Élections présidentielles polonaises : danger ou espoir pour l’Europe ?

, par Clémence Dogniez

Élections présidentielles polonaises : danger ou espoir pour l'Europe ?
Affiche de campagne du candidat Duda.

Dimanche 12 juillet, deux Pologne sont venues s’affronter dans les urnes. Dans ce duel électoral, la Pologne libérale, urbaine et jeune faisait face à la Pologne conservatrice des campagnes. La tension électorale atteignit son paroxysme ce soir là, avec un score avoisinant l’égalité parfaite.

Les sondages à la sortie des urnes, annonçant 49,6% pour le maire libéral de Varsovie Rafał Trzaskowski et 50,4% pour le président sortant Andrzej Duda, ont laissé, le temps d’une nuit, le doute planer (la marge d’erreur autorisant tout scénario). La reconduite du président Andrzej Duda semble d’ores et déjà annoncer une certaine continuité et par là, un éloignement inquiétant des standards de l’Union européenne. En effet, son premier mandat fût source de nombreuses polémiques avec ses partenaires européens pour son aspect illibéral, comparable à la Hongrie de Viktor Orbán.

Bien que l’élection fût remportée de justesse, la promotion d’un programme économique et social généreux et la revalorisation d’un conservatisme moral a su l’emporter, réaffirmant le pouvoir du PiS (Droit et justice) pour trois nouvelles années sans échéances électorales.

Vers la consolidation du PiS et sa "révolution conservatrice"

Le parti conservateur s’est en effet servi de son bilan économique et social pour convaincre les électeurs de conduire leur candidat à un second mandat. Avec une croissance atteignant les 5% et un taux de chômage à 3,3% (soit le troisième plus faible d’Europe), l’économie polonaise ne s’est jamais aussi bien portée depuis la chute du communisme. À cela s’ajoutent les avancées sociales, établissant un certain « État-providence » avec l’accord d’aides familiales, la revalorisation du salaire minimum ou encore la baisse de l’âge de départ à la retraite.

Ces réformes ont surtout profité aux catégories populaires et zones rurales, permettant une augmentation de leur pouvoir d’achat. Dans un second temps, le PiS a misé sur sa « révolution conservatrice » réaffirmant les valeurs nationales et chrétiennes de la Pologne comme l’attestent les mots du leader du PiS, Jarosław Kaczyński : « Si quelqu’un se considère comme polonais, il doit être du côté de ceux qui défendent les valeurs traditionnelles  ». Cette contre-révolution, entamée lors du premier mandat, va désormais se poursuivre en s’attaquant notamment aux acteurs encore indépendants dans le pays, tels les médias privés, le système éducatif (faisant soi-disant la promotion d’un « gauchisme occidental »), les collectivités locales (intermédiaires empêchant une totale indépendance du pouvoir central) ou encore les ONG.

Il faut cependant restituer cette politique instaurée en Pologne depuis 5 ans, à son réel initiateur, Jarosław Kaczyński. Si officiellement ce député et chef de la majorité n’est pas à la tête du pouvoir, il en tire cependant toutes les ficelles. Ainsi, l’élection présidentielle de 2020 fût davantage perçue comme « un référendum pour ou contre la « révolution conservatrice » menée depuis cinq ans par le véritable homme fort du pays, Jarosław Kaczyński », selon le journal Le Monde. « Duda n’existe pas en tant que tel, c’est un pur produit marketing du PiS choisi par Kaczyński parce qu’il est une personnalité lisse, malléable à merci, et qu’il ne lui fera pas d’ombre », juge Andrzej Stankiewicz, rédacteur en chef ad­joint du site Internet Onet.

En effet, l’actuel président doit sa carrière à Mr. Kaczyński. Après avoir occupé divers postes subalternes, tels que vice-ministre de la justice, Andrzej Duda s’engage dans le jeu électoral en se portant candidat à la mairie de Cracovie, mais échoue à prendre sa ville natale. La même année, alors que son nom n’est que peu connu des citoyens polonais, il est choisi par Jarosław Kaczyński pour représenter le PiS aux présidentielles, ce qui s’avère être un pari gagnant. Ainsi, comme le résume Catherine Chatignoux pour Les Échos, « le maintien d’Andrzej Duda à la tête de l’Etat pour les cinq prochaines années va lui [Jarosław Kaczyński] laisser les mains libres pour avancer sur les réformes judiciaires déjà engagées ».

Cette réélection vient ainsi accorder un nouveau « mandat » à Jarosław Kaczyński afin de consolider sa révolution conservatrice, se faisant par conséquent, un adversaire de plus en plus redoutable pour l’Union européenne.

Un défi démocratique pour l’Union européenne

Pour l’historien Roman Krakovsky, dans le Courrier d’Europe centrale, la portée de cette élection présidentielle « n’était pas juste nationale : elle était aussi européenne » et l’issu du scrutin vient « renforcer le camp illibéral en Europe ». En effet, cette réélection présente de nombreux défis à venir pour l’Union européenne face à un président qui la qualifie de « communauté imaginaire dont on a peu à tirer ». Pour le politologue Stanislaw Mocek : « on ne peut certainement pas s’attendre à ce que les relations avec Bruxelles s’améliorent ».

L’une des questions au cœur du débat entre la Pologne et l’Europe depuis 2015 concerne les réformes de la justice. Pour preuve, la Commission européenne en est désormais à sa quatrième procédure d’infraction. On retrouve notamment dans cette réforme la possibilité de sanctionner tout juge qui se montrerait trop critique à l’égard des réformes judiciaires en place. Nombreux sont les éléments qui ont suscité la réaction de l’Union européenne, comme le prouvent les propos de la Vice-présidente de la Commission, Vera Jourova, pour qui « les États membres peuvent réformer leur système judiciaire, mais ils doivent le faire sans violer les traités de l’UE ».

Face au cas polonais (mais également hongrois), la Commission européenne, avec le soutien du Parlement européen, tente d’introduire depuis deux ans, un mécanisme qui viendrait conditionner le versement des fonds européens avec le respect de l’État de droit (ainsi qu’aux valeurs évoquées à l’article 2 du Traité sur l’Union européenne). Ce procédé permettrait à la Commission de contourner l’article 7 qui sanctionne tout pays membre portant atteinte à l’État de droit, mais nécessite pour cela la majorité des quatre cinquièmes des États représentés au Conseil de l’UE.

Ainsi, la rencontre des vingt-sept chefs d’État et de gouvernement, le mardi 21 juillet dernier, destinée à trouver un compromis autour du budget européen (2021-2027) et du plan de relance, devait également voir cette idée se concrétiser. Si les négociations débutèrent avec cet objectif, comme le montrent les mots du président Emmanuel Macron : « C’est simple, pas d’État de droit, zéro euro », rapidement le sujet a été évincé au profit de l’objectif premier, le plan de relance. En effet, face à l’opposition des pays "radins" au plan de relance inédit, le couple franco-allemand a dû solliciter le soutien du groupe de Visegrád (Pologne, Hongrie, Slovaquie, République tchèque).

Le passage de sanctions claires dans le texte initial, à des « mesures » en « cas de manquement » dans la version finale, témoigne ainsi d’une certaine victoire pour la Pologne et son partenaire hongrois. Car bien que cette dernière version mette en avant « l’importance de l’État de droit », tout un « régime de conditionnalité » dans un article séparé, rend possible diverses interprétations. « Il n’y aura pas de lien direct entre le soi-disant État de droit et les ressources budgétaires », assure ainsi le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, ou comme le résume Viktor Orban : « Ils ont voulu introduire un nouveau système mais on les en a empêchés ». Ainsi, les circonstances n’ont pas permis la mise en place d’un tel mécanisme. Mais l’Union européenne compte tout de même surveiller la Pologne et agir à plus petite échelle pour le moment afin de freiner la dérive illibérale.

En effet, la Commission européenne utilise d’ores et déjà un tel mécanisme mais à plus petite échelle en faisant un chantage sur les fonds européens aux collectivités locales polonaise ne respectant pas l’État de droit, par leur opposition aux droits et libertés des personnes LGBT. Cette décision fait suite à l’annonce du ministre de la justice Zbigniew Ziobro, le 24 juillet 2020, de souhaiter sortir de la Convention d’Istanbul (soit la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique). Pour cause, celui-ci « contient des éléments de nature idéologique, que nous considérons comme nuisibles », explique le ministre de la justice. Selon le journal Le Monde, « M. Ziobro estime notamment que ce traité va à l’encontre des droits des parents en demandant aux écoles d’enseigner l’égalité entre les femmes et les hommes ».

Les réactions se sont alors multipliées en Europe. Alors que certains ont qualifié de « honteux » (Iratxe Garcia Perez, présidente du groupe S&D au Parlement européen) ou de « scandaleux » (Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre belge) le potentiel retrait, d’autres ont souligné que la lutte contre les violences faites aux femmes n’était pas une idéologie, mais une obligation morale (Dacian Ciolos, président du groupe Renew au Parlement européen).

Les réactions ont également émané de la population polonaise qui s’est rassemblée le jour même à Varsovie pour montrer son désaccord (environ 2 000 manifestants). Face à ces contestations, l’Union européenne a décidé de réagir en sanctionnant financièrement le non respect des droits fondamentaux. Le commissaire européen en charge du portefeuille de la Justice, Didier Reynders, a ainsi tweeté que « les valeurs de l’Union doivent être respectées dans tous les programmes financés par l’UE ». Par conséquent, le 29 juillet, la Commission européenne a rejeté les demandes de financement de six villes polonaises, dans le cadre d’un programme de jumelage car celles-ci s’étaient déclarées zones « sans LGBT ». L’Union européenne « exhorte les autorités polonaises à révoquer toutes les résolutions » prises par les villes polonaises se déclarant « libres de toute idéologie LGBT ».

Bien que non contraignantes, ces résolutions encouragent les élus « à s’abstenir de toute action visant à encourager la tolérance à l’égard des personnes LGBT et à ne pas fournir d’aide financière aux ONG qui œuvrent en faveur de l’égalité des droits », rappelle le Parlement. Les diverses réactions ont déjà eu un certain impact sur le parti conservateur polonais qui a pris ses distances avec la proposition du ministre de la justice, affirmant que la coalition gouvernementale n’était pas unanime sur la question.

Si la Pologne semble ainsi apporter de nombreux défis à l’Union européenne, la réélection du président sortant ne doit pas pour autant cacher le score de son adversaire (l’élection présidentielle la plus serrée de l’histoire polonaise) attestant de l’émergence d’une réelle opposition libérale et pro-européenne.

Un avenir pour l’Europe en Pologne

« On a connu victoires plus éclatantes et défaites plus écrasantes », écrit le journal Le Monde. En effet, bien que la victoire revienne au parti conservateur, ces élections ont mis en avant deux choses : la constitution d’une réelle opposition, rassemblée autour d’un nouveau leader et la formation d’un électorat jeune et urbain accordé aux démocrates, soit les électeurs de demain.

Rafał Trzaskowski a su s’imposer rapidement auprès de l’opinion publique comme un candidat sérieux pouvant tenir tête au président sortant, bien que parti avec un retard dans la course. En effet, la candidate Małgorzata Kidawa-Błońska élue lors des primaires de la Coalition civique, a vu chuter les intentions de vote en sa faveur au cours de la campagne. Après l’annonce du report des élections, le maire de Varsovie Rafał Trzaskowski, est alors désigné pour devenir la tête d’affiche, notamment grâce à son charisme reconnu. Ce dernier réussit à faire basculer rapidement les sondages, rendant ainsi à la coalition libérale la deuxième place dans les intentions de vote. Cet engouement est à la fois démontré par le score serré qui départagea le candidat libéral de son opposant conservateur lors du second tour, mais également par le taux de participation inédit, s’élevant à 68% (soit le taux le plus élevé depuis le scrutin historique de 1989).

Malgré une campagne dénoncée comme « inéquitable » du fait du contrôle des médias publics par Jarosław Kaczyński, le candidat démocrate a su conquérir la moitié de l’électorat polonais. Mais si Rafał Trzaskowski a réussi à s’imposer en véritable adversaire politique face au président sortant, il s’est surtout affirmé en tant que nouveau leader des démocrates. En effet, depuis le départ de Donald Tusk, les démocrates n’avaient pas retrouvé de leadership dans la politique polonaise, « Trzaskowski a réussi à tourner la page de Donald Tusk » affirme ainsi Frédéric Zalewski, membre de la Société française d’études polonaises (SFEP). Cette reprise amorcée en 2019 avec la reprise du Sénat par les démocrates, se confirme désormais avec l’arrivée d’un nouveau leader potentiel, capable de mettre en difficulté le pouvoir en place. Pour le journal Les Echos, le « candidat des villes soutenu par un vote jeune et proeuropéen » a su devenir un « leader incontestable » de l’opposition polonaise, prouvant que « la moitié de l’électorat polonais refuse les diktats souverainistes et les atteintes répétées à l’État de droit [ouvrant] la voie d’une contre-offensive pro-européenne », renchéri le journal Le Temps.

En effet, Rafał Trzaskowski offre un nouveau visage à l’opposition et la fait apparaître au grand jour car, pour le journal suisse, « la réélection de justesse du président polonais sortant, Andrzej Duda, ne doit pas faire oublier une réalité : la moitié des électeurs, surtout au sein de la jeunesse, a voté pour son adversaire résolument pro-européen ». Car Rafał Trzaskowski a su rassembler au-delà des colorations politiques, allant davantage chercher la Pologne « dynamique » comme l’explique le média hongrois Azonnali : « Trzaskowski a réussi à rassembler derrière lui l’ensemble de l’éventail politique des oppositions ». L’issue du scrutin révèle ainsi une fracture électorale importante en Pologne avec des « électeurs jeunes et urbains » pour Trzaskowski (The Guardian) face à « la Pologne vieille, pauvre et sans instruction » pour Andrzej Duda (Azonnali). Le journal hongrois prévoit ainsi un avenir à court terme pour les conservateurs « soutenu[s] que par les électeurs du passé, tant au sens idéologique qu’au sens biologique ».

Ces deux adversaires ont été pendant cette campagne le miroir de deux Pologne distinctes sur de nombreux sujets, comme par exemple les droits des LGBT : « cette élection est une confrontation de deux visions de la Pologne, entre le blanc-et-rouge et l’arc-en-ciel », déclara notamment le ministre de la Justice conservateur. Désormais, le parti au pouvoir ne peut se permettre de prendre en compte uniquement la moitié de l’électorat, il doit pour se maintenir au pouvoir, inclure les considérations de l’autre pan de la population libérale et europhile : « difficile en somme, pour lui, d’être le président de tous les Polonais si le PiS au pouvoir poursuit ses attaques répétées et démagogiques contre Bruxelles et ses élites », confirme Le Temps. De plus, le journal suisse insiste sur le nécessaire rapprochement avec l’Europe (et non plus avec les États-Unis) que doit engager la Pologne, afin de combattre la crise économique liée au coronavirus : « C’est aux côtés des Européens, affairés ces jours-ci à boucler le budget communautaire 2021-2027, que la Pologne peut espérer sortir de la crise ». Le journal conclue ainsi que « la courte défaite de Rafał Trzaskowski, dimanche, ouvre la voie d’une contre-offensive pro-européenne ».

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