignée par Okamura dans son interview. On retrouve sur la liste un économiste professeur d’université (Jan Hrnčíř), un colonel de réserve (Radovan Víc), plusieurs professionnels de santé (Vladimir Zlínský, Karla Marikova, Iveta Štefanová) un diplômé de lycée professionnel spécialisé dans le mécanique électronique (Radek Koten), un homme d’église (Msg. Josef Netušil), un ingénieur civil (Vladimira Lesenska), une analyste financière (Mari Posarová) ou encore un diplomate et ancien ministre (Jaroslav Basta). Une diversité qui permettrait au SPD de prouver à l’électorat sa crédibilité et sa capacité à gouverner en cas de victoire. Dans la présentation plus personnelle des candidats, le SPD cherche à montrer l’ancrage rural ou du moins tchèque de ses candidats. La situation familiale de chaque candidat est également détaillée pour relever l’importance de cette institution pour le parti.
Une défense à demi-mot de la nature et des animaux
Ce thème n‘est pas central dans le programme du SPD mais il est évoqué à plusieurs reprises. Au 5ème point des priorités électorales du parti, on peut en effet lire que le SPD “aime les animaux“ et que le parti souhaite augmenter les peines pour les mauvais traitements infligés à ceux-ci tandis que l’on peut lire plus tard que la formation prône une conservation raisonnable de l’environnement. Ces ambitions affichées ne vont pas beaucoup plus loin que des annonces, ces thèmes n’étant pas réellement développés. Par son opposition au projet qu’il considère comme fou d’atteindre la neutralité carbone dans l’Union européenne en 2050 Tomio Okamura se met en porte-à-faux avec ses promesses de campagne, tant cet objectif fait consensus auprès de la communauté scientifique pour son efficacité pour lutter contre le réchauffement climatique. Le thème de la protection de l’environnement et des animaux n’est d’ailleurs pas repris dans la suite du journal, les seules références qui y sont faites sont les témoignages de Radim Fiala qui depuis sa plus tendre enfance serait amoureux des chiens et ennemi des élevages canins, et Karla Marikova dont le passe-temps serait le jardinage et l’élevage d’oies. Cela ne faisant évidemment pas office de politique de défense de l’environnement et des animaux.
Le Parti pirate comme principal opposant
Au vu du positionnement politique du SPD on aurait pu imaginer que son principal opposant se trouvait à l’autre extrémité de l’échiquier politique, à l’extrême gauche. Il se trouve cependant juste au-dessus du SPD en termes de voix et se nomme le Parti pirate. Les attaques des pirates tchèques sont diverses et variées mais surtout nombreuses dans le programme. Une section entière du journal est dédiée à celui-ci, laquelle est teintée de noir, référence aux couleurs du parti mais façon également sans doute de souligner l’obscurantisme des mesures proposées par ce parti aux yeux du SPD. Le premier encadré dénonce la politique économique du Parti pirate lequel est favorable à un impôt progressif sur les salaires mais surtout à une augmentation de l’imposition des biens immobiliers à 1%. Or, autre facette idéologique du SPD, le parti d’Okamura est fermement opposé à l’augmentation des impôts. Les rédacteurs du journal se lancent alors dans une démonstration chiffrée de ce que pourraient représenter la proposition du Parti pirate pour un bien immobilier à Prague et à Brno, pour prouver au lectorat que le Parti pirate est “réservé aux riches“. Quant au deuxième encadré, il s’attaque au positionnement pro-européen et pro-réfugiés du Parti pirate et de la coalition SPOLU en s’appuyant sur une citation de l’une des leaders de la coalition et sur une banderole favorable aux migrants. Tomio Okamura n’hésitant pas à qualifier ces partis “d’amoureux des transsexuels et de bruxellophiles qui accueillent les migrants“, en appelant l’électorat à “voter patriote, pas aveugle, [à] voter SPD“. Cette diabolisation du Parti pirate semble avoir pour objectif de le décrédibiliser pour se rapprocher de lui lors dans les urnes.
La campagne du SPD pour ces élections législatives tchèque aura donc tourné autour de 3 grands thèmes classiques de la frange la plus à droite de l’échiquier politique, la souveraineté, la sécurité et les traditions. Le tout étant étayé par ces “foires tchèques“ organisées à travers le pays, un hymne de campagne composé par le chanteur Petr Kolář, le journal du SPD, une vaste campagne publicitaire et surtout une multitude de slogans courts, attisant les passions, facile à retenir et donc facile à scander. Le SPD, arrivé à la quatrième place des législatives, en baisse d’un point, loin derrière le trio de tête, n’aura pas profité d’un report de voix à la suite des dernières révélations concernant le Premier ministre tchèque Andrej Babiš dans le cadre des Pandora Papers. Cependant, nous entendrons parler encore longtemps de ces partis, et surtout de ses propositions.
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