En Turquie, dissolution du PKK après 40 ans de lutte armée : vrai espoir ou feu de paille ?

, par Volkan Ozkanal

En Turquie, dissolution du PKK après 40 ans de lutte armée : vrai espoir ou feu de paille ?
Manifestation kurde sur le vieux port à Marseille pour libérer Abdullah Öcalan ©Flickr

La nouvelle était passée inaperçue dans l’actualité turque ces derniers mois. En février dernier, le fondateur et dirigeant historique du PKK, Abdullah Öcalan, emprisonné sur l’île d’Imrali depuis 1999, a demandé à son mouvement de déposer les armes, mettant un terme à la lutte armée engagée contre la Turquie depuis 40 ans. Toutefois, l’annonce de cette nouvelle a été éclipsée par l’arrestation du maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, en mars dernier. Si l’annonce par le mouvement, qui a prononcé lors d’un congrès sa dissolution le 12 mai, peut être qualifiée d’historique, que penser de cette nouvelle donne ? Coup de bluff, volonté réelle de ramener la paix entre les deux parties aux antipodes ou tout simplement mener la lutte vers un terrain politique afin de gagner en crédibilité ?

Fin actée de la lutte armée après 40 ans

En Turquie, l’acronyme PKK a plusieurs significations selon le prisme dans lequel on se place. Pour la majorité des Turcs, le « Parti des travailleurs du Kurdistan » représente une engeance terroriste, accusée d’avoir commis de nombreux attentats. Que ce soit à la bombe ou par des assassinats contre des civils ou des représentants de l’Etat, il mène une lutte sans merci face au pouvoir turc. Ce mouvement séparatiste est fondé en 1978 notamment par Abdullah Öcalan, son chef historique et qui le dirige encore depuis sa prison, de tendance marxiste-léniniste mais qui laisse une grande place aux femmes dans son organisation. Il apparaît le 15 août 1984 avec l’appel au « soulèvement du peuple kurde », lancé afin de fédérer ces populations qui vivent majoritairement à l’Est de la Turquie.

Ancré notamment dans des régions montagneuses, difficiles d’accès, le PKK lance des attaques ciblées sur tout ce qui représente les intérêts turcs. Que ce soit dans les villages avec une politique de terre brûlée ou par des actions de guérilla en ville, tout est fait pour instiller la peur et commettre le plus de dégâts possibles. Cette lutte armée menée par des effectifs allant de 5000 à 15000 combattants et qui fait 40000 victimes a même bouleversé l’équilibre de tout l’est anatolien, historiquement délaissée par l’Etat turc. Le PKK représente un versant sociologique majeur dans l’histoire du pays avec l’émergence des mouvements de population allant vers l’Ouest du pays et notamment Istanbul.

Un mouvement classé terroriste mais avec des ramifications luttant contre le terrorisme

D’un autre côté, pour les tenants de la cause kurde, le PKK est une vitrine armée d’une politique de terreur visant à amener sur le devant de la scène, les intérêts kurdes au premier plan. Mais il a surtout permis à Öcalan d’être leur sa figure de proue. Peuple à cheval sur plusieurs pays (Turquie, Irak, Iran, Syrie) mais sans état reconnu, les Kurdes ont été les grands perdants du Traité de Lausanne de 1923, qui a reconfiguré les contours de la Turquie moderne, au détriment du Traité de Sèvres de 1920 qui leur octroyait un État.

Le PKK est inscrit sur la liste des officines terroristes par bon nombres de pays, mais le mouvement kurde, à travers le YPG (« Unités de protection du peuple », branche syrienne kurde), est revenu en grâce lors de la campagne terroriste qu’a connue l’Europe, il y a une dizaine d’années. Auxiliaires des forces qui luttaient contre l’Etat islamique (Daech), ces derniers ont participé, avec le PKK, à de nombreux combats notamment à Kobané, en Syrie. Le 12 mai, l’abandon de la lutte armée du PKK est donc une date historique. Cependant, cette annonce met fin au conflit sur le terrain militaire, mais pas politique. Öcalan dirige toujours les opérations, mais en parallèle avec un groupement de personnalités politiques présentes au sein de la Grande Assemblée Nationale de Turquie. Ces derniers ont donc intensifié les pourparlers depuis quelques mois sur un terrain plus politique.

Main tendue par me MHP, mais quel crédit accordé à cet acte ?

Dans le passé, Erdoğan a tendu la main aux Kurdes, en fonction de ses intérêts électoralistes. Mais, c’est paradoxalement son allié nationaliste, le MHP (« Parti d’action nationaliste »), qui a tout d’abord exprimé son souhait de sortir de l’ornière. Devlet Bahçeli, chef de ce parti depuis 1997, a dérouté même ses plus proches collaborateurs en suggérant d’assouplir les conditions de détention d’Öcalan, à l’isolement complet. Adversaire d’un mouvement qu’il combat pourtant de toutes ses forces, c’est son leader, Bahçeli, qui tend la main à Öcalan en le remerciant même de sa volonté de dissoudre son mouvement. Une situation impensable il y a à peine quelques mois.

« Si le régime d’isolement du leader terroriste est levé, laissons-le venir s’exprimer. Laissons-le annoncer que le terrorisme est complètement terminé et que son organisation est démantelée »

Un autre parti est aussi entré dans la danse, le DEM (« Parti de l’égalité et de la démocratie des peuples ») avec un triumvirat impliqué dans ce rapprochement entre les parties : Pervin Buldan, Ahmet Türk et Sırrı Süreyya Önder, ce dernier étant décédé le 3 mai dernier. Responsables politiques et députés, ils font le lien notamment avec Öcalan et sont un sas de communication entre le leader emprisonné et l’extérieur. Le but étant de trouver une solution afin que les conditions de détention du leader kurde soient assouplies, tout en montrant de la bonne volonté en abandonnant la lutte armée, condition sine qua non pour Ankara avant d’engager des pourparlers.

Mais, chaque parti a aussi une partition à jouer. Pour le DEM, créer les conditions favorisant la mise en avant d’Öcalan, qui est toujours le chef et est désigné comme le négociateur de cette séquence. L’idée est de créer les conditions d’un rapprochement politique et sortir de cette désignation de terrorisme qui définit le PKK depuis 40 ans.Pour Bahçeli, à 77 ans passés et après des années de rhétoriques ultra-nationalistes, cette pirouette est une façon de se remettre au centre du jeu. Absent pour des problèmes de santé pendant quelques temps, ce dernier souhaite probablement associer son nom à la fin d’une période noire pour la Turquie.

Coup (géo)politique d’Erdogan sur fond de dissensions nationales

Chacun des partis est concerné dans ces négociations qui s’annoncent en fonction de son agenda et de ses propres intérêts. Mais, le grand vainqueur de la séquence est paradoxalement celui que l’on entend le moins sur le sujet. Recep Tayyip Erdoğan fait figure, pour ses partisans, de vainqueur désigné de cette annonce. Un coup politique intérieur qui fait de lui le « faiseur de paix », celui qui a mis fin à quatre décennies de terreur. Après des revers électoraux, notamment la perte de la mairie d’Istanbul, Erdoğan sait aussi que sa majorité a besoin du vote kurde pour se maintenir. Même si tout n’est pas réglé, notamment la fin des armes en circulation et la reddition de ceux accusés de crimes, Erdoğan a réussi un coup politique, lui qui se félicite de cette « fenêtre d’opportunité historique ».

Mais le principal écueil est la division de la population turque sur le sujet et la réticence de cette dernière à justement « saisir cette « fenêtre d’opportunité historique ». Pour la majorité des Turcs, pactiser avec « Apo » (le surnom d’Öcalan) est une insulte à la mémoire des nombreuses victimes du conflit. Il est donc tout bonnement hors de question d’accepter une quelconque inflexion permettant à Öcalan d’être libéré et d’avoir voix au chapitre. Même s’il affirme le contraire en indiquant « qu’aucun membre de cette nation, qu’il soit turc ou kurde, ne pardonnera à quiconque de bloquer ce processus par des discours ou des actions ambivalentes, comme cela s’est produit dans le passé » , il n’en demeure pas moins que le sujet est hautement sensible. Erdoğan sait qu’il ne peut pas aller aussi loin dans sa démarche. Sur le papier, c’est un coup politique majeur effectué par le président turc qui peut lui valoir des votes lors des prochaines présidentielles de 2028.

C’est surtout au niveau international que cette annonce préfigure un changement. La mise sous coupe du PKK est une épine en moins dans le pied turc. Ankara pouvant se concentrer sur la Syrie avec l’arrivée au pouvoir du nouveau président Syrien Ahmed al-Charaa. Réputé pour être proche de son homologue turc, ce dernier a pour volonté d’intégrer à son gouvernement « toutes les institutions civiles et militaires relevant de l’administration autonome kurde du nord-est de la Syrie » dont le YPG. Ce qui, pour Erdoğan, n’est pas acceptable. Pour le président turc, la fin d’un front peut lui permettre de se concentrer sur un nouveau afin de mettre fin aux velléités indépendantistes des Kurdes, quels qu’ils soient. Mais rien n’est gagné pour autant puisque le PKK a déjà fait montre de « bonne volonté » dans le passé sans pour autant coordonner ses actes avec sa parole.

Lutte terminée pour le PKK mais nouvelle lutte sur le terrain politique

Öcalan a 75 ans, est emprisonné depuis 1999 et même s’il reste le leader incontesté, il penche inéluctablement vers la vieille garde politique kurde. Dès lors, son annonce peut-elle ouvrir un champ des possibles ou bien être la goutte d’eau de trop pour les plus réfractaires à un accord avec Ankara ? Difficile à dire tant que des actions concrètes n’auront pas été engagées des deux côtés mais c’est une nouvelle ère qui s’ouvre si la dissolution du PKK est actée dans les faits.

Si la lutte armée se termine, le terrain politique sera d’un autre acabit entre revendications affichées d’un côté et volonté de ne pas se déjuger de l’autre. Sur le papier, la volonté existe et semble réelle mais seules des actions concrètes diront vers où tend cette démarche de main tendue. Le DEM peut-il prendre le leadership du versant politique et représenter toutes les tendances kurdes ? Quid de Selahattin Demirtaş, ancien co-président du HDP (« Parti démocratique des peuples »), ancien nom du DEM, emprisonné lui aussi ? L’électorat kurde, qui ne suivait pas forcément le PKK dans ses actions violentes, se retrouvera-t-elle dans un mouvement politique censé les unir ? Quel sera l’intérêt de la population kurde pour cette nouvelle perspective ? Beaucoup de questions restent en suspens.

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