Emmanuel MACRON et l’autonomie stratégique européenne : entre cohérence et maladresse

, par Nathan Lille

Emmanuel MACRON et l'autonomie stratégique européenne : entre cohérence et maladresse
Les drapeaux européens et chinois flottant côte à côte lors du déplacement de Emmanuel MACRON et d’Ursula von der LEYEN en Chine. © Commission européennne

L’interview d’E. MACRON lors de son retour de Chine a provoqué un certain « tollé » que ce soit parmi certains analystes français ou parmi les États membres. Pourtant, sa réplique sur l’autonomie stratégique européenne n’est pas nouvelle et ses propos sont cohérents par rapport à ses anciennes allocutions, notamment son discours de la Sorbonne. L’objectif principal de ce type d’interview d’E. MACRON est de jeter « un rocher dans la marre » et de voir les réactions.

L’autonomie stratégique comme quête d’une « Europe puissance »

Déjà en 1923, R. N. COUDENHOVE-KALERGI prônait une Europe indépendante capable de rivaliser avec les futures grandes puissances. 100 ans plus tard, exactement le même défi se pose avec le concept d’autonomie stratégique. Les crises de ces dernières années – en commençant par celle du multilatéralisme enclenchée par l’élection de D. TRUMP – ont fait prendre conscience à l’Union de son incapacité à rivaliser avec la Chine et les États-Unis. Cette prise de conscience s’est transformée en une volonté politique de développer une nouvelle forme de puissance européenne. Cette volonté s’est traduite dans l’élection d’une Commission « géopolitique » avec la présidente von der LEYEN et se traduit aujourd’hui dans le concept d’autonomie stratégique européenne. L’activisme du président français sur la question n’est pas nouveau, tout comme ses entretiens chocs et sa maladresse communicationnelle – rappelons-nous la « mort cérébrale » de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord ou ses propos en France lors de la crise sanitaire – rien d’inédit donc dans cette interview d’E. MACRON qui a fait sien ce concept depuis son premier mandat.

Un désintérêt américain croissant

J. BORRELL indiquait que l’autonomie stratégique est un processus de « survie politique » de l’Union européenne. Face à la hausse de la conflictualité dans le système international, l’Union doit parvenir à s’imposer comme une puissance indépendante. Il s’agissait d’une position pratiquement unanime sous l’ère de D. TRUMP, mais certains États ont changé leur position depuis l’élection de J. BIDEN. Il se trouve toutefois que l’approche américaine des relations internationales n’a pas radicalement changé. Il serait peut-être temps que certains États membres – tels que l’Allemagne et les pro-atlantistes pays de l’Est – prennent conscience qu’il est plus stratégique de reposer sur ses partenaires européens plutôt que de dépendre des États-Unis, qui peuvent s’avérer être des alliés plus que bancals. Et il ne faut pas oublier la forte probabilité de voir arriver un D. TRUMP bis à la Maison-Blanche en 2024. Les États-Unis restent nos alliés, mais il faut cesser de les percevoir comme les champions de la sécurité internationale dictant l’agenda diplomatique européen. Ils se désintéressent de plus en plus de l’Europe en se projetant dans la région indo-pacifique et pressent les Européens pour un plus grand partage de responsabilités pour la sécurité du Vieux continent.

Une maladresse volontaire ?

Sur la Chine, la position du Président semble stratégique, mais maladroite. Il laisse planer le doute quant à la question de Taïwan, en sous-entendant qu’elle n’est pas le problème de l’Europe. Bien que cela soit juridiquement faux – en portant atteinte à la Charte des Nations Unies que l’Union européenne protège conformément aux articles 3 et 21 du traité sur l’Union européenne – qui peut réellement croire que l’Union ne réagirait pas à une invasion de Taïwan ? Il s’agit plus d’une posture du président français afin de démontrer à la Chine que l’Union européenne peut s’avérer être un partenaire indépendant et mesuré. Là se retrouve tout l’intérêt du « rocher dans la marre ». À quoi bon se mettre la Chine à dos et accentuer l’hostilité internationale ? Qu’on le veuille ou non, la Chine est un acteur international majeur avec qui il faut traiter. Vaut-il mieux être dans une relation de partenariat ou d’exacerber les tensions en étant les artisans d’une future crise ? Sur ce point, l’Union européenne a tout intérêt à jouer la carte du partenaire fiable afin d’être en mesure d’influencer la politique chinoise par le biais de son soft ou normative power.

Une interview au nom et pour le compte de qui ?

Enfin, en ce qui concerne la légitimité d’E. MACRON pour parler au nom de l’Union européenne, il est clair que pour ce déplacement en Chine, le président français représentait la France et en aucun cas l’Union européenne. Il n’avait pas obtenu le mandat des 27 à ce titre. C’est la raison pour laquelle la présidente de la Commission européenne a effectué le déplacement à ses côtés, afin de représenter l’Union européenne. Pour preuve, E. MACRON était accompagné d’une délégation de ministres et de chefs d’entreprises qui ont signé de nombreux accords et partenariats commerciaux avec le géant asiatique. Là se trouve tout le paradoxe dans l’interview d’E. MACRON, président français, où ce dernier semble parler au nom et pour le compte de l’Union européenne.

Malgré ses maladresses, possiblement volontaires, E. MACRON est conforme à sa politique européenne et fidèle à lui-même. Il ne fait que rappeler l’objectif de l’Union européenne de développer sa puissance de manière autonome. En effet, cette autonomie stratégique pourrait guider l’Union vers un statut de puissance d’équilibre par le droit dans le système international. Et c’est à ce titre qu’il est pertinent de ne pas attiser l’hostilité avec la Chine et de se démarquer de la politique extérieure des États-Unis d’Amérique.

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