Des partis traditionnels décrédibilisés dans un pays violemment touché par la crise
Très durement touchée par la crise de 2008, l’Espagne, dont l’économie avait spectaculairement crû au prix notamment d’une bulle immobilière, ne s’est toujours pas relevée de ce violent choc. Malgré les déclarations récentes extraordinairement optimistes de son premier ministre, Mariano Rajoy, qui a annoncé la création d’un million d’emplois en cas de réélection, les chiffres incitent à la plus grande prudence. Ainsi, 23,7% de la population est actuellement au chômage, 17% des travailleurs le sont à temps partiel et un quart des nouveaux contrats créés ont une durée inférieure à une semaine de travail par mois. Socialement, les réformes pour une plus grande flexibilité du marché du travail négociées avec la Troïka sont particulièrement contestées, jusqu’à des instances comme le Conseil de l’Europe, soulignant que de telles mesures faisaient peser un danger « pour la démocratie et les droits sociaux » (résolution 1884 du 26 juin 2012). Moralement, la nationalisation par le gouvernement actuel de l’institution bancaire Bankia dont les activités spéculatives avaient pu aller jusqu’à vendre des actions à des nourrissons ou des personnes atteintes d’Alzheimer a du mal à passer.
Parallèlement à ce contexte, les partis traditionnels ont vu leur légitimité remise en cause par d’importants cas de corruption. Pour le Parti Populaire au pouvoir, l’affaire Barcenas du nom de son ancien trésorier a été compliquée à dépasser. Le financement illégal du parti via un compte en Suisse se chiffrant à plusieurs dizaines de millions d’euros a été révélé au grand jour. A l’échelle européenne, il se voit pourvu d’un soutien inconditionnel d’Angela Merkel, adoptant chaque jour une position plus intransigeante à l’égard de la Grèce.
L’opposition traditionnellement matérialisée par le Parti Socialiste n’est plus perçue comme une alternative crédible. Le charisme de son nouveau leader, Pedro Sánchez, choisi pour son image de gendre idéal plus que pour ses qualités de débatteur discutables, est régulièrement moqué. Les dissensions internes deviennent publiques : l’exclusion et le remplacement par la direction du PS de son candidat choisi par les militants à la mairie de Madrid pour une affaire de corruption a provoqué une guerre ouverte. Ainsi, les serrures des bureaux de l’organisation ont été changées afin que l’ex candidat ne puisse physiquement plus y accéder. Enfin, les déclarations de l’ex premier ministre et très écouté Felipe Gonzalez affirmant clairement que former une coalition avec le PP était envisageable ont glacé son électorat traditionnel. Les socialistes espagnols ne semblent actuellement pas avoir de véritable vision européenne, privilégiant très clairement des problématiques d’ordre national.
La gauche de la gauche ne profite guère de la situation. Ses représentants principaux, Izquierda Unida, membre du groupe PGE à Strasbourg semblent à bout de souffle. Sans doute la surprenante alliance objective menée avec le PP en Extremadura en refusant de s’opposer à son investiture comme à son action a-t-elle contribuée à brouiller sa ligne idéologique. Tantôt alliée de la droite comme nous venons de le souligner, composée des socialistes soutenus en Andalousie ou encore restée en-dehors du champ bipartite dans la communauté de Madrid, cette formation n’a jamais su capter ces dernières années la contestation populaire croissante qui semble animer une partie de la population.
Une contestation populaire aboutissant à l’émergence de nouvelles forces politiques
Représentation politique du mouvement des indignés, Podemos s’est imposé depuis sa création il y a un peu plus d’un an comme la principale alternative au bipartisme traditionnel. Adepte d’une ligne anti-austérité et partisan d’une Europe sociale, il a manifesté à de multiples reprises son soutien à Syriza. Ses députés reversent l’essentiel de leurs indemnités européennes à diversesassociations liées au parti, se positionnant ainsi contre ce qu’ils considèrent comme des privilèges de ce qu’ils nomment régulièrement la « caste » politique et médiatique, laquelle lui a rendu ses coups par d’autres violentes déclarations. De Jürgen Donges, conseiller d’Angela Merkel les comparant à Hitler, à des responsables du PP les accusant d’être à la solde de l’ETA (Euskadi ta Askatasuna, le groupuscule paramilitaire indépendantiste basque), jusqu’à la télévision publique espagnole diffusant un photomontage de la candidate en Andalousie représentée nue afin de dénoncer sa prétendue petite vertu, les joutes verbales dépassent souvent le cadre de la bienséance. La polémique la plus récurrente concerne toutefois Juan Carlos Monedero dont les collaborations passées et rémunérées avec plusieurs gouvernements de la gauche sud-américaine lui ont valu de nombreuses critiques de ses opposants.
Ces dernières semaines, un autre parti a effectué une spectaculaire percée dans les sondages. Ciudadanos, qui se présente comme l’incarnation d’un changement modéré, est dirigé par Albert Rivera, jeune avocat de 35 ans et nouvelle coqueluche des médias. Catalan anti-indépendantiste et relativement charismatique, il plaît principalement à l’électorat conservateur déçu du PP. Si son programme économique et social est encore très indécis, il s’est en revanche prononcé sur les questions de société comme traditionnaliste, se positionnant par exemple en faveur du projet de loi abandonné de remise en cause du droit à l’avortement par le gouvernement actuel. Fondé par des dissidents du Parti Populaire et titulaire depuis neuf ans de sièges au Parlement catalan, son caractère novateur tient plus de son changement de dimension (d’une audience locale à nationale) que de l’émergence d’une structure récente, à l’instar de Podemos.
Vers un pays ingouvernable ?
Au coude-à-coude dans les derniers sondages, ces quatre partis et leurs scores respectifs (évalués à 20% chacun) pourraient déboucher à la fin de l’année sur une impasse politique. Un gouvernement d’union nationale semble à l’heure actuelle inenvisageable au vu de la violence des attaques verbales entre les uns et les autres.
Toutefois, les élections anticipées en Andalousie du 22 mars dernier nous incitent à relativiser la situation. Région comprenant le plus de votants, celle-ci a placé le Parti Socialiste en tête, au pouvoir dans cette communauté depuis quarante ans et la fin de la dictature franquiste. Finalement, cette année électorale ne risque-t-elle pas de remettre au goût du jour la prophétie de Tancrède, l’un des personnages principaux du Guépard de Tomasi di Lampedusa qui disait : « Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change » ?
1. Le 24 avril 2015 à 19:40, par Alain En réponse à : Espagne : une année électorale annonciatrice d’alternatives ?
Voyons le grand démocrate Jean-Claude Juncker président « élu » de la commission au cours d’une élection où il n’était candidat nulle part, l’a bien dit : « il n’y a pas d’alternative démocratique aux traités européens ».
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