Une tentative de « coup d’Etat » orchestré par le Parti Démocrate (PDM)
Mais la tâche s’annonçait rude pour ce nouveau gouvernement. La Cour constitutionnelle a en effet rejeté toutes les décisions prises par le nouveau Parlement car elle considère qu’il devrait être dissous par le Président moldave Igor Dodon, lequel aurait dû de fait immédiatement convoquer des élections législatives anticipées. La Constitution de la République de Moldavie prévoit qu’un gouvernement doit être constitué dans un délai de 3 mois (Art. 85) à compter de la validation des élections. La validation ayant eu lieu le 9 mars 2019, le gouvernement devait donc être constitué au plus tard le 9 juin 2019. Or la Cour Constitutionnelle a préféré interpréter ce délai de 3 mois en 90 jours (« 90 de zile »). Elle avait donc annoncé que le gouvernement devait être formé au plus tard le vendredi 7 juin mais la coalition ACUM - PSRM n’a été formée que le lendemain, c’est pour cette raison que la Cour réclamait la dissolution de l’assemblée à Igor Dodon qui refusa catégoriquement de s’y soumettre. Saisie par un groupe de députés du Parti démocrate (PDM), la Cour constitutionnelle a, le 9 juin, démis de ses fonctions le président Igor Dodon et nommé comme président par intérim le premier ministre du gouvernement sortant Pavel Filip issu bien sûr des rangs du PDM ! Qui a dit qu’une telle Cour devait être indépendante ?
Vous n’avez pas d’argent ? Le PDM vous en donne
Le même jour, le dimanche 9 juin, une manifestation de grande ampleur était organisée à la Place de la grande assemblée nationale (PMAN) de Chișinău où autour du boulevard Ștefan cel Mare s’alignent sur un même axe le gouvernement, l’Arc de triomphe et la Cathédrale orthodoxe. La place était noire de monde. C’était l’insurrection du PDM. Au cours de la nuit de samedi à dimanche, soit le soir même de l’annonce du nouveau gouvernement, ils avaient planté leurs tentes tout autour du gouvernement. Il était 22h et des camions livraient planches de bois, scies et autres ; le nécessaire pour monter ce qui allait être le lendemain la scène investie par Vladimir Plahotniuc, l’oligarque le plus riche de Moldavie et Pavel Filip, bref les corrompus du PDM. La police quadrillait l’ensemble des institutions politiques et passait la nuit dans des bus qui rappellent cruellement l’ère soviétique.
A midi, sous un soleil de plomb par 30 degrés, ces manifestants exhortaient « Dodon jos » (« Dodon à terre »), « Victorie » (« Victoire » - même slogan que lors des élections du 24 février car fermement convaincus que des élections anticipées seront tenues le 6 septembre), « Țara nu se vinde » (« Le pays n’est pas à vendre) ou « Dodon, curcanul » (« Dodon, la dinde »). Ces manifestants du Parti démocrate se sont ensuite dirigés 500 mètres plus loin en direction du palais présidentiel, y lançant des dindes vivantes et arborant des images disgracieuses du président Dodon. Le moins qu’on puisse dire c’est que les moyens financiers étaient réunis. Pour réaliser un tel coup de force le PDM rémunère les manifestants - les montants exacts ne sont malheureusement pas encore connus. Ces élections anticipées réclamées par l’oligarchie du camp démocrate ne pouvaient être la solution pour la Moldavie, c’est ce qu’avait d’ailleurs affirmé Dacian Cioloș, le député européen roumain en tête pour prendre la présidence du groupe politique européen ex-ADLE désormais renommé « Renew Europe ». Il affirmait que des élections anticipées telles que réclamées par le PDM le 6 septembre pourraient faire « sombrer la Moldavie dans le chaos ».
Un revirement impromptu
Une fois le décret de dissolution du Parlement signé par le Président par intérim et premier ministre Pavel Filip, le gouvernement Sandu dénonçait un coup d’Etat et les accusations se faisaient de plus en plus virulente à l’encontre de la Cour Constitutionnelle sous influence du Parti démocrate.
Le mardi 11 juin la Cour Constitutionnelle répond des chefs d’accusation indiquant qu’elle « est la seule autorité indépendante de toute autre autorité, c’est-à-dire soumise uniquement à la Constitution ». Deux jours plus tard, ACUM annonçait sa riposte sur Facebook avec la Marche pour le Peuple prévue le dimanche 16 juin. Elle n’aura finalement pas lieu car le week-end aura eu son lot de rebondissements. Vendredi 14 juin, début de soirée, le premier ministre Pavel Filip décide de jeter l’éponge et annonce publiquement sa démission, faisant le bilan des actions entreprises pendant les trois années passées à la tête du gouvernement, puis ajoutant : « Personne ne va annuler la décision de la Cour constitutionnelle. La crise constitutionnelle demeure sans solution. J’espère que tous les acteurs politiques le comprennent. ». Le lendemain Vladimir Plahotniuc, le bras droit de Pavel Filip, fuit la Moldavie et serait monté à bord d’une voiture à destination d’Odessa (Ukraine) pour monter dans un avion privé qui s’envolera pour la Turquie. Peu de temps plus tard la famille de Ilan Șor, proche de Vladimir Plahotniuc, s’envole pour Moscou. Celui-ci se trouve à la tête du parti éponyme de droite Șor. Maire de la ville de Orhei il a ouvert un grand parc d’attractions gratuit. Dans ce parc, les enfants jouent sous les drapeaux de son parti Șor avec pour slogan « Pour l’avenir de nos enfants ». Sans nul doute Ilan Sor était impliqué dans la fraude bancaire de 2014 au cours de laquelle 1 milliard de dollars s’est évaporé des caisses publiques — soit l’équivalent de 10% du Produit intérieur brut moldave… Alors que certains larguent les amarres, Maia Sandu s’exprime à ses soutiens lors d’une conférence de presse qu’elle tiendra en anglais « Moldova is free », (« La Moldavie est libre »). Non seulement l’oligarchie a quitté le pouvoir mais la Cour constitutionnelle annule les décisions qu’elle a prises en son sein du 7 au 9 juin 2019 et reconnaît finalement le gouvernement de Maia Sandu. Etrange revirement pour une cour dite « indépendante »…
Le début d’un long assainissement politique
La constitution de l’équipe gouvernementale a été dévoilée ce lundi 17 juin avec la présentation des ministres. Le gouvernement est constitué entièrement de membres d’ACUM hormis deux ministères laissés aux soins du parti socialiste (ministère de la défense et vice-premier ministre en charge de la réintégration). Le gouvernement s’annonce bel et bien pro-européen mais le gouvernement pourrait être bloqué par les divergences de fond qu’il a avec son allié de circonstance, le parti socialiste. A ce titre, le président socialiste Igor Dodon a invité à la constitution d’un moratoire afin de relever les principales divergences entre les deux forces politiques. Moratoire qui selon lui renforcerait l’action gouvernementale. Vice-premier ministre du gouvernement Sandu, ministre de l’intérieur et leader fondateur du Parti de la plateforme vérité et dignité (DA), Andrei Naștase est bien connu pour être le candidat évincé à la Mairie de Chisinau en juin 2018 où il avait été élu à 52,57% contre le socialiste Ion Ceban. La Cour Suprême avait annulé son élection pour cause d’irrégularité de l’élection municipale. Cette manigance orchestrée de toutes pièces avait conduit l’Union européenne à geler une aide de 100 000 euros. Tout n’est pas encore réglé dans cette affaire mais Andrei Naștase compterait se représenter cet été à la tête de la capitale. « Les actions de Plahotniuc ne resteront pas impunies » a annoncé Maia Sandu. Et d’ajouter : « À partir d’aujourd’hui vous ne serez plus au service d’un politique, d’un groupe d’intérêt ou d’un groupe criminel » La première ministre Sandu cherche à rassurer ses partenaires européens qui ont affirmé que l’assistance macro-financière de l’Union européenne sera débloquée dès lors que la Moldavie retrouvera le chemin de l’Etat de droit et respectera le pluralisme des médias. Johannes Hahn, Commissaire européen à l’élargissement et à la politique de voisinage avait annoncé dès la nomination du nouveau gouvernement Sandu au Parlement le 8 juin être prêt à travailler avec ce dernier.
Il y a ceux qui partent et ceux qui reviennent
Il y a ceux qui partent et il y a aussi ceux qui reviennent. Un opposant au Parti démocrate jusque-là en exil politique, Renato Usatîi, a fait son retour en Moldavie. Alors accusé d’une tentative d’assassinat de Herman Gorbunţov il était réfugié depuis deux ans et demi en Russie. Le procureur a levé les sanctions à son encontre. Renato Usatîi dit que les accusations à son encontre sont infondées et à la manoeuvre du PDM. Et puis il y a ceux qui restent en Moldavie. Le gouvernement s’attelle encore à démanteler l’arsenal démocrate au sein de la justice moldave tel que le montre le cas du procureur général Eduard Harunjen que le gouvernement a appelé à démissionner. Maia Sandu a annoncé la teneur des mesures à venir. Elle souhaite mettre en place un bureau de lutte contre la corruption et la réforme de la justice composé d’experts nationaux et internationaux qui lui serait rattaché. Les preuves des malversations de certains personnages politiques étant difficiles à obtenir, elle a annoncé la mise en place d’un numéro de confiance pour que chaque moldave puisse témoigner des fraudes constatées. Elle a également fait une demande auprès de l’entreprise Kroll pour obtenir le rapport complet à la suite de l’enquête en 2015-2016 sur la fraude bancaire d’un milliard de dollars pour l’heure toujours restée impunie.
La route est longue encore pour le gouvernement de Maia Sandu mais la direction que son train de mesures envisage va dans le bon sens. Femme de courage et de parole, son mandat ouvre la voie à un nouveau chapitre, vers une Moldavie plus démocratique au coeur de laquelle se trouve la liberté de la presse et où la justice n’est pas au service d’une poignée d’oligarques. Là où la jeunesse reviendra et ne partira plus en quête d’un avenir meilleur.
1. Le 29 juin 2019 à 10:27, par V.Golovanow En réponse à : En Moldavie, un nouveau gouvernement anti-corruption
Bravo pour cet excellent article qui parle enfin de la situation dans un pays européen complètement occulté par nos media !
2. Le 2 juillet 2019 à 00:20, par Moi En réponse à : En Moldavie, un nouveau gouvernement anti-corruption
Bonjour Estelle, Bravo pour ton article mais ce n’est peut-être qu’un feu de paille ! Trois semaines de gouvernance avec des belles paroles ne veulent rien dire à ce stade. Il faut garder une position neutre et un jugement objectif des faits car l’effet de renouveau se ressent à chaque nouveau changement de pouvoir surtout en Moldavie. Il y a manifestement beaucoup de manipulations médiatiques, d’un côté comme de l’autre où tous les coups sont permis entres les oligarques avec des revenus ahurissant pour le pays. Il faut laisser du temps au temps pour que les faits bénéfiques puissent être mesurés avec ce nouveau gouvernement. Je leur souhaite bon courage et que leurs actions et résultats futurs parlent pour eux.
3. Le 7 juillet 2019 à 16:10, par Valeria En réponse à : En Moldavie, un nouveau gouvernement anti-corruption
Merci pour cet article qui reflète la réalité. Je suis Moldave et je pense que cet article est bien écrit et surtout tu t’es bien documenté. Merci encore
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