Le Conseil des médias, le bras armé d’Orban
Cet organe gouvernemental a été mis en place dès 2010, quelques mois après le retour de Viktor Orbán au pouvoir. L’objectif affiché était simple : sanctionner toute presse qui ne respecterait pas “l’équilibre correct de l’information”. RSF n’a eu de cesse de souligner le caractère inacceptable du Conseil des médias appelant les institutions européennes à réagir. L’ONG pointe dans un rapport du 3 décembre 2019 (réalisé en coopération avec 6 autres ONG) les problèmes que posent cette institution qui est “composée de 5 membres, tous nommés par le Fidesz”. De même, les décisions prises dans le cadre de ce Conseil n’auraient eu que pour but d’empêcher la fusion des médias indépendants, et donc leur survie financière, tout en favorisant celle des médias contrôlés par des proches du gouvernement.
Au niveau européen, les réactions avaient alors tardé à venir et sont restées plus que timides. Dix ans après, on peut y voir les prémices de la surdité européenne à l’égard des atteintes commises contre l’Etat de droit en Hongrie, il aura en effet fallu attendre 2018 et l’action du Parlement européen pour que le cas Orbán commence à émerger au sein des cénacles européens.
Une prise de contrôle du paysage médiatique.
Cette hostilité à l’égard de la liberté de la presse, débutée rapidement par le Fidesz, a atteint son point d’orgue à la fin de l’année 2018, lorsque plusieurs centaines de médias sont passés sous le contrôle de la Fondation pour la presse et des médias d’Europe centrale (KESMA), dirigé par un proche du Premier Ministre hongrois.
La première étape a surtout visé à affaiblir économiquement les médias indépendants, et à encourager l’auto-censure et l’orientation pro-gouvernementale pour obtenir des financements - notamment via des encarts publicitaires occupés par la propagande gouvernementale. En parallèle de quoi s’est organisé le processus de rachat de plusieurs médias, obéissant à la volonté de Viktor Orbán de voir “le capital national dépasser le capital international s’agissant des médias”, comme l’a rappelé l’Observatoire du Journalisme (OJIM) dans une enquête- publiée en trois parties. Il y est souligné que cette stratégie s’est réellement révélée en 2015 après que Lajos Simicska, oligarque hongrois et soutien du Premier Ministre a décidé de lui retirer son appui. Viktor Orbán a alors lancé la reconstitution de son “soutien médiatique” qui s’est donc en partie achevée en 2018.
L’une des principales victimes de cette OPA a été le journal Népszabadság dont l’ancien rédacteur en chef András Dési a récemment accordé un entretien à The New Federalist, la version anglophone du Taurillon. Il y décrit comme un “assassinat” la fermeture de son journal qui provient selon lui d’une rencontre entre ses propriétaires et le Premier ministre en juin 2016. Le quotidien ne correspondant pas à la ligne éditoriale de la presse gouvernementale, Viktor Orbán aurait alors demandé l’arrêt pur et simple de la publication, qui est survenu du jour au lendemain.
Il est intéressant de noter que la presse gouvernementale s’appuie en partie sur une nouvelle génération de journalistes qui intègrent ces rédactions “souvent par conviction ou fidélité au premier ministre, mais aussi par passion pour le journalisme” comme l’a relevé le Courrier d’Europe Centrale.
L’OJIM a cependant nuancé la portée de cette mainmise. En effet, malgré les assauts du pouvoir hongrois, la presse d’opposition au gouvernement représente tout de même 50% de l’audience nationale, grâce notamment à internet où l’on retrouve chaque jour de nouveaux médias indépendants comme index.hu parmi les plus connus.
L’inaction européenne
Il est important de souligner que durant ces dix dernières années, Viktor Orbán a pu agir en toute impunité. En adhérant à l’Union européenne en 2004, la Hongrie s’est engagée à respecter les traités européens, or petit à petit, elle bat en brèche les principes fondamentaux de l’UE, dont l’État de droit, en s’attaquant à la liberté de la presse. Dans ce mouvement de déconstruction il y a en réalité deux complices : les institutions européennes et les Etats membres.
Le dirigeant hongrois a assurément bénéficié d’une immunité en appartenant au PPE, groupe politique européen majoritaire au parlement européen depuis plus de 20 ans, et qui lui a indirectement fait bénéficié d’un “soutien” de la Chancelière allemande. Le parti Fidesz suspendu depuis plus d’un an du PPE ne semble pas menacé, et même depuis la récente acquisition d’une forme des pleins pouvoirs, l’exclusion ne semble pas être à l’ordre du jour.
En parallèle, le déclenchement de l’article n’a pu survenir que sur l’initiative du Parlement européen en 2018 et est depuis coincé dans les mains du Conseil de l’Union européenne (filtre nécessaire avant une décision du Conseil européen à l’unanimité).
A l’heure où même l’Allemagne s’attaque à un principe européen, via la décision de la Cour constitutionnelle allemande, l’Union européenne se doit d’endiguer tous ces appels d’airs, ou elle continuera à creuser sa tombe.
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